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La ferme d’animaux à fourrure en Montérégie : À qui la responsabilité?

Le 14 août dernier, le Journal de Montréal a rapporté que le Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec (MFFP) n’avait pas respecté son obligation d’appliquer les lois en vigueur en refusant de secourir des animaux en détresse élevés dans une ferme d’animaux à fourrure en Montérégie [1]. Cette annonce a soulevé l’indignation d’organismes qui se portent à la défense des animaux et a suscité des réactions dans la population suite à la diffusion de reportages dans les médias.

Mise en situation

En mai 2014, des membres du personnel de la Société protectrice contre la cruauté des animaux de Montréal (SPCA) ont visité une ferme d’élevage d’animaux à fourrure à Saint-Jude suite à la réception d’une plainte pour cruauté animale. Ils auraient constaté sur place que des animaux étaient souffrants et vivaient dans des conditions de vie insalubres. La SPCA a transféré le dossier au Ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs (MFFP) pour l’application de la législation provinciale relative aux animaux sauvages en captivité [2].

Plusieurs inspections de la ferme d’élevage ont été effectuées au cours de l’été par des agents de protection de la faune du MFFP. Dans le cadre de ces visites, des constats d’infraction auraient été remis au propriétaire de l’élevage en lien avec la salubrité, l’accès à l’eau courante et les soins [3]. Au début août, un groupe de vétérinaires et d’experts de la faune de la SPCA et de la Humane Society International/Canada (HSI/Canada) ont accompagné des membres du MFFP afin de procéder à la saisie de 16 renards arctiques, une espèce particulière gardée en captivité sans permis.

Suite à leurs visites de la ferme d’élevage, la SPCA et la HSI/Canada ont réclamé le retrait des animaux de l’installation en raison de leur état de santé qui se serait détérioré depuis le printemps. Le MFFP n’a pas donné suite à leur demande en justifiant que le  propriétaire avait collaboré et apporté des soins aux animaux. La SPCA et la HSI/Canada ont déploré dans les médias l’inaction du gouvernement d’utiliser ses pouvoirs afin de porter secours aux animaux de la ferme d’élevage. Ils ont adressé une mise en demeure au Ministre Laurent Lessard (MFFP) pour souligner les infractions importantes à la législation actuelle et les pouvoirs de saisie du ministère en cas de non-conformité. La SPCA envisage des recours judiciaires à l’égard du ministère s’il ne prend pas action [4].

Analyse

En se référant aux reportages et aux images des animaux qui ont été médiatisés au cours des dernières semaines, nous sommes en droit, comme citoyens, de réagir et de nous questionner sur les interventions du MFFP. Comment se fait-il que des animaux visiblement souffrants soient gardés en captivité au vu et au su du MFFP? N’est-il pas de la responsabilité du ministère d’appliquer la loi? La SPCA est-elle justifiée de mettre en demeure le MFFP? Pourquoi permettre au propriétaire d’opérer une ferme d’élevage d’animaux à fourrure?

Pour mieux cerner la situation, il importe d’en comprendre les fondements juridiques. D’abord, il faut savoir que l’élevage d’animaux uniquement pour leur fourrure n’est pas interdit au Canada contrairement à certains pays dans le monde comme l’Autriche et l’Angleterre. Avant d’établir son entreprise, le propriétaire d’élevage d’animaux à fourrure doit «s’assurer d’obtenir toutes les autorisations requises de sa municipalité et du ministère du Développement durable» [5]. Nous devons préciser ici qu’une des principales difficultés réside, non pas dans la mise en place de l’entreprise, mais davantage dans l’encadrement des pratiques internes qui s’y opèrent. Ainsi, il existe actuellement des lacunes importantes de la loi régissant la faune et les animaux maintenus en captivité. Par exemple, il n’y a pas de législation québécoise qui exige l’obtention d’un permis pour les propriétaires des fermes d’élevage d’animaux à fourrure. Des programmes d’inspection réguliers des installations concernées ne sont pas non plus prévus par la loi. Par conséquent, nous pouvons en déduire que ce commerce lucratif est susceptible de donner lieu à des pratiques abusives de la part de certains propriétaires et ainsi occasionner des souffrances inutiles aux animaux.

La SPCA a demandé au ministère d’intervenir en retirant les animaux de la ferme d’élevage en se référant à la Loi provinciale sur la conservation et la mise en valeur de la faune. Celle-ci établit «diverses interdictions relatives à la conservation des ressources fauniques ainsi que diverses normes en matière de sécurité et elle énonce les droits et obligations des chasseurs, pêcheurs et piégeurs» [6]. Elle contient un règlement sur les animaux en captivité qui explique notamment les responsabilités des personnes qui en ont la garde et les pouvoirs de saisie des autorités compétentes, en l’occurrence les agents de protection de la faune, dans le cas de non-respect des articles mentionnés. Il importe de souligner que le Code criminel prévoit aussi des infractions relatives à la cruauté envers les animaux. Cependant, dans le cas présent, nous ne détenons pas d’informations à l’effet que des accusations criminelles ont ou seront portées envers le propriétaire de la ferme d’élevage.

