La politique de gestion des nouveaux risques en santé : exemple du risque infectieux lié au retraitement des dispositifs médicaux
Au cours des dernières années, le développement des technologies diagnostiques et thérapeutiques dans le domaine de la santé est impressionnant. Nous assistons à des chirurgies de pointe beaucoup moins invasives que dans le passé et à des méthodes de diagnostic dotées de précision et de spécificité sans précédents. Ces exploits n’auraient pas pu avoir lieu sans l’utilisation d’instruments et d’appareils sophistiqués mais également complexes dans leur conception.
C’est au niveau de cette complexité de conception que commencent les problèmes qui vont impliquer le risque d’infections aux patients dont on parle dans les médias (1,2,3,4,5). Depuis les années 90s, ce développement technologique est accompagné de normes de retraitement des dispositifs médicaux (RDM) strictes et exigeantes, qui ont pour objectifs d’outiller les professionnels sur le terrain afin d’assurer des soins de qualité et sécuritaires. Très souvent, en cas de bris dans le processus de RDM, la marge de sécurité que procurent les normes réduit le risque d’infections aux usagers à un niveau très faible voire même négligeable.
Au Québec, depuis l’événement des alésoirs à cotyle en 2004 (1), la médiatisation des épisodes de rappel de patients exposés à « un risque d’infection » à cause de l’utilisation de dispositifs médicaux (DM) se multiplient. L’impact de tels événements sur le réseau de santé mais également sur la population générale est important. D’où viennent ces décisions de rappel ? Comment les autorités de la santé à différents niveaux interviennent dans ces situations ? Quelles leçons en tirer ?
Aperçu sur la Loi et la réglementation en lien avec la gestion de ces événements
En cas d’accidents de soins touchant des patients, l’établissement est tenu de les informer conformément à l’article 8 de la Loi sur la santé et les services sociaux, qui précise que :
« Tout usager des services de santé et des services sociaux a le droit d’être informé […] le plus tôt possible, de tout accident survenu au cours de la prestation de services qu’il a reçus et susceptible d’entraîner ou ayant entraîné des conséquences sur son état de santé ou son bien-être ainsi que des mesures prises pour contrer, le cas échéant, de telles conséquences ou pour prévenir la récurrence d’un tel accident». Dans le cadre du RDM, le ministère de la santé et des services sociaux (MSSS) défini le terme « accident » comme étant toute situation qui a touché l’usager, que celle-ci ait donné lieu à des conséquences ou non pour l’usager. Néanmoins, on doit s’assurer que ces conséquences soient réelles, même si elles ne sont pas encore apparentes ou manifestes au moment de la divulgation de l’information (6).
En plus de la responsabilité locale, la gestion des accidents en RDM fait appel à l’intervention des Agences et du MSSS (incluant ses organismes-conseils comme l’INSPQ). Au niveau régional, l’Agence de santé et des services sociaux, par le biais de la LSSSS (L.R.Q., chapitre S-4.2), doit assurer le soutien aux établissements afin d’évaluer les problématiques et émettre les recommandations pertinentes. Pour ce faire, en cas de problématiques complexes en RDM, elle agit en collaboration avec les experts de son territoire, entre autres à la Table régionale de prévention des infections nosocomiales et, au besoin, avec le soutien du CERDM de l’INSPQ (6) afin d’évaluer les risques et la « pertinence » de procéder au rappel des patients.
Le processus décisionnel entre la conclusion scientifique et l’obligation légale
Pour schématiser le processus qui abouti aux décisions de rappel, on peut le présenter en 2 étapes :
Le premier palier d'expertise est composé d'experts pratiquant une analyse scientifique et technique. Il doit analyser et graduer les hypothèses de risque et retient celles qui sont possibles. Ceci nécessite des données scientifiques fiables et un raisonnement logique, débouchant sur une conclusion qui exprime la possibilité de survenue et la gravité de l'impact d'un danger sur la santé de la population exposée. Le second palier est celui des gestionnaires-décideurs qui devraient se baser sur les conclusions du premier palier pour procéder ou non à un avertissement de la population. Il est à noter que la décision finale dans le cadre du RDM relève de la direction générale de l’hôpital à qui revient le choix d’appliquer ou non les recommandations des experts.
Ce qu’on constate dans le cadre du risque lié aux DM ayant fait l’objet de rappel, c’est que le risque pour la santé est jugé scientifiquement négligeable, de l’ordre de <1 sur un million voire <1 sur des milliards pour certains pathogènes. Ces probabilités sont tellement faibles que les individus ont plus de risque de contracter l’infection par d’autres voies dans leur vie courante que part cet « accident » de soins.
Les expériences vécues jusqu’à date nous ont montré que ces rappels n’ont révélé aucun cas positif relié aux événements, appuyant ainsi les conclusions des comités scientifiques en santé publique. Nonobstant ces résultats négatifs, des patients impliqués vont même jusqu’à entamer des procédures de recours collectif pour des millions de dollars à cause de « l’anxiété, les inquiétudes et le stress qu’ils disent avoir vécu après avoir appris qu’ils sont porteurs de virus mortels » (1). Il faut noter que le rappel de plusieurs centaines ou milliers de patients ne va pas sans conséquences financières considérables : coûts directs et indirects dus à la mobilisation extraordinaire des ressources du réseau en un temps record pour maîtriser la crise. À titre d’exemple, une procédure de rappel de quelques centaintes de patients peut coûter plus d’un million de dollars, des sommes importantes qui auraient pu être investies, selon des spécialistes dans des soins cruciaux pour la population, surtout dans un contexte budgétaire contraignant comme celui que le réseau vit actuellement.
En fait, déterminer ce qui est un niveau acceptable de risque pour la société est une responsabilité éminemment politique. Il est certains que le décideur, confronté à une notion de nouveau risque encore inacceptable et aux préoccupations du public, a le devoir de trouver des réponses et se doit d’agir dans un système où la montée des pressions juridiques et assurantiels est puissante. Par conséquent, dans ce contexte contraignant, et afin de soutenir les décideurs dans leurs politiques, le développement des technologies médicales et les nouveaux risques associés, impliquent l'évolution parallèle de la conception des décisions. Cette évolution ne peut avoir lieu sans le partage des responsabilités d’un point de vue décisionnel entre les différentes parties prenantes, incluant le corps scientifique, administratif mais aussi les usagers du système de santé qui doivent être de plus en plus habitués à l’absence du « risque zéro ».
Dans un domaine complexe comme celui de la sécurité sanitaire, la mise à jour du cadre légal et des règlementations accompagnant ce dernier doit être revue régulièrement afin d’inclure les nouvelles considérations et orienter le plus efficacement possible les décideurs dans leurs politiques d’intervention.
El Harchaoui A.
Références
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Rappel lié aux Alésoirs à cotyle
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Rappel lié aux échoendoscopes
http://www.radio-canada.ca/regions/quebec/2013/06/05/009-hotel-dieu-levis-rappel-patients.shtml
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Rappel lié aux plaques d’impaction en orthopédie
http://ici.radio-canada.ca/regions/estrie/2014/04/03/007-rappel-patients-infections-granby.shtml
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Rappel à des pistolets à biopsie
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Rappel lié à des endoscopes - Ottawa
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MSSS. Guide à l’intention des établissements. Responsabilités et gestion d’un événement indésirable lié au retraitement des dispositifs médicaux réutilisables.2013
Commentaires
n sujet pointu El Harchaoui...mais qui soulève des enjeux en effet.
Prof