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Blog #1 : Sophie Côté : 1-800-ARMÉE AU SECOURS

 

1-800-ARMÉE AU SECOURS

 

Le 10 janvier, La Presse nous révélait que le ministère de la Défense avait décidé de facturer les provinces lorsque celles-ci demanderaient de l’aide de l’armée en cas de sinistre. Cette politique aurait été mise à l’avant en juillet dernier sans que le gouvernement  soit consulté et sans qu’aucune annonce officielle ne soit faite. La raison : un moyen de couper dans le déficit afin d’atteindre l’équilibre budgétaire.

Face à la question, le député Chris Alexander, secrétaire parlementaire du ministre de la Défense, Peter McKay, déclarait que, pour les Forces canadiennes, l'aide en cas de désastre est secondaire par rapport à la fonction première qu'est  « la défense du Canada. » « En termes budgétaires, ce n'est pas le rôle dominant ou le rôle principal des Forces canadiennes », affirmait-il. Pourtant, en 2008, le Canada lançait sa stratégie de défense «  Le Canada d’abord » où le gouvernement a demandé aux Forces canadiennes d’accomplir les 6 missions essentielles. L’une d’elles est d’« appuyer les autorités civiles en cas de crise au Canada, par exemple en cas de catastrophe naturelle »[1].  

 

Recherche d’économie réfléchie en réponse à de l’abus ?

Aucun contribuable ne peut reprocher à un gouvernement de se soucier de dépenses publiques. Nous voulons tous s’assurer que chaque dollar investi par exemple dans ce cas-ci,  dans la Défense nationale soit fait de façon efficiente. Une des raisons évoquées par le ministère est que la sécurité civile est de compétence provinciale, en terme clair, le gouvernement canadien est en droit de facturer ses services aux provinces et aux municipalités bien qu’il ne l’ait jamais fait auparavant. La Loi sur la défense nationale art.  273.6 (1) et (2) prévoit cependant que les forces canadiennes peuvent accomplir des tâches de service public et prêter assistance lorsque cette  « mesure souhaitable dans l’intérêt national et nécessaire pour remédier efficacement à la situation »[2]. Mais bien que la planification et la gestion des opérations d’urgence, la santé publique et la sécurité civile sont de responsabilités provinciales, il est important de souligner qu’ils font partit de la mise en œuvre de la Politique canadienne de sécurité nationale. Ces pour ces raisons que le Québec va de l’avant et légifère, met en place des politiques et coordonne ses actions avec les autres provinces, mais aussi avec le gouvernement fédéral[3].

 

Mais si ce calcul comptable a été pensé par les administrateurs publics, on peut se questionner à savoir si Ottawa agit en réponse aux provinces qui en abuserait. Heureusement, il ne semble pas que ce soit le cas. Prenons le cas du Québec par exemple. L'armée a été appelée en renfort pour des catastrophes naturelles et des crises politiques moins de 10 fois en près de 50 ans. Ce fut le cas lors de la grève des policiers de Montréal en 1969, de la crise d'octobre en 1970, des Jeux olympiques de 1976, de la crise amérindienne en 1990, du déluge du Saguenay en 1996, de la crise du verglas en 1998 et des inondations du Richelieu en 2011. Certes, à chaque fois la facture a été élevée.  L’assistance militaire aurait coûté 44 millions lors de la crise du verglas et 3,9 millions lors des inondations du Richelieu. Cependant, la crise du verglas a coûté aussi cher à la province de Québec. Le gouvernement du Québec a défrayé plus de 435 millions encourus par Hydro-Québec lors de la crise du verglas. Une demande d’aide avait été faite à Ottawa pour l’aider à défrayer une partie des coûts sans succès. Le dossier s’est clos en novembre 2009[4]. Ces coûts ne tiennent pas compte des dépenses reliées aux différents services policiers et d’incendies qui ont prêté main-forte aux villes qui se trouvaient dans le triangle noir. On pourrait également souligner la facture reliée à la Crise d’Oka qui a coûté cher aux contribuables québécois dans un conflit qui a soulevé tant de questions sur les responsabilités gouvernementales. Cette crise aura même couté la vie à un policier.

