#1-Louis Falardeau - Obstruction?
L’explosion des coûts en soins de santé est un sujet récurrent de l’actualité des dernières années et la Loi de Wagner voulant que les dépenses de l’état croissent de manière continue n’a rien pour nous rassurer en ce domaine. Pourtant, il existe des moyens de réduire les effets de cette loi. Bien que ce problème paraisse à première vue insoluble et fort complexe, la réforme de notre coûteux système de santé, qui gruge maintenant 48% du budget du Québec à chaque année, pourrait passer par certaines solutions toutes simples. Mais encore faudrait-il que le gouvernement, et surtout les médecins du Québec, fassent preuve de bonne volonté pour mener à terme ce projet.
En effet, plusieurs études1, 2 démontrent que les solutions existent et ont été mises en application avec succès ailleurs dans le monde, les principales étant une meilleure organisation et utilisation des ressources ainsi qu’une révision de la rémunération des médecins qui sont, au Québec, essentiellement payés selon un mode unique soit pour chaque acte médical posé.
Dans le cadre de l’émission « Une heure sur terre », présentée à Radio-Canada le 12 octobre dernier3, on explorait le cas du système de santé de nos cousins français. On y apprenait que les soins de santé sont organisés de manière à éviter le plus possible que le patient passe par l’hôpital. On agit donc en amont pour désengorger les hôpitaux car y traiter un malade y coûte trois fois plus cher en raison des coûts de transport et de structure. Ainsi, avec le SAMU (Service d’aide médicale urgente) c’est l’hôpital qui se déplace sur les lieux où se trouve le malade grave pour lui prodiguer des soins. Chaque équipe est constituée d’un médecin urgentiste, d’un infirmier et d’un ambulancier. Si toutefois le patient doit être envoyé à l’hôpital, on l’amène alors directement dans le bon secteur (ex : cardiologie, orthopédie, etc.) sans passer par l’urgence. De plus, cette intervention rapide sur les lieux permet de sauver des vies et de réduire les coûts liés aux complications et aux soins prolongés. Depuis qu’il a été implanté en France il y a 10 ans, le SAMU a permis de réduire considérablement les coûts en soins de santé et a été adopté dans une cinquantaine de pays en raison de son efficacité.
Si on regarde du côté du service d’urgence médicale téléphonique (l’équivalent de notre 911), c’est encore une fois des médecins urgentistes qui prennent les appels. Ceci leur permet de faire un diagnostic et de suggérer un traitement par téléphone, ce qui évite encore une fois les intermédiaires et bien des déplacements en ambulance. Ainsi, seulement 10% des cas nécessitent le déplacement du SAMU, ce qui contribue au désengorgement des urgences. Encore là, si jamais le patient doit être amené à l’hôpital, il sera orienté directement vers le bon service par l’urgentiste au téléphone sans transiter par l’urgence.
Enfin, le système semi-privé, financé en partie par l’état, vient compléter l’offre de service avec SOS médecin, qui assure en tout temps qu’un omnipraticien pourra se rendre au domicile du patient en moins de deux heures partout en France. Ce médecin peut donc traiter une foule de cas simples à domicile (ex : entorse, grippe, etc.) en plus de rassurer le patient et de faire de la prévention ce qui évite une fois de plus un déplacement du malade en clinique ou à l’urgence et favorise le maintien à domicile.
Toutes ces mesures font en sorte qu’à Paris, le temps d’attente aux urgences est en moyenne de 90 minutes alors qu’à Montréal, il est de 17 heures. De plus, grâce à une loi adoptée en 2004 qui oblige que chaque citoyen ait un médecin de famille, 99,5% des français en ont un alors qu’au Québec, seulement 30% de la population a cette chance. En plus, le médecin français est la plupart du temps disponible pour recevoir son patient le jour même alors qu’ici, il faut attendre des mois avant d’avoir un rendez-vous. Pourtant, le France dépense en santé sensiblement la même chose que le Québec, en proportion de son PIB, et elle compte moins de médecins généralistes qu’au Québec par habitant (98 pour 100 000 contre 120 pour 100 000 au Québec). La croyance populaire voulant qu’il manque de médecins au Québec relèverait donc du mythe.
Pour ce qui est du mode de rémunération à l’acte qui prévaut au Québec, les recherches ont démontré qu’il incite les médecins à surconsommer les services de santé puisqu’ils sont rémunérés seulement au volume et non selon la qualité des soins qu’ils offrent. Ceci ne les encourage pas à passer du temps avec leurs patients ou à accepter de suivre des patients plus lourds alors qu’il est reconnu qu’une prise en charge de qualité combinée à la prévention permet de réduire les problèmes de santé plus graves dans le futur et contribue ainsi à la réduction des coûts pour le système. En France, les médecins sont payés à salaire fixe annuel en milieu hospitalier (46 000$ à 67 000$) et à l’acte en clinique privée (entre 86 000$ et 100 000$ par an) alors qu’au Québec, les omnipraticiens gagnent en moyenne 200 000$. On peut comprendre leur résistance à revoir ce mode de rémunération. Plus près de nous, en Ontario, les médecins sont payés selon un mode de rémunération mixte soit un montant forfaitaire chaque fois qu’ils prennent un nouveau patient pour une certaine période de temps, salaire complété par des paiements à l’acte pour certains actes médicaux. Ceci encourage donc les médecins à prendre davantage de patients et à les traiter de façon efficace car un patient en santé nécessite moins de temps de consultation et permet d’en voir davantage.
