La reddition de compte met-elle en péril l'autonomie des organismes communautaires?
La reddition de compte met-elle en péril l'autonomie des organismes communautaires?
Étant la directrice d'une maison d'hébergement pour femmes violentées, je possède un regard plutôt "communautaire" sur la question. Ce blogue se veut un questionnement sur l'ampleur et la nécessité de la reddition de compte demandée aux organisations communautaire. Mais avant d'entamer le vif du sujet, il est important d'élaborer un court historique de "l'autonomie communautaire":
1988: La nouvelle coalition des organismes communautaires du Québec conçoit une vision commune, soit le respect par l'État de l'autonomie du mouvement communautaire;
1995: La création d'un secrétariat à l'action communautaire autonome (SACA) qui a pour mandat d'élaborer une politique de reconnaissance et de financement de l'action communautaire autonome (ACA);
2001: Adoption d'une politique gouvernementale de reconnaissance et de soutien à l'action communautaire, qui reconnaît l'autonomie des organisations communautaires: "L'action communautaire: une contribution essentielle à l'exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec";
2004: Élaboration d'un comité sur la valorisation et consolidation de l'action communautaire, qui doit élaborer un plan d'action et un cadre de référence pour actualiser la politique.
d'ici décembre 2009: fin prévue des travaux du comité
Donc, l'autonomie du milieu communautaire est un sujet d'actualité puisqu'elle a fait couler beaucoup d'ancre. Quel type de reddition de compte est réservé à ces organismes pour le financement qui leur sont octroyés? Jusqu'où le gouvernement a-t-il le droit de s'insurger dans le fonctionnement dit "autonome" de ces organisations n'étant ni publics, ni parapublics ou même péri-publics? Quelles sont les implications pour leur gestion? La reddition de compte est-elle un mal nécessaire?
Je comprends que l'essence même de l'administration publique passe par le contrôle des activités de l'État. L'intervention de celle-ci se manifeste par les subventions octroyées aux organismes communautaires, une subvention légitimée par l'article 336 de la LSSS, et selon l'article 338, une reddition de compte doit être faite. J'avoue que l'État se retrouve dans une situation difficile, d'un côté elle exerce un rôle protecteur des intérêts des citoyens, soit par l'entremise d'une vérification de l'optimisation des ressources financières déployés, et d'un autre côté, elle doit s'assurer d'un service de qualité pour ces citoyens. Il va s'en dire que les organisations communautaires, par l'entremise de l'émergences des besoins et du modèle interventionniste choisi par l'État, ont contribués à l'accroissement des dépenses publics. Par contre, nous devons garder en tête la loi de Wagner.
Ce n'est pas parce que l'État a une double imputabilité, soit envers l'Assemblée nationale et envers sa population quelle doit être hyper-interventionniste. Les maisons d'hébergement plus spécifiquement, ont vu, depuis l'octroi d'une somme de près de 30 millions (sur 5 ans, une promesse libérale de 2003), augmenté leur niveau reddition de compte. Un y a eu une intervention politique où l'administration (le ministère de la santé et des services sociaux-MSSS par l'entremise de ses Agences) s'est vu octroyé l'imputabilité. Mais pourquoi davantage maintenant? Tant que le financement était minime, le rôle de l'Administration publique n'était-il pas de s'assurer du déploiement optimale des ressources financières? Par contre, depuis, il y a eu une tôler de protestation et de remise en question de notre gestion. Je crois que c'est un bon exemple de la gouvernance en administration publique selon le modèle de Westminster. Le politique a prise une décision d'augmenter le financement et l'exécutif est celui qui exécute la commande et se voit imputable et exerce une pression sur le communautaire.
