#1-Véro Tessier-Les «whistleblowers»,les lanceurs d’alerte ou les dénonciateurs dans l’administration publique
Les «whistleblowers», les lanceurs d’alerte ou les dénonciateurs dans l’administration publique
À la Commission Charbonneau, le mercredi 24 octobre dernier, Gilles Surprenant, l’ex-ingénieur de la Ville de Montréal, a fait une déclaration pour le moins étonnante. Voici un bref échange entre lui, le procureur Me Denis Gallant, ainsi que la commissaire Me France Charbonneau<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> :
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Les entrepreneurs ont fait de la corruption. […] Quand vous dites que moi, j’avais besoin des entrepreneurs, je suis en total désaccord parce que moi, je l’ai dit et je le répète, personne à la Ville de Montréal, il n’y a personne à la Ville de Montréal qui voulait un système de collusion comme ça. (M. Surprenant)
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Pourquoi vous ne l’avez pas dénoncé? (Me Gallant)
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Pourquoi je ne l’ai pas dénoncé? (M. Surprenant)
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Pourquoi vous ne l’avez pas dénoncé? Pourquoi vous avez accepté des enveloppes? (Me Gallant)
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Tout le monde, tout le monde était au courant chez nous. (M. Surprenant)
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Pourquoi n’avez-vous pas dénoncé? (Me Gallant)
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->J’en parlais ouvertement à mes supérieurs. (M. Surprenant)
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->À la police? (La présidente Me Charbonneau)
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Je pense que ce n’était pas mon rôle à moi directement, simple fonctionnaire, d’appeler la police pour ça. (M. Surprenant)
La population qui a suivi la Commission a dû être scandalisée en entendant ces propos. C’est difficile de croire qu’un simple fonctionnaire (Gilles Surprenant se définit ainsi) ait pu empocher près de 700 000$ en ristournes des entrepreneurs. Pour lui, cela ne faisait pas partie de sa description de tâches d’appeler la police pour dénoncer les activités illégales qui se déroulaient dans son milieu de travail. Mais est-ce facile de dénoncer ses collègues de travail? Bien sûr que non. Mais il est du devoir de tous ceux qui travaillent dans l’administration publique de le faire. C’est l’un des principes fondamentaux de l’administration publique : tout doit être approuvé, car ce type d’administration est responsable du bien public et elle est aussi responsable d’assurer la primauté du droit pour les citoyens et les entreprises.
Le directeur du programme de lutte contre la criminalité financière de l’Université de Sherbrooke, Messaoud Abda, a déclaré à l’animatrice de 24 heures en 60 minutes, Anne-Marie Dussault, que l’attitude qu’a utilisée M. Surprenant concernant son implication dans le dossier en est une de déresponsabilisation et de victimisation qui nuit à la perception qu’a le public des fonctionnaires. Il ajoute que cet échange entre M. Surprenant et Me Gallant confirme que les mécanismes de gouvernance ne sont pas appliqués correctement<!--[if !supportFootnotes]-->[2]<!--[endif]-->.
Est-ce que les dénonciateurs, les lanceurs d’alerte ou les « whistleblowers» existent vraiment? Oui. D’ailleurs, Hollywood a fait des blockbusters avec certains d’entre eux, comme Jeffrey Wigand dans le film The Insider (portant sur l’industrie du tabac qui connaissait depuis longtemps les effets cancérigènes de la cigarette), Mark Felt dans le film All the President's Men (traitant de l’implication du président des États-Unis Richard Nixon dans le scandale du Watergate).
Au Canada aussi il y a des «whistleblowers». Le plus connu de tous est sans contredit « Ma Chouette » qui est la source du scandale des commandites qui à donné lieu à la Commission Gomery portant sur un système de détournement des fonds publics fédéraux par la voie d’une campagne de relation publique visant à contrecarrer les actions du Parti Québécois et de son projet de souveraineté du Québec. Cette « chouette » est toujours inconnue du grand public, car elle est la source d’information d’un journaliste qui s’est engagé à ne jamais révéler son identité<!--[if !supportFootnotes]-->[3]<!--[endif]-->.
