L'évolution des Droits de la femme au Québec
"Les femmes ont plus de courage qu'on ne croît." (Voltaire)
Les Filles du Roy sont arrivées entre 1663 et 1673 en Nouvelle-France. Elles avaient été sélectionnées une à une par les religieuses et elles étaient en bonne santé. Vingt ans après leur arrivée, elles avaient fait tripler la population. Envoyées par Louis XIV à la demande de Jean Talon, ces filles avaient en moyenne 24 ans. Elles venaient pour la plupart de l'Hôpital général de Paris, un hospice où étaient gardés les pauvres et les enfants abandonnés. Elles débarquaient avec une dot du roi de 50 à 100 livres et, six mois plus tard, étaient généralement mariées. Entre leur arrivée à Québec et leur mariage, les Filles du Roy sont placées sous la protection de religieuses, de veuves ou de familles. Elles sont logées et nourries. À cette époque, on recherche des femmes robustes pour le travail de la terre et procréer.
En 1790, Nicolas de Condorcet, mathématicien-philosophe-politicien français, en prenant la défense des Droits des femmes, s’était prononcé pour le vote féminin.
En 1791, en raison de sa formulation, l’Acte constitutionnel du Canada confère aux femmes
propriétaires non mariées ou veuves du Bas-Canada le droit de vote.
En 1834, les parlementaires du Bas-Canada ainsi que les Patriotes, sous la gouverne de Louis-Joseph Papineau, expriment clairement leur intention de retirer le droit de vote aux femmes.
En juin 1917, Camille Belleville décide de quitter la France pour le Québec après avoir perdu mari et enfants dans la guerre. Elle embarque au port de Saint-Valéry sana argent et de façon clandestine. Elle songe au pays de ses rêves le ventre vide et se dit : "Ce serait un pays où il n’y aurait jamais de guerre et où les habitants vivraient en sécurité dans la joie et la bonne humeur ; les femmes auraient les même droits que les hommes, les paysages resplendiraient toute l’année aussi bien en hiver avec les monts enneigés et les lacs gelés, qu’en été avec les champs fleuris dégageant une délicieuse odeur. Les hommes seraient solidaires entre eux et envers les étrangers."Elle travaille par la suite dans une manufacture dont les conditions de travail sont insoutenables surtout pour les femmes qui sont exploitées. Elle décide de les rassembler pour lutter contre cette injustice mais la Direction lui fait comprendre très vite qu'elle risque de perdre son emploi. Le 24 mai 1918, toutes les Canadiennes de plus de 21 ans obtiennent le droit de vote au fédéral en reconnaissance de leur participation à l'effort de guerre. camille n'a plus qu'un but : contribuer au développement du droit de vote pour les femmes au Québec et assurer l’égalité entre les sexes. Elle ramasse ses choses et se dirige vers son nouvel avenir sans savoir vraiment où aller. Elle quitte la manufacture pour se consacrer à la vie politique. Elle rencontre, dans un parc d’un quartier huppé, une femme qui parle du droit de vote des femmes à une de ses camarades. Ne pouvant s’écarter d’une si importante conversation, elle leur dit : "Toutes les femmes doivent être respectées et acceptées en tant qu’être humain et non en tant que chose. Nous avons droit à l’égalité dans cette société. " La providence l'avait guidée vers une féministe, Marie Lacoste-Gérin-Lajoie. Elle rejoint le Mouvement des Suffragettes.
Le 30 mars 1918, Henri Bourrassa mentionne dans le Devoir, journal dont il est le fondateur :
"Le parlement, a dit un vieux juriste anglais, peut tout faire, sauf changer une femme en homme, un homme en femme. Or, c'est précisément cette impossibilité que les partisans du suffrage féminin ont entrepris d'exécuter. La différence des sexes entraîne la différence des fonctions sexuelles; et la différence des fonctions sexuelles crée la différence des fonctions sociales."1
En 1919, les femmes obtiendront le droit d'éligibilité et le Québec adopte la loi du salaire minimum des femmes. Le 15 juillet 1919, le pape Benoît XV se prononce pour le vote des femmes.