Nous savons que la présence d’une loi n’est toutefois pas garante de son application et surtout de son interprétation. Dans ce contexte, le MFFP souligne être intervenu en procédant à plusieurs inspections sur la ferme d’élevage et en demandant au propriétaire d’apporter certains correctifs quant aux soins apportés aux animaux sur place. Ces mesures n’ont toutefois pas été jugées suffisantes pour la SPCA qui estime que les animaux sont toujours en danger [4]. Les deux parties ne s’entendent clairement pas sur la condition de santé des animaux observés dans le cadre de leurs visites et sur les suites à donner.

En tenant compte de la mise en situation rapportée et du contexte juridique, devons-nous croire que la solution réside dans une modification et une application plus rigoureuse des lois en vigueur? Bien que cette piste soit prometteuse, une réflexion collective plus globale s’impose non seulement sur les normes et mesures entourant l’élevage des animaux à fourrure, mais également sur la protection et le statut juridique que nous souhaitons accorder aux animaux en général dans notre société. À ce titre, il n’y a pas de doute, le Québec peut améliorer son classement.

Finalement, au-delà des lois, pour parvenir à des changements durables, nous avons également une responsabilité comme citoyens et consommateurs, soit celle de restreindre ou à tout le moins questionner nos propres comportements susceptibles de contribuer au développement de tels commerces. Les animaux ne s’en porteront que mieux…et nous aussi.

Nathalie Hurtubise

 

Sources

1. DESPLANQUES, Anne-Caroline (Page consultée le 28 septembre 2014). Pas de saisie envisagée pour les renards et les visons, [en ligne],http://www.journaldemontreal.com/2014/08/14/pas-de-saisie-envisagee-pour-les-renards-et-les-visons

2. SPCA DE MONTRÉAL (Page consultée le 21 septembre 2014). Le gouvernement du Québec refuse de secourir des renards en détresse élevés dans une ferme d’animaux à fourrure,  [en ligne],http://www.spca.com/?p=9772&lang=fr

3. COLLEU, Mélanie (Page consultée le 28 septembre 2014). Les renards ne seraient plus en danger?, [en ligne],http://www.journaldemontreal.com/2014/08/18/les-renards-ne-seraient-plus-en-danger

4. SPCA DE MONTRÉAL (Page consultée le 21 septembre 2014). La SPCA de Montréal met le Ministère de la faune en demeure d’agir dans le dossier de l’élevage d’animaux à fourrure en Montérégie, [en ligne],http://www.spca.com/?p=9826&lang=fr

5. CRAAQ (Page consultée le 28 septembre 2014). Portrait de la production des animaux à fourrure, [en ligne],http://www.craaq.qc.ca/data/DOCUMENTS/EAB022.pdf

6. QUÉBEC (Page consultée le 4 octobre 2014). Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune, [en ligne],http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/C_61_1/C61_1.html

Commentaires

  • Wow! Cet article est complet et très informatif. Voici un sujet que l'on n'entend pas souvent parler. Pour ma part, je n'étais pas vraiment au courant des enjeux de la traite de fourrure au Québec. J'ai été intéressée d’apprendre sur l'aspect juridique de la situation. J'ai aussi aimé les critiques et les questionnements amenés tout au long de l'article. Enfin, la fin du blogue amène une sensibilisation des consommateurs, ce qui, je trouve, était très pertinent dans ce cas-ci, car nous sommes la cause principale du roulement de ces entreprises. Nous sommes donc impliqués dans cet enjeu (pourtant nous n'en prenons pas toujours compte).

  • Une question qui nous interpelle de plus en plus...faut la regarder par le hublot de l'A. P. comme vous le faites Nathalie
    Bravo

  • Nous avons tendance en tant qu'êtres humains à tout nous approprier et à exploiter les ressources comme bon nous semble et selon nos besoins. L'exploitation des animaux a toujours été et sera toujours, malheureusement d'actualité. Nous avons divers besoins par rapport à la consommation des animaux. Par contre, consommation ne doit pas rimer avec maltraitance! Il est de notre devoir de citoyen, comme le souligne si bien Nathalie, de veiller au bien-être des animaux et de défendre leur droit. Il me semble que c'est légitime étant donné qu'ils donnent leur vie pour combler nos besoins. Selon moi, il faut sensibiliser davantage les gens par rapport à leur consommation afin qu'ils soient conscients de leur impact sur la nature. Bravo Nathalie, un blogue très enrichissant qui permet de voir l'impact que l'administration publique peut avoir sur la nature.

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