Certes, être un dénonciateur ou un «whistleblower» n’est pas facile en raison de la peur des représailles, comme risquer de perdre son travail, sa réputation ou encore sa vie. Ce fut le cas en Grande-Bretagne avec l’affaire David Kelly<!--[if !supportFootnotes]-->[4]<!--[endif]-->, haut fonctionnaire spécialiste en armement qui avait affirmé à un journaliste de la BBC que le gouvernement de Tony Blair, en 2002, avait «gonflé» le dossier sur le programme d’armement irakiens en laissant entendre qu’il y avait en Irak des armes de destructions massives (ADM) pour justifier l’entrée en guerre des Britanniques contre l’Irak. Il s’est par la suite enlevé la vie et la BBC a été blâmée dans cette affaire. Cette histoire est surprenante, considérant qu’il existe en Grande-Bretagne, depuis 1998, une loi qui protège les dénonciateurs ou les «whistleblowers» du licenciement et des pressions : le «Public Interest Disclosure Act<!--[if !supportFootnotes]-->[5]<!--[endif]-->»
De tels mécanismes existent-ils au Canada pour protéger les dénonciateurs ou les «whistleblowers»? Oui. Il y a au pays des mécanismes comme la loi fédérale C-11 sur la protection des dénonciateurs<!--[if !supportFootnotes]-->[6]<!--[endif]-->. Par contre, cette loi comporte certaines lacunes et plusieurs groupes de pression et d’universitaires trouvent qu’elle n’est pas efficace<!--[if !supportFootnotes]-->[7]<!--[endif]-->. Certaines provinces comme le Manitoba, le Nouveau-Brunswick, la Saskatchewan et l’Ontario ont une loi similaire<!--[if !supportFootnotes]-->[8]<!--[endif]-->.
Du côté municipal, la ville de Toronto possède un mécanisme de dénonciation efficace. En effet, pour améliorer la reddition de comptes des élus et de ses employés, la ville a décidé de mettre en place une ligne téléphonique et un formulaire à compléter en ligne. La gestion de ce système est assumée par le bureau du vérificateur général de la ville reine. Les employés, les citoyens et les gens faisant affaire avec la municipalité, comme les contractants, peuvent rapporter des actes illégaux. Ce mécanisme a été créé à la suite d’un scandale financier. Cette ligne téléphonique, s’appelle la Fraud Policy and Fraud/ Waste Hotline et comme sa gestion est effectuée à l’extérieur de la direction générale de la ville, les intervenants concernés sont davantage encouragés à téléphoner ou à remplir un formulaire<!--[if !supportFootnotes]-->[9]<!--[endif]-->.
Au Québec, il n’existe pas de mécanisme ou de loi de cette nature. Par contre, les conventions collectives prévoient certaines dispositions et d’autres mécanismes de contrôle, comme les comités de vérifications, les conseils d’administrations ainsi que les commissions parlementaires, existent pour s’attaquer à ce genre de problème. Car en administration public tout doit être approuvé. En effet, «on responsabilise d’une certaine façon les fonctionnaires en misant sur leur loyauté et leur discrétion<!--[if !supportFootnotes]-->[10]<!--[endif]-->», car c’est un des fondements de l’administration publique. On ne peut pas dépasser les frontières de la légalité. D’ailleurs en 2004, la présidente du Conseil du Trésor et ministre responsable de l'administration gouvernementale, Mme Monique Jérôme-Forget, énonça la position du gouvernement en ce qui concerne la dénonciation :
Les fonctionnaires ont l'obligation de dénoncer les irrégularités commises au sein de l'appareil étatique et ils n'ont pas besoin d'une législation les mettant à l'abri de représailles pour le faire. Les fonctionnaires devraient se « sentir à l'aise » de rapporter les cas irréguliers, selon la ministre, mais il n’y a pas de mécanisme de protection en place au gouvernement québécois. […] On s’attend à ce que les fonctionnaires informent le sous-ministre et que ce dernier avertisse le secrétaire général du Conseil exécutif du gouvernement, dans le cas où un employé du gouvernement commettait quelque chose d'irrégulier ou de malhonnête.<!--[if !supportFootnotes]-->[11]<!--[endif]-->
Pourquoi avons-nous besoin d’un mécanisme pour les dénonciateurs ou les «whistleblowers»? En réalité, c’est pour répondre à un besoin de rassurance, présent autant chez les organismes publics (pris au sens large de l’administration publique) que chez le grand public, surtout dans un contexte de scandale fortement médiatisé. L’administration publique a des principes fondamentaux et des valeurs et, par ces mécanismes de dénonciation, elle projette d’une certaine façon l’importance qu’elle accorde à ces valeurs et témoigne du partage de celles-ci par l’ensemble de son personnel indépendamment de sa position hiérarchique. Ceci a pour objectif de montrer «à la population comment l’organisation entend assurer la qualité de son service<!--[if !supportFootnotes]-->[12]<!--[endif]-->» pour l’intérêt général.