 

Si le calcul a été pensé pour réduire les coûts et être plus efficient, comment se peut-il que ce même gouvernement ne soit pas en mesure d’expliquer le contrat d’achat d’avions militaires fait sans appel d’offre à la compagnie américaine Lockeed Martin.  Ce contrat fait doubler la facture, car le Canada payera plus que le double sans que ce soit prévu pour l’entretien de ces avions. L’entretien et la maintenance n’ont pas été négociés dans le même contrat. En plus, ces dépenses ne profiteront pas aux compagnies canadiennes et principalement au Québec. La compagnie Lockeed Martin refuse de s'engager à verser un montant précis de retombées industrielles régionales[5]. Il se peut même qu’aucune ne soit située au Québec. Le Devoir nous rapportait le 20 janvier 2010[6] qu’ « en arrivant au pouvoir en 2006, le gouvernement Harper a décidé d'éliminer les quotas de retombées industrielles par province, de sorte que les fabricants étrangers qui remportent des contrats militaires peuvent réinvestir dans la région de leur choix et sélectionner à leur guise les entreprises sous-traitantes ». Cependant, le gouvernement a laissé entendre que dans l’entente,  l’entretien et la maintenance des 2000 avions américains et canadiens seraient effectués par trois compagnies canadiennes et auraient des retombées de 16 milliards en emploi.  Devant ces chiffres, le gouvernement a peut-être agi ainsi pour s’assurer d’un cadre économique et fiscal qui stimule la création d'entreprises et leur permette d'être concurrentielles sans favoriser des régions électorales ? La question se pose. Cependant, il faut souligner que le gouvernement américain a suspendu pour l’instant la construction de ses avions suite à de nombreux problèmes survenus lors de test de vol.

 

Il est vrai que la responsabilité du gouvernement est d’obtenir au plus bas coût possible les contrats pour s'assurer de ne pas imposer un fardeau fiscal injustifié aux citoyens. Mais encore aujourd’hui, le gouvernement ne veut pas expliquer comment il arrive au prix qu’il avance dans l’achat de ces avions. Plusieurs experts estiment que le coût n’est pas réel, qu’il a été fait au départ sans appel d’offre, que le contrat n’aurait pas dû être scindé en deux et de négocier en même temps le contrat d’entretien. Pourtant, il s’agit de fonds publics. Tout doit être approuvé et faire l’objet d’une reddition de compte. Le comble, c’est qu’il en serait de même également pour l’achat des frégates de la marine, dont le contrat octroyé à deux compagnies canadiennes pour la construction de nouveaux bateaux a explosé face aux montants initiaux. Des contrats qui explosent en coût dans la fonction publique font régulièrement  la une ces temps-ci. Vous n’avez qu’à écouter les travaux de la Commission Charbonneau.

 

Profitable pour l’armée ces interventions ?

On peut avancer que les interventions de l’Armée avec les années ont été profitables pour celle-ci. Qui n’a pas vu la publicité de l’Armée canadienne où l’on voyait les soldats travailler lors du déluge au Saguenay. Mais le plus important,  l’Armée canadienne a reçu à chaque présence au Québec, la sympathie des citoyens. Plusieurs sondages ont démontré que les contribuables canadiens ne veulent pas d’une armée qui n’est là que pour aller en mission étrangère, ils veulent qu’elle les protège et leur vienne en aide.

Cependant, aujourd’hui finis les publicités d’aide en cas de catastrophe. Les  publicités de recrutement nous démontrent l’image d’une armée canadienne à l’étranger en train de combattre l’ennemi en mission. Le gouvernement peut bien avancer que son rôle principal n'est pas d'aider les citoyens sinistrés, c'est sans doute le seul qui fait l'unanimité au sein de la population.

Les dollars dépensés à la Défense proviennent de tous les Canadiens. Ceux-ci ne veulent pas payer deux fois par leurs impôts et par un compte de taxes qui risquerait d’augmenter alors qu’ils ont plus que payé pour de l’aide à l’étranger.

Le soldat quant à lui, y trouve sûrement pour une rare fois, une aide utile à sa patrie.

Cependant, nous devons être conscients que la paix et la sécurité internationale sont des enjeux contemporains de sécurité publique que nous ne pouvons mettre de côté.