Ce sont, Marie Gérin-Lajoie, Idola St-Jean et Thérèse Casgrain, entre autres, qui ont commencé à faire des pressions à l'Assemblée législative du Québec dans les années 1920. À partir de 1922, un projet de loi sur le suffrage féminin sera présenté. Les projets de loi étaient présentés par des députés masculins sympathiques à la cause féminine pour le droit de vote dont le député Marchand (Union Libérale). L'opposition était vive au projet, le clergé également. Pour l'église, les femmes devaient avant tout s'occuper de leur foyer. Maurice Duplessis, ne fût guère plus disposé à laisser voter les femmes aux élections québécoises lors de son premier mandat. C'est grâce au gouvernement libéral d'Abélard Godbout que les femmes obtiennent le droit de vote. Et ce fût Maurice Duplessis qui en profitera le premier lors de son élection pour son second mandat, étant donné que c'était la première fois que les femmes allaient voter.
En 1929, arrêt de la Cour suprême suite à une recommandation du Conseil privé à Londres pour accorder à la femme canadienne le statut de « personne juridique ».
En 1931, la loi autorise les femmes mariées à garder leur salaire et à disposer des biens "réservés". Avant cet amendement au Code civil, le mari était libre de disposer du salaire de son épouse comme il l’entendait, et pouvait même, ainsi que l’observe le Collectif Clio (1992: 351), «demander au gérant de banque de lui remettre les économies de son épouse ».
En 1932, les femmes mariées en séparation de biens et qui sont propriétaires ou signent un bail (critères censitaires) obtiennent le droit de vote à Montréal.
En 1934, les femmes mariées obtiennent le droit d'avoir un compte en banque.
Le premier ministre Taschereau a été opposé au suffrage féminin jusqu'à la fin de son mandat, en 1936.
En 1937, création de la Première organisation syndicale dans l'industrie du vêtement à l’instigation de l’Américaine Rose Pesotta qui avait été dépêchée par l’Union internationale des ouvriers du vêtement pour dames pour organiser les midinettes. En avril, la grève implique plus de 5 000 ouvrières
« et devient la plus grande grève de femmes de 2
« Première à défier la fameuse « loi du cadenas », cette grève durera vingt-cinq jours, malgré les menaces de déportation proférées à l’endroit des responsables syndicaux. La reconnaissance du syndicat est finalement obtenue et un premier contrat de travail sera signé, octroyant aux ouvrières une semaine de 44 heures et un salaire moyen de 16,00 $ »
En 1939, le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale entraîne une mobilisation massive des femmes au sein de la population active. Soudainement, les gouvernements font la promotion de leur capacité à exercer tous les métiers et des formations intensives en mécanique, en soudure et en électricité leur sont offertes.
Les québécoises obtiennent le droit de vote aux élections provinciales le 25 avril 1940, les dernières canadiennes à pouvoir exercer ce droit, sous le gouvernement libéral d’Adélard Godbout, ainsi que le droit d'éligibilité au provincial.
Pour la première fois, des femmes, Jessie Kathleen Fisher et Elizabeth Monk, siègent au Conseil municipal de la ville de Montréal. La Charte de la ville sera amendée en 1941 pour donner à toutes les femmes le droit de vote et d’éligibilité.
En 1942, les femmes peuvent devenir commissaires scolaires au Québec.
En 1945, grâce à la campagne dirigée par Thérèse Casgrain, les allocations familiales seront versées aux mères, alors que la décision initiale dans le cas du Québec prévoyait, à l’insistance du clergé et d’une partie de l’élite nationaliste, que celles-ci soient versées aux pères afin de ne pas enfreindre ses droits à titre de
«chef de famille » «d’après le Code civil la femme mariée a un mandat tacite, appelé mandat domestique, pour acheter ce qui est nécessaire aux besoins courants du ménage et donc, sur ce principe, elle peut encaisser l’allocation familiale. On modifie les plaques d’imprimerie déjà moulées au nom du père, et, un mois plus tard que les autres Canadiennes, les femmes du Québec reçoivent enfin leurs allocations familiales »4 La même année en décembre, Marie Lacoste-Gérin-Lajoie décède suivit l'année suivante de Camille Belleville venue de France.