Parlant de l’Ontario, le système de santé est beaucoup plus efficace que le nôtre comme cela a été démontré à l’émission « La Facture » diffusée sur les ondes de Radio-Canada le 18 septembre dernier4. Dans cette province, on a mis en place des mesures visant à libérer les médecins de diverses tâches afin de leur permettre de se concentrer au maximum sur des actes médicaux mettant à profit leur expertise. Ainsi, les infirmières praticiennes, ces « super infirmières », sont présente depuis les années 70 afin de prodiguer des soins spécialisés à des patients comme les nouveau-nés ou pour assurer le suivi de personnes souffrant d’une maladie chronique comme le diabète. Au Québec, cette pratique a timidement commencé à voir le jour au début des années 2000.
On peut aussi se demander si nous avons besoin d’un médecin pour compléter un simple formulaire ou pour renouveler une prescription pour un médicament que la personne doit prendre à vie. D’autres professionnels de la santé, comme les pharmaciens, pourraient assurément être mis à contribution pour décharger nos médecins. Mais encore faudrait-il que ceux-ci acceptent de leur céder une part de leurs responsabilités.
En Ontario, 90% de la population à accès à un médecin de famille contre, rappelons-le, 30% au Québec. Il y a un plus grand nombre de médecins par habitant au Québec qu’en Ontario et pourtant, les médecins ontariens voient plus de patients par année (45% plus de consultations qu’au Québec). Voilà un autre bel exemple qui démontre que le vrai problème n’est pas un manque de ressource mais une mauvaise organisation et utilisation de celles-ci et que la solution ne passe pas par le privé, celui-ci faisant davantage partie du problème.
Dans La Presse du 14 octobre dernier4, 5, on nous présentait les solutions que le nouveau ministre de la santé, le Dr Réjean Hébert, compte mettre en place au cours des deux prochaines années afin de garantir à tous les québécois l’accès à un médecin de famille. Sa stratégie s’articule autour du désengorgement des hôpitaux en mettant en place des moyens pour traiter les gens en amont afin de leur éviter un séjour à l’hôpital ou à l’urgence (éliminer les heures obligatoires de pratique des médecins de famille à l’hôpital qui occupent 40% de leur pratique, terminer le déploiement des groupes de médecine familiale, soutenir les médecins dans leur pratique en utilisant davantage d’infirmières, de nutritionnistes et de travailleurs sociaux et instaurer une assurance autonomie pour favoriser le maintien à domicile en versant une allocation aux proches aidants).
Par contre, tout comme son prédécesseur, il affirme qu’il manque 1 000 médecins au Québec alors que la démonstration a été faite que nous en avons amplement. Devons-nous voir dans cette affirmation du ministre un refus de voir la vérité en face et un manque de courage pour s’attaquer à la révision des tâches et au mode de rémunération des médecins de la province? Nos médecins serait-il prêts à accepter une réorganisation de leur travail (travail en ambulance, dans la rue, visites à domicile, intervention téléphonique) et une révision de leur mode de rémunération? Le nouveau ministre de la santé aura-t-il le courage de mettre en place les solutions connues depuis longtemps et qui ont fait leurs preuves ailleurs dans le monde en faisant face à la résistance des médecins et de leur grand pouvoir d’influence sur le gouvernement? Comme chacun sait, l’administration publique est un art mais, sans vouloir être pessimisme, je crains que ces changements ne puissent survenir dans un contexte de gouvernement minoritaire.
Références :
1-Constant, Alexandra, et autres (2011). Synthèse de recherche sur les générateurs de coûts dans le secteur de la santé et possibilités d’action, Ottawa, Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé (FCRSS). http://www.fcrss.ca/Libraries/Commissioned_Research_Reports/CHSRF_Synthesis_on_Cost_Drivers_FR-final.sflb.ashx
2-Léger, Pierre-Thomas (2011). Modes de rémunération des médecins : un aperçu des possibilités d’action au Canada, Ottawa, Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé (FCRSS). http://www.fcrss.ca/Libraries/Commissioned_Research_Reports/CHSRF_Physician_Renumeration_FR-final.sflb.ashx
3-http://www.tou.tv/une-heure-sur-terre/S2012E01
4-http://www.tou.tv/la-facture/S2012E02
Commentaires
Très intéressant Louis...
Je trouve inapproprié que le mode de rémunération de nos médecins ne tienne pas compte de l'expertise ou du type de service qui est rendu. Je crois que la base du problème réside effectivement dans la définition des rôles et responsabilités en fonction des compétences des catégories d'emplois (médecins, infirmières praticiennes, pharmaciens) et non en fonction de la pratique antérieure. Mais soyons honnêtes, avec les mécanismes de rémunération actuels, quel médecin fera la proposition de céder des responsabilités "moins complexes" aux autres catégories d'emplois ?
Stéphane
Une fine plume bien aiguisée ...à lire et
déguster !!!
Prof
Très belle revue critique de la situation,
À partir de cette présentation, il est questionnant de ne pas avoir de mobilisation plus grande du secteur de la santé pour mieux répondre aux multiples besoins de la population. Les médecins ont un très grand pouvoir de négociation, j'en arrive à croire que les mesures devraient parvenir de la profession. Si chaque secteur ciblait une seule amélioration, on pourrait arrivé à une meilleure offre de service. C'est comme l'environnement, si chaque personne fait sa part, il y aura un grand impact. Il ne faut pas oublier que le secteur de la Santé et des Services sociaux sont beaucoup plus large que la contribution des médecins, mais c'est une base pour amorcé le travail.