Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

équité

  • Équité en emploi : ou va t'on?

    Équité en emploi : ou va t'on?

    Yvon Douville, mardi PM 

     

    En 1995, le Gouvernement fédéral adoptait la loi sur l'équité en matière d'emploi. L'article 2 de cette loi précise son objet :

     

    Réaliser l’égalité en milieu de travail de façon que nul ne se voie refuser d’avantages ou de chances en matière d’emploi pour des motifs étrangers à sa compétence et, à cette fin, de corriger les désavantages subis, dans le domaine de l’emploi, par les femmes, les autochtones, les personnes handicapées et les personnes qui font partie des minorités visibles, conformément au principe selon lequel l’équité en matière d’emploi requiert, outre un traitement identique des personnes, des mesures spéciales et des aménagements adaptés aux différences.

     

    Cette loi s'applique à tous les employeurs du secteur privé et tous les secteurs de l’administration publique fédérale mentionnés aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques, en plus de d'autres secteurs publics prévus dans la loi.

     

    Après 14 ans de mise en force de cette loi, je me propose d’y jeter un regard. Le sujet étant complexe, mon regard se portera uniquement sur l'équité au niveau de l'emploi des femmes dans la fonction publique fédérale. J'utiliserai avec abondance les statistiques qui sont bénéfiques selon les auteurs Beaud et Prévost (1997) pour une saine gestion de l'administration publique : bon nombre des problèmes qui occupent aujourd'hui le devant de la scène politique ne peuvent être compris qu'une fois situés dans l'espace politico-cognitif structuré par les pratiques statistiques (L'État administrateur p 202). Cela est d'autant plus vrai pour un sujet potentiellement chargé d'émotions comme celui de l'équité en matière d'emploi pour les femmes. Les statistiques permettent de jeter un regard objectif sur une situation donnée qui éclaircissent notre lecture.

     

    Les statistiques qui nous préoccupent sont disponibles publiquement et annuellement sur le site du Conseil du trésor. On y apprend qu'en 1995, les femmes formaient 45 % de la fonction publique fédérale. Ce pourcentage atteignait 52 % en 2001 et 54 % en 2008. Le pourcentage absolu de femmes a donc augmenté de 9 % en l'espace de 15 ans, de telle sorte qu'il y a actuellement plus de femmes que d'hommes agissant comme fonctionnaires pour le gouvernement canadien.

     

    Selon l'objectif de la loi, le nombre de membres des groupes désignés doit refléter leur représentation au sein de la population apte au travail (article 5.1 de la loi). La population active féminine s'établissait à 49 % en 2001 et à 52 % en 2008. En termes absolus, il y a donc 2 à 3 % plus de femmes engagées dans la fonction publique fédérale que leur représentation dans la population. Le rapport 2007-2008 du Conseil du trésor conclut que la représentation des femmes surpasse les prévisions concernant leur disponibilité au sein de la population active.

     

    Mais qu'en est-il de la représentation des femmes dans les diverses catégories professionnelles? La loi, toujours selon l'article 5.1, prévoit que le nombre de membres de ces groupes désignés dans chaque catégorie professionnelle de son effectif reflète leur représentation. Ces catégories sont au nombre de 6. En 2008, les femmes formaient 42 % des effectifs de direction, 45 % du secteur scientifique et professionnel, 62 % de l'administration, 33 % de la technique, 80 % du soutien administratif et 20 % de l'exploitation. On constate une disparité importante selon les catégories.

     

    Devant ces statistiques, le conseil du trésor se propose de prolonger ses efforts afin d'assurer la représentation des groupes désignés dans toutes les catégories professionnelles (rapport 2007-08). Un moyen pour y arriver est d'embaucher plus de femmes dans certaines catégories d'emploi. Manifestement, des progrès sont en cours à cet effet lorsqu'on examine les statistiques d'embauche des nouveaux fonctionnaires en 2008. Par exemple, 45 % des nouveaux employés au niveau de la direction sont des femmes, soit un pourcentage supérieur à celui de leur présence actuelle dans cette catégorie d'emploi. Un deuxième moyen est de donner plus de promotions aux femmes. Encore ici, on est sur une voie positive avec 62 % de toutes les promotions qui sont accordées à des femmes en 2008. Ce pourcentage n'était que de 56 % en 1996.