En octobre 1960, Fernande Saint-Martin, Directrice en chef du nouveau Magazine Châtelaine, écrivait : "Les beaux-arts et la politique, l'éducation, la science ou les problèmes sociaux ne sont plus aujourd'hui une chasse gardée du sexe fort ; il est bon aussi que "l'honnête femme" ait des "lumières sur tout" puisque son sort et celui de ses enfants sont liés au destin du monde."5
En août 1961, Claire Kirkland-Casgrain, présidente de la Fédération des femmes libérales du Québec, devient la première femme députée à l'Assemblée législative du Québec suite au décès du député de Jacques-Cartier. Claire Kirkland-Casgrain, fille du Dr Kirkland, était la candidate libérale. Onze mois plus tard, lors des élections générales, elle obtient une nouvelle victoire avec une majorité record de plus de 50 000 voix. Après l'élection de 1962, elle est assermentée ministre sans portefeuille dans le cabinet de Jean Lesage. En 1964, elle est nommée ministre des Transports et des Communications dans le même cabinet. Ce fût la seule femme à siéger au Parlement du Québec de 1961 à 1973. Elle défend les causes féminines. Elle présente le projet de loi 16, adopté par le Parlement en 1964, qui met fin à l'incapacité juridique de la femme mariée. Elle soumet également le projet de loi no 63, à l'origine de la création du Conseil du statut de la femme, le 6 juillet 1973. Elle quitte la vie politique en 1973 à la suite de sa nomination à titre de juge de la cour provinciale.
En 1971, les femmes peuvent devenir jurées au Québec suite aux pressions exercées, le 1er mars, par « l’action des jurées » des femmes membres de la cellule «X Action Choc » du FLF dans le cadre du procès de Paul Rose.
En 1973, création du Conseil du statut de la femme par le gouvernement du Québec pour répondre aux pressions du mouvement des femmes. Laurette Champigny Robillard en sera la première présidente.
En 1974, Une première femme, Claire L’Heureux-Dubé, est nommée juge à la Cour supérieure. Elle sera également la première femme à être nommée à la Cour d’appel du Québec (1979) et à la Cour suprême du Canada (1987).
En 1975, c'est l'adoption de la Charte des droits et libertés de la personne par le gouvernement du Québec de Robert Bourrassa (Libéral) qui interdit toute forme de discrimination, dont la discrimination en emploi et introduit le principe du «salaire égal pour un travail équivalent ». L’article 47 établit également que les époux ont les mêmes droits, obligations et responsabilités.
En 1978, c'est la nomination pour la première fois au Québec d'une ministre d'État à la Condition féminine, Lise Payette sous le gouvernement de René Levesque, suivi de la création d'un Secrétariat à la Condition féminine.
En 1980, proclamation de la loi 89 qui établit l'égalité entre les époux dans la gestion des biens de la famille et pour l'éducation des enfants : les femmes gardent leur nom au mariage, peuvent choisir leur lieu de résidence, sont conjointement responsables des dettes durant le mariage. La loi permet dorénavant la transmission du nom de la mère aux enfants.
En 1982, adoption de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit l’égalité des hommes et des femmes, sous le gouvernement de Pierre Elliott-Trudeau (Libéral).
En 1985, la loi fédérale C-31 modifie la Loi sur les Indiens pour réparer l’injustice historique faite aux femmes indiennes et permettre aux femmes indiennes ayant épousé un non Indien de recouvrer leur statut, sous le gouvernement de Brian Mulroney (Progressiste-Conservateur).
En 1986, la Chambre des communes adopte la Loi sur l’équité en matière d’emploi qui oblige les sociétés d’État fédérales et les entreprises régies par le Code canadien du travail de plus de 100 salariés-es à mettre en œuvre l’équité en matière d’emploi, sous le même gouvernement de Brian Mulroney.
En 1996, adoption de la Loi sur l’équité salariale par l’Assemblée nationale, sous le gouvernement de Jean Chrétien (Libéral).
Les femmes ont contribué au développement de la Belle Province à travers les siècles et continuent de nos jours. Elles sont un facteur clé pour le développement économique et la croissance démographique.
