Ph.Lalonde-La sécurité d’emploi, privilège ou nécessité? - Blogue #2 Philippe Lalonde
Après plusieurs années pour l’entreprise privée, je suis à l’emploi d’une municipalité depuis maintenant deux ans. Bref, je me suis retrouvé syndiqué malgré moi! Avec une sécurité d’emploi blindée. Un ingénieur avec sécurité d’emploi, concept qui pour moi était complètement illogique en tant que professionnel. J’attribuais la sécurité d’emploi à des métiers manuels. Je me suis toujours demandé pourquoi les employés du secteur public, particulièrement les professionnels, gestionnaires et cadres, jouissaient d’une sécurité d’emploi aussi forte. Au provincial la sécurité d’emploi à été mise en place au milieu des années soixante sous le gouvernement de Jean Lesage. Comme le dit Jean Mercier «Un corps hiérarchisé de fonctionnaires est caractérisé par sa lenteur, son manque d’esprit d’initiative, son manque de dynamisme et sa faible efficacité. ». Selon moi, une des principales causes de ces caractéristiques est la sécurité d’emploi. Tout cela entraine donc une baisse du niveau de compétence. Pour moi, la sécurité d’emploi protégeait les employés peu compétents et peu performants. Ouvrir la porte au congédiement de fonctionnaires serait peut être une solution afin de favoriser la compétition entre fonctionnaires comme le suggère la philosophie du Nouveau management public. Indirectement, la Coalition Avenir Québec de M. Legault en fait d’ailleurs les louanges régulièrement ces jours ci. (http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201202/28/01-4500747-chsld-legault-veut-congedier-les-directeurs-negligents.php). Même si lors de mes cours à l’ÉNAP le concept de sécurité d’emploi faisait partie des concepts établis et intouchables, je la voyais toujours comme une nuisance importante de la performance du secteur public. Pour moi, les propos de M. Legault étaient très rafraichissants. Comment pourrait-on être contre l’idée de congédier quelqu’un d’incompétent? Mais après quelques expériences au public, je me suis vite rendu compte que cette notion de compétence peut être très variable d’un supérieur à l’autre. Il est établi qu’un employé doit obéir au gouvernement du jour sans dépasser les frontières de la légalité. Ce sont justement ces «frontières de la légalité» qui causent problème. Disons qu’elles peuvent être assez vagues à l’occasion et variable d’un individu à l’autre.
Par exemple, un supérieur ayant une demande d’ordre politique de la part d’un groupe de pression ou de citoyen s’adressant à un fonctionnaire pour exécuter cette demande. Supposons que la demande est techniquement impossible. Le fonctionnaire qui donnera une réponse négative à la demande ne sera pas bien reçu par le supérieur. Le fonctionnaire sera donc jugé incompétent de la part du supérieur, parce que ce fonctionnaire n’est pas en mesure d’effectuer la demande. Mais dans les faits, ce fonctionnaire en refusant d’effectuer la demande, prouve sa compétence. Il est évident qu’un fonctionnaire n’ayant pas de sécurité d’emploi serait beaucoup moins à l’aise de ne pas obéir. Encore plus grave si le supérieur est conscient que la demande est techniquement impossible, on pourrait penser qu’il favorise un intérêt particulier ou qu’il soit corrompu et qu’il essai de faire passer la décision sur le dos que quelqu’un d’autre.
Par cet exemple, nous voyons clairement que la sécurité d’emploi est essentielle à la séparation du politique et de l’administratif et ainsi à une impartialité des décisions administratives. Rappelons ce concept important de notre système de Westminster. Les fonctionnaires ne doivent pas perdre de vu qu’ils sont d’abord employés de l’état et ce même s’ils sont au service du gouvernement actuel. Nous pouvons aussi dire que la sécurité d’emploi contribue à une continuité dans l’administration de l’état. De cette sécurité d’emploi, je privilégie ainsi un système de la carrière pour notre fonction publique. Je pense qu’un des points les plus importants avec un tel système est la formation continue. C’est principalement en encourageant la formation continue que la fonction publique peut maintenir un niveau de compétence et d’expertise de haut niveau.
Ceci dit, je pense toujours qu’un fonctionnaire négligeant, incompétent ou fainéant devrait pouvoir être congédié sous certaines conditions. N’oublions pas que c’est un privilège d’être au service de l’état. Des employés mal intentionnés existent partout. Les fonctionnaires ne font pas exception. Par contre, il est faux de penser qu’un fonctionnaire ne peut pas être congédié, les mesures existent. Ces mesures comportent souvent plusieurs étapes et demandent beaucoup de travail de la part des supérieurs et des ressources humaines concernés. Le problème est qu’elles ne sont pas utilisées. Par manque de ressources ou de temps les gestionnaires vont au plus simple et «tablette» le fonctionnaire au lieu d’entamer des procédures de licenciement. Évidement, afin d’éviter tout congédiement arbitraire, le processus de congédiement est lourd. Je pense que les supérieurs devraient être mieux supportés par les ressources humaines pour les procédures de licenciement. La Coalition Avenir Québec ne propose donc rien de nouveau, mais bien une application des mécanismes déjà en place.
Finalement, lors de l’implantation de la sécurité d’emploi des fonctionnaires Québécois au milieu des années soixante, le but était entre autres de diminuer le favoritisme à l’intérieur de la fonction publique. Bien sur la neutralité absolue n’est inatteignable. Il y aura toujours des pressions de diverses provenances que ce soit des politiciens, des ordres professionnels, des syndicats venant influencer les décisions. Mais pour reprendre une expression de Jean Mercier, la neutralité doit être une illusion nécessaire. La sécurité d’emploi peut encore aujourd’hui paraitre comme étant un privilège pour certains, mais elle demeure essentielle au fonctionnement de notre administration publique impartiale et professionnelle.
Philippe Lalonde, ing.
Commentaires
Le mercredi dernier au cours de management des organisations publiques, la Prof. Marie-Christine Terrien a posé la question de savoir quels seraient nos arguments si nous étions chargés de convaincre des élèves et susciter des vocations pour la carrière de fonctionnaire. Les réponses n'ont pas été évidentes. Car l'argument le plus lourd a longtemps été cette sécurité. Or, la sécurité de l'emploi dans la fonction publique n'est plus effective au fil des ans. Et les compressions annoncées au fédéral viennent achever de nous en convaincre du caractère illusoire de celle-ci. Il s'agit comme vous le dite si bien d'un amalgame bien entretenu, la sécurité ne se limitant qu'aux gardes-fou mis pour éviter des congédiements arbitraires.