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Noetic authority…tout mauvais?

« Il n’y a pas de calcul électoraliste, il y a un calcul de l’opinion publique. »        

Bernard Drainville, à l’émission Les coulisses du pouvoir, essayant d’expliquer la stratégie politique derrière la Charte des valeurs québécoises

Principe de base : la mission d’un parti politique est de se faire élire au même titre que le but d’une entreprise est de faire des profits. Nous pouvons prêter d’autres intentions à ces organisations, mais ultimement, tout le reste n’est que décoratif. Il n’y a aucun intérêt pour un parti d’exister s’ils ne peuvent pas élire de députés et éventuellement, devenir l’opposition officielle ou devenir le gouvernement. Il peut y avoir des bénéfices pour la population que des gens se regroupent dans le but de faire valoir leurs valeurs en utilisant le voie politique. Cependant, si c’est la seule chose qui guide les décisions, il est plus que probable que le parti finira par disparaître. Les grands partis, ceux qui réussissent à prendre le pouvoir, sont ceux qui fondent leurs décisions sur l’impact qu’elles auront sur l’élection de leurs députés. Et bien que les autres partis qui n’entrent pas dans cette catégorie aient des buts légitimes et valeureux…ils ne détiennent pas le pouvoir! Donc, il est impossible de faire une coupure entre les deux : le gouvernement propose, présente et impose en fonction de la majorité.

Un exemple parfait et évident de cette affirmation est l’impact qu’a Quebecor sur nos politiciens. En 2008, nos principaux partis ont fait adopter une loi visant à payer pour les traitements de procréation assistée. Cette modification était issue d’une intervention de Julie Snyder qui était venue appuyer l’Association des couples infertiles du Québec (ACIQ) en commission parlementaire. Pour le bénéfice de mes collègues étrangers ou nouveaux arrivants, cette dame est la conjointe de Pierre-Karl Péladeau, président de Quebecor. Or, l’intérêt commun de rembourser ces traitements ne fait pas l’unanimité et certains éléments plus bas dans la pyramide des besoins auraient dus être adressés d’abord…En 2011, c’est une promesse d’accorder 200 millions de dollar pour la construction d’un amphithéâtre à Québec qui a fait l’unanimité à la Chambre des communes, projet chapeauté par la ville de Québec, mais dans les faits piloté par Quebecor. Les raisons qui ont poussé nos deux principaux partis politiques à accepter d’emblée ces propositions sont purement liées à la popularité ou plutôt, aux risques de non popularité. Si le parti Libéral ou le parti Québécois avaient tenté d’aller à l’encontre d’un de ces projets, quelle presse auraient-ils eu dans les différents médias de Québécor? Ils se seraient littéralement fait lapider! Et Québécor a accès, d’une manière ou d’une autre, à presque toute la population du Québec et a le pouvoir d’influencer leur opinion. On ne peut pas leur dire non! Alors ils ont dit oui…

La charte des valeurs

Le 7 novembre 2013, le parti Québécois déposait le projet de loi 60 portant sur la Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodements. Au Québec, l’appui à cette charte est grand. Le Montréalais qui reste dans sa bulle ne s’en rendrait peut-être pas compte, mais tout autour, les gens sont d’accord avec cette proposition. C’est peut-être, ou peut-être pas, pour de bonnes raisons, mais c’est la réalité. L’autre réalité est que le gouvernement actuel est minoritaire et donc instable. La charte est un beau projet pour potentiellement aller chercher une partie de la population, principalement dans les régions, qui se rassemblerait autour d’un projet auquel ils croient. La démocratie, c’est le pouvoir de la majorité! Non? Mais l’adhésion de la majorité à une décision signifie-t-il que c’est la meilleure solution?

L’autorité du savoir

Ceci m’amène à la notion de noetic authority de James D. Carrol. Selon cette théorie, les décisions du secteur public sont tellement complexes qu’elles exigent, de ceux qui les prennent, une éducation poussée et de grandes connaissances (Mercier, 2002). Autrement dit, les politiciens ne sont pas en mesure de faire ces choix puisqu’ils ne sont pas des experts ou des spécialistes et par conséquent, les électeurs non plus. Des savants avec une vision large et globale des enjeux seraient mieux en mesure de savoir ce qui est bon pour la nation. Un peu comme l’exemple d’un conseil des ministres où chacun y va de son commentaire sur la proposition du Ministre Untel ce qui permet au Premier Ministre de prendre une décision qui ne sera pas nécessairement celle de la majorité du conseil! En fait, comme le fait la majorité des décideurs en entreprises ou dans le public, c’est-à-dire récolter le plus d’informations possibles sur le sujet, incluant les données des spécialistes (analystes par exemple) et pouvoir prendre par la suite la décision la plus efficace. On ne penserait pas de demander aux employés d’une entreprise de voter sur la fusion avec une autre entreprise par exemple et ce, principalement parce qu’ils voteraient en fonction de leur bien-être individuel et pas nécessairement en fonction du bien-être de l’entreprise. Ce qui m’amène à une nouvelle question : le bien-être commun est-il mieux servi par le vote de la majorité que par les décisions de penseurs ou d’experts?

Évidemment, la qualité des savants qui prendront les décisions est un élément crucial de cette réflexion. Comment s’assurer qu’ils auront le bien commun comme seul critère dans leurs décisions? Comment les choisir? Qui pourrait le faire? Comment s’assurer que le pouvoir soit suffisamment bien réparti pour ne pas se retrouver dans un roman de George Orwell? Comment éviter l’élitisme et s’assurer d’être bien connecté avec la population? Beaucoup d’éléments restent en suspend bien sûre, mais est-ce possible qu’il y ait quelque chose à retenir de ce modèle de décision dans notre société québécoise et canadienne? Pourrait-on introduire certains éléments afin de créer un système hybride? Je lance la question!

Le sénat

À cette dernière question, quelqu’un à l’arrière de la salle pourrait crier : nous avons le sénat! Il est vrai que l’idée derrière cette institution était d’avoir un regroupement de sages et de penseurs afin de conseiller et ultimement de contrer des projets de loi du gouvernement, mais le manque de partialité et le manque de…sagesse viennent en fait enlever la légitimité que cette chambre pourrait avoir. La possibilité d’une chambre qui représenterait les régions au gouvernement provincial est aussi un élément de réflexion important. En effet, cela ne viendrait-il pas (je joue ici à l’avocat du diable) ajouter du pouvoir à ceux qui savent moins? Tel que ceux qui soutiennent la charte? Voilà le débat ouvert!

Marie-Eve Briand

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Bibliographie

MERCIER, Jean (2002). L’administration publique : de l’École classique au nouveau management public, Sainte-Foy, PUL, ISBN 2763778313.

 

Commentaires

  • D'après ma première lecture..ça valait la peine de prendre quelques jours de plus !!!!!!
    On y reviendra avec attention.

  • http://neorurale.ca/2013/11/la-charte-des-valeurs-abitibiennes/

    Pour vous Professeur Trudel!

  • Marie ...ça frappe et ..fait réfléchir. Un blog sert à celà . À partager des opinions qui nous amènent plus loin. Le tiens fait le travail.
    Bonne suite.

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