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Participer en démocratie : « qu’ossa donne ? »

 

Charles-Émile René           

 

ENP 8007 – Gestion participative et défense des droits           

 

Travail de réflexion sur la démocratie participative

 

 

 

 

 

Participer en démocratie : « qu’ossa donne ? »

 

 

 

Les citoyens de Montréal viennent d’élire un nouveau maire, mais qu’en sera-t-il du processus décisionnel sous sa gouverne ? Où sera la place du citoyen dans ce processus, de quelles manières pourra-t-il exercer ses libertés politiques et quels seront les dispositifs mis à sa portée afin qu’il puisse participer au processus démocratique ? Autant de questions qui soulèvent de futures discussions à avoir entre citoyens et de réponses à construire par le biais de processus d’apprentissage social et politique dans une perspective de gestion participative et de défense des droits du citoyen du XXIe siècle. C’est à travers le prisme de la démocratie participative que j’élaborerai ma réflexion sur le cours ENP 8007.

 

 

 

La démocratie hier et aujourd’hui

 

Je crois qu’il est important de comprendre comment se porte la démocratie aujourd’hui, au Québec, pour voir s’il y a lieu de transformer nos pratiques politiques et l’exercice de nos libertés de citoyens pour qu’elles correspondent le mieux possible avec la réalité sociale dans laquelle nous vivons et des problèmes collectifs auxquels nous sommes confrontés.

 

On peut retracer l’émergence des démocraties modernes au XVIIIe siècle et aux révolutions américaine et française. Les aspirations des combattants pour la liberté s’accompagnaient de discours prônant les droits de l’homme et du citoyen. On voyait ainsi pointer à l’horizon l’État de droit qui est aujourd’hui une institution propre et essentielle aux démocraties du monde occidental. Bien que la liberté politique fut acquise à un lourd prix dans ce processus de démocratisation de nos sociétés, la remise en question de la justice et de l’égalité dans les systèmes démocratiques fondés sur les principes de la représentation politique et de la délégation du pouvoir est aujourd’hui un fait indéniable. Il est très intéressant de s’attarder aux propos tenus par l’historien Pierre Rosanvallon lorsqu’il dresse un portrait général de ce type de régime politique de nos jours :

 

 

 

« La démocratie représentative s’est imposée dans son principe au moment où elle s’est fragilisée dans son fonctionnement. La chute du communisme a sonné la retraite de ses ennemis ou de ses critiques les plus virulents, et elle constitue désormais le seul horizon reconnu du bien politique. Mais alors qu’elle a ainsi triomphé comme régime, elle se retrouve déstabilisée comme forme politique »[1].

 

 

 

Ce portrait général résume bien la situation dans laquelle se retrouvent les sociétés occidentales suite à la Guerre froide qui a été le conflit politique qui a structuré la seconde moitié du XXe siècle. Le régime démocratique a perdu de sa vigueur puisqu’il ne subit plus la concurrence d’un autre système et dont l’action politique s’est peu à peu amenuisée. Celle-ci a eu tendance à se résumer à un électoralisme où l’on conçoit qu’exercer ses responsabilités de citoyen se limite à aller voter à chaque élection. Ce comportement laisse un vide patent entre ces deux moments où la participation à la politique ne devient qu’un rôle de spectateur pour le citoyen assis dans le confort de son salon. De là, il peut suivre le spectacle que sont devenus les élections.

 

La démocratie, alimentée par l’action citoyenne, s’atrophie  par la passivité qu’engendre le spectacle politique relayé par les médias comme le fait remarquer l’auteur Christian Salmon lorsqu’il écrit que la « condition néopolitique […] est caractérisée par une crise générale de la confiance et de la représentation [qui] se manifestent partout dans les démocraties occidentales » d’où émerge un « nouvel idéal-type politique inspiré par les valeurs managériales du néolibéralisme et de la télé-présence permanente »[2].

 

 

 

Qu’est-ce que la démocratie participative ?

 

Comment passe-t-on de la passivité à l’action ? Une des réponses à cette question est la participation des citoyens aux processus de décision à tous les niveaux qu’ils leur sont possibles d’investir. Voilà l’essence de ce que la démocratie participative a à proposer à ceux qui désirent s’impliquer dans leur communauté politique afin d’améliorer les processus institutionnels et l’administration des affaires de leur cité.

