Résumé Chapitre 6 de Social-démocratie 2.0 – Les compétences civiques scandinaves – Henri Milner
Lorsqu’il est question des pays scandinaves et de leur modèle de société, on entend souvent dire que la culture étant différente, il n’est pas possible de le transposer au Québec. Le Québec est en Amérique et les Scandinaves (au contraire des Québécois…) sont très disciplinés! Dans le chapitre six (6) de Social-démocratie 2.0, Henry Milner, professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal et spécialiste de la Scandinavie (p. 139), cherche à saisir ce qui fait la particularité culturelle nordique. Dès le début du chapitre, il pose qu’il est vrai que les pays nordiques peuvent compter sur des compétences civiques plus élevées qu’ailleurs en Occident (p. 139, 141). C’est ainsi par ce facteur que l’auteur tentera d’expliquer la différence entre les cultures québécoise et scandinave. Toutefois, pour Milner, il est évident que la compétence civique peut s’acquérir et que les Québécois ne sont pas condamnés à la médiocrité civile contrairement à ce que pourrait laisser entendre la généralisation énoncée plus haut.
Mais qu’entend-on justement par compétences civiques? Milner propose une définition : « capacité des citoyens à comprendre la réalité politique ainsi qu’à identifier les alternatives en matière de partis et de politiques publiques proposées ». Il s’agit en fait de la capacité intellectuelle du citoyen d’être engagé dans les affaires de la Cité. Pour l’auteur, « les compétences civiques s’acquièrent donc par la redistribution matérielle et surtout intellectuelle » (p. 141). L’acquisition et le développement de celles-ci passent principalement par l’éducation des adultes, les cercles de lecture, le soutien aux médias publics ainsi que les librairies populaires (p. 141). L’auteur affirme qu’un bon niveau de compétence civique amène une participation politique et électorale plus importante et favorise la capacité des milieux défavorisés à se représenter eux-mêmes (p. 141).
Après cette brève introduction conceptuelle, l’auteur aborde la question des liens entre la redistribution matérielle et intellectuelle. En fait, l’auteur démontre statistiquement qu’il existe un lien important entre l’équité matérielle et intellectuelle (p. 141-143). En cette matière, les pays scandinaves sont des modèles à suivre (moins d’écart entre les plus et moins éduqués pour la compréhension de la lecture (p. 142), dans la compréhension des institutions européennes (p. 143) et dans les tests de connaissances générales). Bien qu’il semble certain qu’il existe une relation vertueuse entre équité matérielle et intellectuelle (p. 141-142), l’auteur insiste principalement sur un côté de la relation : « Les États les plus développés font donc davantage d’efforts dans le but de transmettre de l’information aux classes les plus modestes, qui militent à leur tour en faveur de politiques sociales plus développées et plus susceptibles de redistribuer la richesse » (p. 143). L’auteur pose que l’acquisition de compétences civiques (redistribution intellectuelle) vient nécessairement avant la redistribution matérielle. Il ne semble pas s’appuyer sur une étude lui permettant de justifier que la relation ne s’effectue pas d’abord à sens inverse. Au-delà de cet accroc méthodologique mineur dans le lien de causalité dû au fait de poser un moment initial dans la relation, l’auteur réussit à démontrer hors de tout doute que des citoyens plus informés font de meilleurs choix sociétaux et mènent à des sociétés plus égalitaires (p. 145).
Dans les pages suivantes (p. 146-151), Henry Milner entreprend de décrire brièvement une multitude de mesures qui permettent d’ « atteindre les compétences civiques ». Encore une fois, ses démonstrations s’appuient sur des données quantitatives. Ainsi, il avancera que le soutien aux journaux et leur circulation ainsi que l’éducation permanente favorisent le développement de compétences intellectuelles nécessaire à la citoyenneté (p. 146). Ensuite, Milner affirme que les systèmes politiques nordiques (fondés sur la construction de consensus politiques dans le cadre d’élections proportionnelles) favorisent en soi le développement des compétences civiques (p. 147). En effet, dans les pays qui choisissent ce mode de scrutin, les connaissances du monde politique sont moins liées au niveau d’éducation (p. 147). Aussi, les Scandinaves sont bien plus nombreux que les autres à suivre la politique et les actualités sur les médias sociaux (p. 148). Finalement, l’auteur évoque l’expérience norvégienne du minitinget, une simulation parlementaire à laquelle tous les élèves norvégiens doivent se soumettre. Elle permet à tous les citoyens de se familiariser avec les processus politiques (p. 150-151). À la lumière des preuves statistiques avancées par Milner, il est indéniable que l’obligation de suivre des cours (plus ou moins formel) d’éducation civique au niveau secondaire ou collégial contribue au développement des compétences civiques.
Après avoir fait un bref portrait des bonnes pratiques nordiques, l’auteur aborde sans ménagement la situation problématique du Québec et du Canada. D’abord, il s’attaque à la question de la participation électorale qui est pour lui symptomatique d’un manque de compétences civiques sans en être la cause (p. 151-152). En fait, pour l’auteur, le problème le plus important du Canada et particulièrement du Québec est la littératie. Il est bien connu, qu’au Québec, environ la moitié de la population est considérée comme analphabète fonctionnelle. Au Canada, 75% de la population n’ayant pas de diplôme d’études secondaires entre dans cette catégorie (p. 153). Considérant le problème du taux de diplomation particulièrement important au Québec (il est en queue de peloton au Canada) (p. 155), cela pose un problème de redistribution intellectuelle important. Sur ce point, la seule source de réconfort concerne le fait que les jeunes générations commencent à rattraper le retard du Québec dans la fédération en éducation secondaire et en littératie en se rapprochant de la moyenne canadienne.
L’auteur conclut le chapitre en rappelant que le développement des compétences civiques devrait être une priorité pour une société souscrivant à un idéal social-démocrate : « Le Québec se targue d’être une société plus solidaire que celle de ses voisins en Amérique du Nord. Or, moins les citoyens s’intéressent aux affaires publiques et à la politique, plus l’État s’affaiblit au profit des autres pouvoirs au sein de la société » (p. 155). Henry Milner propose ainsi de « donner la priorité à la promotion des compétences générales, surtout chez les marginaux, notamment les garçons issus de milieux défavorisés » (p. 156). Il recommande aussi de développer davantage les cours consacrés au développement des compétences civiles à l’école en s’inspirant entre autres du modèle norvégien du minitinget. Finalement, il suggère que l’État soutienne activement l’éducation permanente sous toutes ses formes (des cours d’éducation aux adultes jusqu’aux subventions pour les plus petits journaux). La posture théorique adoptée par l’auteur sous-entend que si l’on appliquait les mêmes mesures qu’en Scandinavie, on pourrait raisonnablement s’attendre aux mêmes résultats. Cela prête à rêver et rappelle qu’une culture politique et sociale est évolutive, qu’il faut l’entretenir, mais qu’on peut aussi activement la développer.
Jean-François Sabourin