     

    Après observations de ces statistiques, je conclue que la politique gouvernementale a été sans aucun contredit efficace, dans le sens que l'équité envers les femmes s'est accrue depuis 1995. Plusieurs critères l'indiquent sans aucune ambiguïté : plus de femmes que d'hommes dans la fonction publique, plus de promotion aux femmes, plus d'embauches de femmes. Je suis du même avis que le Conseil du trésor à l'effet que des efforts se poursuivent au niveau d'une juste représentation des femmes dans les diverses catégories professionnelles. Cependant, j'ai certaines remarques et réserves face à la conduite de cette équité.

     

    En tout premier lieu, c'est la notion même d'équité qui m'interpelle. Cette notion n'est pas définie précisément par la loi. On pourrait penser que l’équité parfaite exige qu’il y ait exactement la même proportion de femmes dans la fonction publique que dans la population. Si tel était le cas, on devrait retrouver 52 % de femmes dans la fonction publique, soit leur pourcentage dans la population. Or ce pourcentage est actuellement de 54 %. Selon ce critère, la loi sur l'équité deviendrait inéquitable envers les hommes car les femmes sont sur-représentées! Ce fait est d'ailleurs admis, de connaissance de cause ou non, par le conseil du trésor dans son rapport 2008 : la représentation des femmes surpasse les prévisions concernant leur disponibilité au sein de la population active. Si on poursuivait la croissance actuelle, les femmes formeraient 63 % de la fonction publique dans 15 ans! Il est difficile de percevoir comment cela serait équitable…

     

    On pourrait ironiser à l’effet que le conseil du trésor ne semble proposer aucune mesure pour abaisser le nombre global de femmes dans la fonction publique bien qu’il admet lui-même qu’elles soient sur-représentées. La loi ne prévoit que des mesures qu'en cas de sous-représentation d’un groupe désigné comme les femmes (article 10). S’il y a trop de femmes dans une catégorie professionnelle, on ne met pas en place les mesures spéciales d’accès pour ce groupe. La loi de l’équité semble donc se pratiquer dans un sens : s’il y a trop d’hommes, on favorise les femmes; s’il y a trop de femmes, on ne fait rien! On pourrait imaginer que cette loi pourrait être contestée devant les tribunaux en vertu de la constitution même du Canada qui prévoit selon l'article 15.1 de la charte des droits et des libertés que la Loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. Pourquoi ne pas mettre en place des mesures positives pour que des hommes aient un meilleur accès à des catégories professionnelles où ils sont nettement sous-représentés? Je réclame un peu plus d’équité de la loi sur l’équité!

     

    Je veux revenir en terminant à la façon d’évaluer si l’équité est atteinte ou non en l’appliquant aux catégories professionnelles. Je propose d'admettre que certains emplois se prêtent mieux aux hommes qu'aux femmes et vice et versa au lieu de rechercher l’équité numérique à tout prix. Ce type d'emploi existe pour les hommes : emplois nécessitant le transport de masses élevées, gardiens de prisons pour hommes, etc. L’inverse existe pour les femmes également. Ne pourrait-on pas établir des fourchettes acceptables, par exemple que si les femmes atteignent 40-45 % dans certains emplois, que l'équité est atteinte? Et que si un jour les hommes formaient 30-35 % des adjointes administratives, que l'équité serait obtenue? Peut-on avoir le gros bon sens de poser ces règles au lieu de rêver et porusuivre à tout crin le 50-50?

     

    La loi sur l’équité a donné des résultats. Mais j’ai aussi l’impression que le Gouvernement ne connaît pas ses cibles ou du moins qu’il ne désire nullement les divulguer. Il serait équitable pour tous de connaître les cibles réelles au lieu de bêtement affirmer de prolonger les efforts! Sinon, le gouvernement va tirer dans tous les sens avec le risque de s’embourber dans ses propres règles et susciter un jour la réaction de la population.