 

Il est évident que des écueils surgissent face à l’institutionnalisation de la participation citoyenne, notamment la question de savoir si le pouvoir donné aux citoyens est bien réel et n’est pas qu’un voile permettant à des groupes d’intérêts profiter de l’occasion pour s’emparer des dispositifs institutionnels mis en place excluant le citoyen du processus démocratique. Je crois qu’il est important de se rappeler que la démocratie participative est avant tout un projet politique et qu’il est inévitable que celui-ci rencontrera des opposants, sceptiques face à son efficacité à améliorer les processus décisionnels.

 

Pour se donner une idée générale de ce qu’est la démocratie participative, la professeure de science politique Laurence Bherer nous définit sommairement ce concept nouveau dans l’espace public :

 

 

 

« [Elle] est le résultat de la rencontre de deux approches politiques distinctes valorisant la participation des citoyens : l’une remontant aux années 1960, le projet participationniste, et l’autre plus récente, le projet délibérationniste. Les deux courants proposent en quelque sorte de réenchanter la démocratie en luttant contre l’apathie politique et contre toute conception de la démocratie qui ferait de celle-ci le seul résultat de négociations et de compromis entre des intérêts divers. Ils formulent une vision plus optimiste du fonctionnement démocratique et, et suggèrent d’ouvrir le système politique aux citoyens afin de remédier au déficit démocratique et à la perte de confiance dans les institutions politiques »[3].

 

 

 

Pour le courant participationniste, celui-ci met l’accent principalement sur l’émancipation du citoyen, affirmant la « rationalité de l’individu [qui] s’exprime dans sa capacité à apprendre »[4]. Celui-ci détient un savoir pratique qui est tout aussi valable que le savoir de l’expert ou du fonctionnaire, c’est pourquoi dans cette approche « la participation est considérée comme un moment privilégié de socialisation politique et un outil d’éducation civique »[5].

 

Pour le courant délibérationniste, il s’agit alors de porter une attention particulière au processus de délibération dans le choix de décisions politiques. L’argumentation et la raison y visent à éclairer le citoyen afin qu’il puisse faire un choix raisonné. Ainsi s’exprimera une volonté générale qui permettra de garantir « une plus grande légitimité aux décisions politiques », de cette manière, ce courant produit une critique des « logiques strictement élitistes et expertes qui dominent la prise de décision publique affaiblissant le bien-fondé des systèmes démocratiques »[6].

 

 

 

La gestion participative et la défense des droits

 

Je crois que l’exemple du « Budget participatif » représente bien la fusion de ces deux courants politiques de la démocratie participative dans un processus d’institutionnalisation de pratiques participatives. Celles-ci expriment bien l’impératif que la promotion d’« une nouvelle politique du changement exige d’intégrer une vision « du bas vers le haut » dans nos stratégies d’action [traduisant] un processus de prise de décision démocratique et délibératoire dans lequel la population détermine la répartition d’une partie du budget municipal ou public »[7]. C’est avec cet exemple d’action citoyenne que nous avons démarré notre parcours gestion participative. La lecture du livre de Luc Rabouin fut pour moi une lecture très enrichissante, puisqu’elle m’a permis de m’initier au concept de participation citoyenne et de pouvoir y rattacher un exemple concret qui avait été réalisé, soit le budget participatif, mis en œuvre à Porto Alegre ou sur le Plateau Mont-Royal.

 

La journée passée sur la réserve autochtone d’Odanak nous a permis alors de toucher et d’approfondir l’aspect « défense des droits » du cours. En ayant pu relier ensemble la mise sur pied d’un collège pour étudiants autochtones et le cadre d'intégration des peuples autochtones à la société québécoise, j'y ai tiré une leçon importante. Bien que la politique nationale envers les communautés autochtones puisse souvent être influencée par des préjugés négatifs imprégnés dans la société, il est possible de réaliser des projets positifs au niveau local. Par exemple, la participation des étudiants collégiaux à leur vie étudiante leur permet de se construire une estime positive d'eux-mêmes et de créer des liens sociaux et affectifs avec d’autres autochtones venant de différentes régions. Trop longtemps, les autochtones du Québec et du Canada ont été ostracisés et marginalisés par les systèmes fédéral et provincial. C’est par l’éducation des jeunes que ces nations pourront s’émanciper et participer au développement collectif ainsi qu’aux institutions politiques que propose la démocratie participative et la défense des droits de tous les citoyens dans le Québec d’aujourd’hui.

 

 

 

La participation : un contre-pouvoir ?