Principales sources :
1 Henri BOURASSA, "Le droit de voter - La lutte des sexes - Laisserons-nous avilir nos femmes?, dans Le Devoir, 30 mars 1918, p.1 - http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/docs/LevotedesfemmesduQuebec-Bourassa2.html
2 (Lévesque, Andrée, Ces femmes qui ont bâti Montréal, Remue-ménage, p. 230).
3 (Demczuk, Irène, Ces femmes qui ont bâti Montréal, Remue-ménage, 1994, p. 229).
4 Histoire des femmes au Québec, Coll. Clio, 1992, p. 89-392
5 Éditorial du premier magazine Châtelaine de Fernande Saint-Martin
Commentaires
Signature oubliée
Signature oubliée
Quel beau récit qui rappelle d'où l'on vient et un passé pas si lointain où l'on traitait la femme comme un objet de droit, plutôt qu'un sujet de droit. Comme d'ailleurs pour les enfants....
À mon tour de partager avec vous l'histoire d'une femme remarquable: Annie Langstaff. Le 15 mai 1914, un avocat, Samuel W. Jacobs écrit au secrétaire général du Barreau pour lui demander si Madame Langstaff pouvait passer les examens du Barreau. Non pas pour pratiquer le droit, mais seulement pour obtenir l'attestation de réussite des examens. Me Jacobs était l'employeur d'Annie qui était sténographe à son bureau (devenu Phillips & Vineberg). Me Jacobs avait encouragé Annie à faire ses études en droit qu'elle avait réalisées avec brio. Elle devint la première femme diplômée en droit, non seulement de l'Université McGill mais de la province entière.
Madame Langstaff se voit refuser par le Barreau le droit d'être admise à l'examen du Barreau. Elle décide de se battre et obtient de la Cour supérieure une ordonnance (un mandamus) forçant le Barreau à lui faire subir les examens d'admission. Le Barreau contestera cette ordonnance, alléguant entre autres que Mme Langstaff était une femme sous autorité maritale sans autorisation judiciaire et que la loi habilitante du Barreau n'autorisait pas une femme à agir comme avocat.
Le combat judicaire sera long et ardu. Anne perd sa cause en première instnce et en appel. Le combat devient alors politique. En 1916, un jeune député, Lucien Cannon présente à l'Assemblée législative un projet de loi visant l'admissibilité des femmes au Barreau. Je vous épargne les arguments contre le projet de loi...en passant par la valorisation de la femme au foyer et par le fait que la personne visée est juive...(C'était avant les chartes, bien sur...). Le projet de loi est rejeté.
Plusieurs tentatives seront essayées par la suite, suscitant chaque fois des débats animés. Ce n'est que le 26 avril 1941 que les femmes pouront enfin être admises au Barreau. Annie Langstaff travaillera pendant 60 ans au sein du même cabinet d'avocat mais, malgré tous ses efforts, ne sera jamais admise au Barreau.
Le 7 septembre 2006, le Barreau de Montréal lui attribua la Médaile du Barreau de Montréal à titre posthume. La Barreau du Québec se décida enfin à l'admettre à titre de membre honorifique par la même occasion.
J'était présente lors de cette cérémonie très touchante. Me Julie Latour, alors bâtonnière de Montréal remit cette médaille. Me Latour aussi est une femme qui a beaucoup réalisé pour l'avancement de ses consoeurs au sein de la profession. Elle a créé le comité permanent du Barreau des femmes de la profession qui organise régulièrement des midi-conférences sur des sujets tels l'accession des femmes au statut d'associé ou au sein des conseils d'administration. Auant d'avocats que d'avocates assistent à ces conférences.
Tout au long de ce combat, des hommes ont cru aux femmes et à leur avènement dans le monde. C'est ensemble, hommes et femmes que nous faisons avancer a cause de l'égalité. Égalité des chances et opportunités, qui conduisent à la réussite et à l'épanouissment de tous.
Pascale Berardino
Référence: Les avocats et le Barreau, une histoire, par J. Michel Doyon, Corporation de services du Barreau, 2009, pages 105 à 122.