 

Opération d’urgence,  étape 1 : calcul des coûts vs capacité de payer

Lors de la parution dans les médias le 10 janvier dernier, le secrétaire parlementaire du ministre de la Défense, Chris Alexander,  a indiqué que la décision de refiler la note se prendra au cas par cas après les événements. Ainsi, la situation économique de la communauté à la suite de la catastrophe sera considérée, précise-t-il. 

Lorsqu’une catastrophe se produit, il faut agir, ne pas peser les pour et les contres et mettre la sécurité publique en péril par craindre de devoir payer une facture élevée.  Tous les plans d’action d’urgence qui ont été adoptés suite au verglas ne visaient qu’une chose. Savoir intervenir efficacement pour assurer la sécurité. La Ville de Saint-Jérôme a même fait en février 2008 une simulation d’une crise de verglas en collaboration avec l’Armée canadienne. Le Maire Gascon y avait même reçu une plaque commémorative de l’armée pour l’excellent partenariat[7]. Je suis à même de confirmer pour y avoir participé que jamais il n’était question de facturation. Si cela avait été le cas, peut-être que cette étape n’aurait pas été franchie.

Risquons-nous de supprimer tous ces travaux en ajoutant une étape d’analyse financière afin de savoir si on peut se permettre l’appel à l’armée. Cette incertitude peut risquer, retarder ou empêcher un sauvetage. Selon le sociologue des catastrophes naturelles, Tymothy Harvey, l’Ouragan Katrina nous a montré ce qui arrive quand il y a des discussions sur la question des pouvoirs publics. Les querelles de juridiction ont aggravé le sort des sinistrés, car elles ont retardé l’arrivée des secours. Imaginez si cela visait votre mère, votre frère, votre fille ou vous…

 

Ambiguïté du gouvernement Harper.

Au lendemain de la nouvelle et des réactions provoquées dans les médias, l’attaché de presse du Premier ministre  Harper, Carl Vallée, a indiqué à l’Agence QMI que «Nous n'avons aucune intention de facturer les provinces et les municipalités pour l'intervention des forces armées en cas d'urgences naturelles».  Par voie de communiqué aussi, le ministre de la Défense nationale, Peter MacKay a déclaré: «Les Forces armées canadiennes ont toujours été et resteront prêtes et capables de secourir les Canadiens en tout temps». Il a tenu à préciser deux points : «La politique du ministère de la Défense nationale en matière de recouvrement des frais n’a pas été modifiée», a-t-il soutenu et deuxièmement, cette politique ne s’applique «qu’au recouvrement de frais auprès d’un autre ministère fédéral, comme lorsque le ministère de la Sécurité publique demande au ministère de la Défense ou aux Forces armées de venir en aide à une province, une municipalité ou à une autre entité ». La question qui a suivi et demandée au même ministre a été de savoir si cela s’appliquerait aussi pour une crise politique comme la crise d’Oka, ou la crise d’octobre. Il n’a pas voulu s’avancer sur la question et a refusé de répondre à une question hypothétique[8]. Nous restons donc dans l’incertitude.

 

Administrateurs efficaces ?

Si ce n’est pas pour répondre à de l’abus, mais bien pour couper dans les dépenses, il faudra trouver d’autres moyens.

Le secteur public œuvre au bien public. Cette décision discutable et quant à moi incompréhensible, peut présager que le gouvernement coupera dans d’autres ministères, tel que la culture par exemple sous prétexte que le ministère de la Défense est déficitaire et que les seules actions possibles ne font pas l’unanimité. Adopter cette politique et reculer face à la polémique, était-ce seulement une façon des administrateurs de sensibiliser le public aux compressions et ainsi le rallier à sa cause afin d’éviter des coupures? La population exige de bons fonctionnaires et une saine économie. Dans un contexte où il n’y a pas de relance économique, que devons-nous couper? Dans quel secteur? Quelle est la vraie priorité?

Cependant, les dernières actions du gouvernement canadien pour économiser comme la loi modifiant l’Assurance-emploi et des politiques telles abordées ici sont loin de favoriser un fédéralisme uni, bien au contraire.  Mais une chose est sûre, lorsqu'il est question de sécurité ou de santé publique, la question de ne pas faire ce qui devrait être fait, ne devrait jamais se poser.

 

 


[3] MICHAUD, N. et coll. (2011) Secret d’État?, p.770

 

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