La violence faite aux femmes au XXIe siècle
Le Québec et le Canada sont à l’ère d’une société moderne inondée d’informations. De par les journaux, les chaines de nouvelles télévisées, les réseaux sociaux et autres outils web, nous sommes informés des principaux évènements qui surviennent ici et ailleurs. Au cours des dernières semaines, un incident qui a créé une grande couverture médiatique a particulièrement retenu mon attention : des agressions sexuelles sont survenues sur des jeunes femmes dans des taxis de Montréal. Les réactions politiques et sociales qui ont été engendrées m’ont poussée à réfléchir sur la question des agressions, qui fait partie d’une problématique plus large de la violence faite aux femmes.
Débutons d’abord par quelques statistiques intéressantes et pour le moins troublantes. Selon le site Santé et services sociaux Québec1, « 82% des victimes d’agressions sexuelles sont des femmes, 1 femmes sur 3 a été victime d’au moins une agression sexuelle depuis l’âge de 16 ans, les 2/3 des victimes sont âgées de moins de 18 ans, 40% des femmes ayant un handicap physique vivront au moins une agression sexuelle au cours de leur vie, 8 victimes sur 10 connaissent leur agresseur et finalement, près de 90% des agressions sexuelles ne sont pas déclarées à la police ». La lecture et l’analyse de ces données engendrent de nombreuses réflexions: 1) où en sommes-nous rendus avec l’égalité des sexes? 2) les personnes en situation les plus vulnérables, dont les femmes, sont plus sujettes aux agressions de tout genre 3) pourquoi tant de victimes décident de ne pas porter plainte suite à une agression?
Premièrement, la violence faite aux femmes s’inscrit au cœur de notre société qui, par son histoire, a perpétué des rapports inégaux entre les hommes et les femmes. Tel qu’expliqué par l’organisme RCALACS (Regroupement des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel), “notre société, encore fortement teintée de stéréotypes tant masculins que féminins, engendre des rapports d’inégalité entre les hommes et les femmes. Ces rapports inégaux se trouvent à la racine de la violence sexuelle sous toutes ses formes. L’analyse sociale recadre cette violence en tant que problématique de société plutôt que de l’aborder comme un problème individuel.”2 Historiquement, au niveau juridique, les femmes ont longtemps eu un statut inférieur. En effet, le Code civil du Bas-Canada (1866) considérait la femme comme une personne mineure. “Par exemple, un article de loi exige que la femme soit soumise à son mari et qu’en échange, il lui doive protection. “3 Ensuite, les femmes ont seulement obtenu le droit de vote au Québec en 1940, soit 25 ans après les femmes de l’Ouest du Canada. Sont venues par la suite d’autres améliorations de la condition féminine: commercialisation de la pillule contraceptive, légalisation du divorce, représentation de femmes au niveau politique, notion d’équité salariale, etc.