En conclusion, c’est avec des commissions comme celle de Me Charbonneau (Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction) que le législatif ou le gouvernement décide de créer des lois pour corriger les situations dénoncées. D’ailleurs, à la sortie de son caucus qui était réuni à Drummondville le vendredi 26 octobre dernier, Pauline Marois a déclaré ce qui suit : «Nous allons être beaucoup plus exigeants que le gouvernement précédent ne l'a été. Nous colmaterons les problèmes que soulevait la loi 35 [contre les pratiques frauduleuses dans la construction], mais nous allons plus loin. <!--[if !supportFootnotes]-->[13]<!--[endif]-->» C’est ainsi que la première ministre du Québec veut créer une charte de bonnes mœurs pour tout entrepreneur qui voudrait faire affaire avec l’une ou l’autre des sphères de l’État. C’est peut-être pour certains trop tôt (la commission n’est pas finie) ou trop tard (pour la population en général) mais, dans le contexte actuel, je crois que personne ne s’opposera à quelque mesure que ce soit. En conséquence, le Directeur général des élections du Québec a lancé un appel à la population lundi le 29 octobre pour dénoncer des pratiques illégales concernant le financement des partis politiques. Pour ce faire, il a annoncé le lancement d’une ligne téléphonique de dénonciation similaire à celle dont s’est dotée Toronto. En effet, le Directeur général des élections du Québec estime que le climat actuel est propice à la mise en service d'une telle ligne pour restaurer la confiance du public envers le système et les organisations publiques<!--[if !supportFootnotes]-->[14]<!--[endif]-->.
Véronique Tessier
Candidate à la maîtrise de l’ÉNAP
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<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]-->https://www.ceic.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_client/fichiers/Transcriptions/Transcription_audience_CEIC_2012-10-24.pdf [en ligne] p.72-73.
<!--[if !supportFootnotes]-->[2]<!--[endif]--> Anne-Maire Dussault, «Les Whistle blowers», diffusé le 26 octobre 2012, Société Radio-Canada : 24 heures en 60 minutes sur RDI, Montréal : Société Radio-Canada [En ligne] http://www.radio-canada.ca/emissions/24_heures_en_60_minutes/2012-2013/#
<!--[if !supportFootnotes]-->[3]<!--[endif]--> Nathalie Collard, «Daniel Leblanc : en quête de scandale», Cyberpresse.ca, le 4 novembre 2010 [en ligne] http://www.lapresse.ca/arts/medias/201011/04/01-4339184-daniel-leblanc-en-quete-de-scandales.php
<!--[if !supportFootnotes]-->[4]<!--[endif]--> BBC «Kelly inquest will not be reopened», BBC News, le mardi 16 mars 2004 [en ligne] http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/politics/3513812.stm
<!--[if !supportFootnotes]-->[5]<!--[endif]--> Public Interest Disclosure Act 1998 http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1998/23/contents [en ligne]
<!--[if !supportFootnotes]-->[6]<!--[endif]--> Le projet de loi C-11 : Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes
Répréhensibles [en ligne] http://www.parl.gc.ca/Content/LOP/ResearchPublications/prb0556-f.htm
<!--[if !supportFootnotes]-->[7]<!--[endif]--> Anne-Maire Dussault, «Les Whistle blowers», diffusé le 26 octobre 2012, Société Radio-Canada : 24 heures en 60 minutes sur RDI, Montréal : Société Radio-Canada [En ligne] http://www.radio-canada.ca/emissions/24_heures_en_60_minutes/2012-2013/#
<!--[if !supportFootnotes]-->[8]<!--[endif]--> Jean-Patrice Desjardins, «La dénonciation en milieu de travail : mécanismes et enjeux», Énap, août 2007 [en ligne] http://archives.enap.ca/bibliotheques/2007/05/24967800.pdf
<!--[if !supportFootnotes]-->[9]<!--[endif]-->Fraud Policy and Fraud/ Waste Hotline, https://www.ottawa.fraudwaste-fraudeabus.ca/en/
<!--[if !supportFootnotes]-->[11]<!--[endif]--> Gilbert LEDUC, « Québec et le « whistleblowing » Les fonctionnaires doivent parler», Le Soleil, samedi 6 mars 2004, p. D2
<!--[if !supportFootnotes]-->[13]<!--[endif]--> Simon Boivin, « Caucus du PQ : corruption dans la mire», La Presse.ca, Samedi 27 octobre 2012 [en ligne] http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/politique/201210/26/01-4587643-caucus-du-pq-corruption-dans-la-mire.php
<!--[if !supportFootnotes]-->[14]<!--[endif]--> Tommy Chouinard,« Le DGE lance une ligne téléphonique de dénonciation», La Presse.ca, Lundi 29 octobre 2012 [en ligne] http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201210/29/01-4588218-le-dge-lance-une-ligne-telephonique-de-denonciation.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_BO2_quebec_canada_178_accueil_POS4
Commentaires
Voilà bien une tendance qu'il faut examiner à la lueur de principes généraux en AP et de l'actualité.
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