 

On observe aujourd’hui que la défense des droits des communautés autochtones, comme autant d’autres minorités marginalisées par le système de la démocratie représentative, devient l’enjeu politique essentiel pour celles-ci sans quoi leur existence ne leur apparaîtrait pas comme étant digne d’être vécue, c’est-à-dire, que :

 

 

 

« C’est la vie beaucoup plus que le droit qui est devenue alors l’enjeu des luttes politiques, même si celles-ci se formulent à travers des affirmations de droit. Le « droit » à la vie, au corps, à la santé, au bonheur, à la satisfaction des besoins, le « droit », par-delà toutes les oppressions ou « aliénations », à retrouver ce qu’on est et tout ce qu’on peut être […] on a là un processus très réel de lutte; la vie comme objet politique a été en quelque sorte prise au mot et retournée contre le système qui entreprenait de la contrôler »[8].

 

 

 

Le discours sur les droits individuels et collectifs et leur défense à l’intérieur du système juridique classique permet de mettre en œuvre une politique de la vie ou du vivant. Cette biopolitique n’est autre qu’un contre-pouvoir vis-à-vis la démocratie représentative où seules les élites ont accès aux processus décisionnels[9].

 

Nous vivons dans une époque où les inégalités socio-économiques se creusent à travers l’ensemble des sociétés occidentales bien qu’à des rythmes différents. Elles avancent, tout de même, sans égard aux citoyens qui subissent les conséquences personnelles, familiales et collectives de cette régression de leur statut social, économique et politique. Un historien américain, Christopher Lasch, a qualifié cette situation de « révolte des élites », c’est-à-dire, que :

 

 

 

« Profondément enracinées dans l’économie planétaire et ses technologies sophistiquées, culturellement libérales, c’est-à-dire « modernes », « ouvertes », voire « de gauche », les nouvelles élites du capitalisme avancé – « celles qui contrôlent le flux international de l’argent et de l’information » - manifestent en effet, à mesure que leur pouvoir s’accroît et se mondialise, un mépris grandissant pour les valeurs et les vertus qui fondaient autre fois l’idéal démocratique »[10].  

 

 

 

Le retour du citoyen et de la politique : une utopie ?

 

La crise financière et économique de 2008 a démontré que la politique avait encore lieu d’exister et que tous les citoyens avaient leur mot à dire sur les décisions politiques qui sont à prendre. Le jour où une élite mondiale d’experts et de technocrates pourra gouverner sans besoin de consulter les citoyens n’est pas de sitôt chose faite. La réappropriation de la démocratie, par le biais de la participation des citoyens à leurs institutions politiques est, selon moi, un moyen fort pour réaffirmer l’aspect collectif du vivre en société.

 

C’est donc dans la politique qu’il faut rechercher les remèdes à nos problèmes contemporains. Je crois qu’il est pertinent de clore cet exercice de réflexion sur la démocratie participative en appuyant le rôle essentiel que joue la politique, au sens le plus large et le plus inclusif possible, dans une démocratie comme le Québec, en 2013, soit que :

 

 

 

« La fonction principale de l’activité politique qui est précisément d’affronter le défi de la fragilité des affaires humaines : « Le remède originel, pré-philosophique, que les Grecs avaient trouvé pour cette fragilité étaient la fondation de la polis. » Rien ne nous permet de supposer que ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les causes de la fragilité sont si profondément enracinées que la fonction de la politique surpasse le destin de la « polis » grecque […] en ce sens, la politique marque l’effort suprême de l’homme pour s’ « immortaliser » lui-même. »[11].

 

 

 

 

 

           

 



[1] Pierre Rosanvallon, La démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France (Paris: Gallimard, 2000), 11.

[2] Christian Salmon, La cérémonie cannibale. De la performance politique (Paris: Fayard, 2013), 11-12.

[3] Laurence Bherer, « La démocratie participative fonctionne-t-elle ? » dans La politique en questions (Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2008), 168.

[4] Ibid., 169.

[5] Idem.

[6] Ibid., 170.

[7] Dimitri Roussopoulos, « Préface » dans Luc Rabouin, Démocratiser la ville. Le Budget participatif : de Porto Alegre à Montréal (Montréal: Lux éditeur, 2009), 5-7.

[8] Michel Foucault, Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir (Paris: Gallimard, 1976), 191.

[9] Idem.

[10] Jean-Claude Michéa, « Lasch, mode d’emploi » dans Christopher Lasch, La révolte des élites et la trahison de la démocratie (Paris: Flammarion, 2009), 9.

[11] Paul Ricoeur, « Préface » dans Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne (Paris: Calmann-Lévy, 1961), 26-27.

 

Commentaires

  • On lira tout ça avec grande attention Charles-Émile et nous en discuterons le 29 nov..
    B
    À++

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