Cette nécessité d'augmenter le niveau de "contrôle" provient, je crois, du rapport du Vérificateur général de 2008-2009. Ce dernier mentionne clairement que le MSSS manque à son rôle de gestionnaire du soutien financier apporté aux organismes communautaire par l'entremise de son Programme de Soutien aux Organismes Communautaires (PSOC). En effet, le Vérificateur fait une recommandation de revoir plus rigoureusement leurs exigences et leurs suivis. Ce à quoi le MSSS répond par l'entremise d'un plan d'action gouvernementale en matière d'action communautaire (PAG) 2008-2012 et s'engage à être plus virulent dans sa reddition de compte. Les organismes communautaires ont déjà senti l'impact, notamment par l'entremise du document sur la reddition de compte dans le cadre du soutien à la mission globale PSOC où les demandes d'informations sont beaucoup plus détaillées et élaborées. Un suivi plus rigoureux est fait ceci sans comprendre le contexte s'y rattachant.
Ceci dit, ce suivi est pour moi une forme d'ingérence. Le lien de confiance envers les organismes communautaires est mis à l'épreuve. Ex: dans notre organisation trois personnes représentant du MSSS nous ont téléphoné pour la même donnée statistique. De plus, il existe une crainte que les organismes se verront diminuer (ou couper) leurs subventions s'ils ne "cadrent" pas exactement dans les critères gouvernementaux de suivis rigoureux. Aussi, il existe une crainte de comparaison dans la dispensation des services sans tenir compte des facteurs contextuels qui pourrait fausser la représentation de "performance" de l'organisation en question.
Je crois fortement que le communautaire n'est pas contre la vertu, soit que les citoyens savent comment est dépensé leur argent, par contre le contexte de chacun des milieux doit être compris, partagé et accepté par tous les acteurs impliqués. Le but étant d'effectuer une reddition de compte qui répond à la réalité et aux besoins de chacun. Une reddition de compte, oui, mais avec le respect de l'autonomie communautaire...
Sources de références (outre les notes du cours ENP-7505):
Bernier, Pierre " Rappel utile de quelque fondamentaux sur les services publics à l'heure de la remise en cause. Télescope hiver 2007-2008. Tiré des notes du cours ENP 7505 No 1- session automne 2009.
La Direction des communication du ministère de la Santé et des services sociaux du Québec, "La reddition de compte dans le cadre du soutien à la mission globale, programme de soutien aux organismes communautaire" 2008, 21p.. Gouvernement du Québec
Loi sur les services de santé et les services sociaux: L.R. Chapitre S-4.2, mise à jour 1er septembre 2009. Éditeur officiel du Québec 1413 pages.
Mercier, Jean (2002). "L'administration publique: de l'École classique au nouveau management public", Ste-Foy. PUL, 518 pages ISBN 2763778313
Tremblay, Pierre (dir), (1997). "L'État administrateur, modes et émergences, Ste-Foy: Presse de l'Université du Québec, 423 pages. ISBN 2760508897
Sofie T.
ENP 7505, goupe 26
Commentaires
Bonjour Sofie,
Ayant moi-même commencé ma carrière dans un organisme communautaire, je suis à même de comprendre la réalité que tu présentes. L’autonomie dont dispose l’organisme est un des avantages importants du communautaire. Comme tu le décris si bien, tant qu’il n’y a pas trop de fonds investis, l’État n’intervient pas tant que ça. Par contre, il va demander une reddition de compte si le montant octroyé est plus élevé ou si les groupes de pression sont présents et demandent des actions. Est-ce légitime pour le gouvernement de demander une reddition de compte aux organismes communautaires ?
Je pense que cette reddition est nécessaire mais pas à n’importe quel prix. Il doit y avoir un encadrement minimal puisque ce sont les fonds des contribuables et comme nous l’avons si bien appris : TOUT, absolument TOUT doit être approuvé. Pourquoi ? Pour être en mesure d’expliquer et de justifier aux citoyens que chaque sous dépensé l’a été pour leur bien-être individuel mais aussi collectif.
D’un autre côté, il doit y avoir une certaine équité entre le communautaire et les services publiques qui eux doivent rendre des comptes de façon systématique. Je ne crois pas que le communautaire doivent présenter le même type de reddition de compte mais il doit d’en approcher, question de favoriser la bonne gouvernance.
Claude P
Cours jeudi AM