Donc la condition féminine a sans aucun doute grandement progressée au cours des dernières décennies mais malheureusement, il persiste encore un mythe d’infériorité de la femme. Les publicités sexistes qui véhiculent un message d’hypersexualisation de la femme, les films typiquement américains qui illustrent souvent des femmes en détresse sauvées par des hommes forts, les femmes sont sous-représentées dans les postes de haute-direction et l’équité salariale n’est toujours pas atteinte. En effet, “en 2009, on constatait toujours un écart de 12 % entre les salaires moyens des femmes et des hommes, toutes catégories confondues.)4
Ensuite, une question d’enjeu majeur: pourquoi la majorité des victimes d’agression préfère ne pas porter plainte? Plusieurs raisons contribuent au silence des victimes d’agression, telles que celles énoncées par le Regroupement des CALACS: “les mythes et prejugés, la crainte des représailles de l’agresseur, l’impression d’être la seule à vivre cette situation, le fait d’avoir des sentiments confus à l’égard de l’agresseur, la crainte des démarches judiciaires, la peur de perturber la vie de ses proches et l’impression d’être responsable de l’évènement.”6
Par ailleurs, la réaction de la SPVM suite aux agressions récentes des 4 jeunes femmes dans des taxis de Montréal m’a scandalisée. La police a émis les recommandations aux femmes de ne pas prendre de taxis seules le soir, de ne pas consommer d’alcool et de rester en contrôle. Cette déclaration de la police tend à faire porter le blâme sur les victimes, plutôt que de les rassurer. Aussi, le message qui est perçu par la population est que les femmes sont en quelques sortes toutes des victimes potentielles d’agression et doivent faire en sorte de se protéger elles-même. Il n’est nullement mention de mesures prises ou même envisagées pour retrouver le ou les agresseurs et pour prévenir que d’autres incidents du genre surviennent. Cette décalaration ne risque pas d’améliorer l’opinion populaire de la SPVM qui n’est pas très reluisante, causée entre autres par le Printemps étudiant en 2012 et les récentes mesures de pression pour contester le projet de loi sur les régimes de retraite. Cela n’a fait que renforcer l’impression que la SPVM n’est pas là pour assurer la protection des citoyens. Rappellons pourtant que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a pour mission de, en vertu des articles 48 et 69 de la Loi sur la police, L.R.Q. c. P-13.1, “protéger la vie et les biens des citoyens; de maintenir la paix et la sécurité publique; de prévenir et de combattre le crime et de faire respecter les lois et règlements en vigueur”.5
En conclusion, il est clair que l’égalité hommes-femmes n’est toujours pas atteinte au Québec comme ailleurs dans le monde. Au sein de pays démocratiques, industrialisés et modernes comme le Québec et le Canada, il persiste une culture patriarcale qui interagit avec d’autres formes de discrimination, comme le sexisme, le racisme et l’hétérosexisme, ce qui place les femmes, en particulier celles de minorités visibles, en position d’infériorité et les mets plus à risque d’agression. Aussi, la SPVM, comme tout autre corps policier, devrait véhiculer dans les médias un message d’ouverture, de respect et de dignité aux victimes d’agression, ce qui encouragerait davantage les victimes d’agressions, passées ou futures, à porter plainte.
C.D.
Références bibliographiques
SANTÉ ET SERVICES SOCIAUX QUÉBEC (2014). Agressions sexuelles, Québec, Québec, Gouvernement du Québec, en ligne :
http://www.msss.gouv.qc.ca/sujets/prob_sociaux/agression_sexuelle/index.php?des-chiffres-qui-parlent
RCALACS (2014). Mettre fin à la violence au nom d’une réelle égalité entre les sexes, Recommandations du RQCALACS addressée au Comité interministériel de coordination en matière de violence conjuguale, familiale et sexuelle. En vue du 3e plan d’action gouvernemental en matière d’agression sexuelle. En ligne:
http://www.rqcalacs.qc.ca/administration/ckeditor/ckfinder/userfiles/files/Publications/Recom3planViolencesSexuelles_RQCALACS2014.pdf.pdf
LIGNE DU TEMPS (2013). En ligne:
http://www.lignedutemps.qc.ca/pdf/evenements_egalite.pdf
Le Devoir (8 mars 2011), en ligne:
SERVICE DE POLICE DE LA VILLE DE MONTRÉAL (2014). Mission, vision, valeurs. En ligne:
http://www.spvm.qc.ca/fr/Pages/Decouvrir-le-SPVM/lOrganisation/Vision-valeurs-et-mission
REGROUPEMENT QUÉBÉCOIS DES C.A.L.A.C.S(2012). Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel. En ligne:
http://www.rqcalacs.qc.ca
Commentaires
La réalité qui entoure la violence faite aux femmes et particulièrement aux jeunes filles me touche particulièrement. On pourrait sortir d'autres statistiques tout aussi troublantes que celles dont vous faites mention dans votre bloque comme par exemple, que la majorité des agresseurs sont connus de la victime. Agresser sexuellement une personne, c'est lui arracher son âme, son innocence... Lorsque cette personne a le courage de porter plainte (1 sur 10) une série d'événement s'en suit qui peuvent avoir l'effet de revictimiser cette personne (famille qui ne la croit pas, interrogatoire à la police, témoignage en cour, contre-interrogatoire, etc. ) surtout que la victime va devoir faire face à son agresseur et témoigner devant lui au tribunal (heureusement, il y a des exceptions).
Il existe un plan d'action gouvernemental en matière d'agression sexuelle (2008-2013) qui oblige entre autres que chaque région ait un Centre désigné pour les victimes d'agression sexuelle avec une offre de services bien précise. Malheureusement, les plans d'action gouvernementaux ont des limites. Une limite, dans ce cas précis, est au niveau de l'implantation des recommandations. Concrètement cela signifie que selon l'endroit où vous demeurez , vous ne recevrez pas les mêmes services et ce, malgré un plan d'action gouvernemental. L'horreur en lien avec cette réalité, est que l'implantation des recommandations de ce plan d'action est essentielle pour optimiser les chances d'une victime de débuter, un jour, un processus de guérison.
Nous devons aller plus loin dans nos actions pour protéger les plus vulnérables de notre société.
Merci pour le sujet !
La réaction de la SPVM montre de manière flagrante la mentalité trop répandue selon laquelle les femmes "courent" après les agressions. Malheureusement, cette mentalité machiste est trop répandue et pas seulement au Canada. En Angleterre, la problématique d'agressions sexuelles est si grave que les autorités ont proposé de réserver des wagons de métro pour les femmes dans le but de les protéger de possibles prédateurs! (1)
Cette pratique d'isolement nuit à la condition féminine d'une part car on tente de régler un problème par la ségrégation, et d'autre part car on ouvre la porte au blâme systématique de la victime qui n'aurait pas su se protéger car elle n'était pas dans le bon wagon.
Pour en revenir au Québec, l'industrie du taxi, composée majoritairement d'hommes, devrait être régie par des lois beaucoup plus strictes. Le Québec doit absolument se doter de mesures précises pour mieux encadrer la pratique, que ce soit par la vérification systématique du casier judiciaire des chauffeurs que par des mécanismes de représailles axés sur la punition des contrevenants.
Au lieu de cela, les autorités s'en remettent à ce qu'elles connaissent le mieux, soit de donner des directives aux victimes pour qu'elles se protègent elles-mêmes. Ce faisant, elles occultent totalement le rôle de l'abuseur dans cette problématique, légitimant tacitement la perpétuation de comportements criminels.
Le respect de la personne passe aussi par le respect de son intégrité physique - nous faisons donc face à une incapacité à faire respecter un droit fondamental ici même au Québec. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire en ce qui concerne l'égalité des sexes, ne nous en déplaise.
Merci de cet article.
Source:
(1) Des wagons réservés aux femmes dans le métro de Londres ? Polémique. TV5 Monde, 9 octobre 2014, (en ligne) http://www.tv5monde.com/cms/chaine-francophone/Terriennes/Dossiers/p-29276-Des-wagons-reserves-aux-femmes-dans-le-metro-de-Londres-Polemique.htm (Consultée le 27 octobre 2014)
Les agressions sexuelles constituent une des plus grandes atteintes à l'intégrité d'une personne, quelque soit son sexe ou son âge. Je crois qu'il y a encore un travail important de sensibilisation et de repérage à faire dans notre système de santé, d'éducation et de justice pour mieux outiller les professionnels appelés à intervenir auprès des victimes, si nombreuses. En-dehors du champ spécifique de la victimologie, rares sont les formations qui approfondissent le sujet. Je crois qu'au-delà de la dénonciation, les victimes d'agression sexuelle ont avant tout besoin d'être écoutées et respectées dans leur vécu.