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Est-ce que les enfants ont le droit, eux aussi, de mourir dignement?

Le droit des personnes en fin de vie est un sujet d’actualité présent au Québec depuis de nombreuses années,  mais également au niveau international. Certains pays, comme la Belgique, la Suisse et le Luxembourg se sont déjà positionnés sur le sujet, en légiférant sur le droit à l’euthanasie « active » alors que pour plusieurs autres l’euthanasie « passive », c’est-à-dire l’arrêt des traitements actifs, s’est avéré être une approche plus acceptable (Hongrie, Mexique, Finlande, etc). Le mot « euthanasie » lui-même est source de malaise et de connotation négative. Bien au-delà d’un problème linguistique, le droit de terminer sa vie dignement amène de nombreux questionnements au  niveau clinique, éthique, social et législatif.

 

Pour le gouvernement du Québec, l’accès aux services et la protection des usagers, tant pour la défense de leurs droits que pour la qualité des services dispensés, apparaissent comme des préoccupations constantes tout au long des réformes mises de l’avant depuis les années 1960 (Lamontagne et Prémont, 2011). Dans cet esprit, le projet de Loi 52 a été présenté à l’Assemblée Nationale par madame Véronique Hivon, Ministre déléguée aux Services sociaux et à la Protection de la jeunesse, à l’automne 2013. Selon l’OIIQ (2013) le projet de Loi présenté reflète une tendance exprimée par une proportion de plus en plus grande de la population d’avoir accès à des soins de fin de vie qui permettent aux personnes de vivre en toute quiétude et dans le respect de sa dignité.  Le Collège des médecins renchérit, dans son mémoire sur la Loi concernant les soins de fin de vie (2013), en disant qu’il respecte la perspective initiale des médecins : aborder les soins de vie dans leur ensemble, reconnaitre au patient son droit légitime d’exprimer ses volontés quant aux soins qu’il souhaite obtenir en fin de vie et finalement, la nécessité de protéger les personnes les plus vulnérables.  Le chef de l’opposition, monsieur Philippe Couillard, lors d’une entrevue accordée à Radio-Canada, le 27 janvier 2014, accorde son appui en disant : « Dans des circonstances exceptionnelles, où on baisse les bras parce qu’on n’a plus rien à offrir à la personne devant nous, il faut donner une solution aux citoyens qui leur permette d’exprimer leur volonté ». Finalement, à la séance de l’Assemblée nationale du 29 octobre 2013, l’État de droit se positionne et exerce son pouvoir législatif : 84 députés accordent leur appui au projet de Loi 52, contre seulement 26 députés défavorables.

 

Le projet de loi répond à un besoin exprimé, la majorité est d’accord sur ce point. La population étant de plus en plus vieillissante au Québec (la proportion des 65 ans et plus atteindra 24% dans un peu moins de 29 ans selon les prévisions) (Michaud et al, 2011), il est fort à parier que les services aux personnes en fin de vie ne feront que s’accentuer. Le projet de Loi 52 arrive donc à point.

 

Dans le processus consultatif,  plusieurs ordres professionnels ont pu exprimer leurs points de vue face à certains points du projet de Loi, par le biais de recommandations. Bien que majoritairement en faveur, tous ont apporté une perspective, parfois commune, parfois différente,  du libellé de certains articles. Certaines recommandations ont été prises en compte et des modifications ont été apportées, dans le projet de Loi lui-même mais également à d’autres documents législatifs (Code civil du Québec, Code de procédure civile, Loi médicale et Loi sur la santé et les services sociaux).

 

À la lecture des documents consultatifs et du projet de Loi lui-même, je me questionne sur un point important. À la section II, article 26, il est mentionné que seule une personne qui satisfait à certains critères peut obtenir l’aide médicale à mourir : être majeur, apte à consentir aux soins et être assuré au sens de la Loi sur l’assurance-maladie, être atteint d’une maladie grave et incurable, avoir une situation médicale caractérisée par un déclin avancé et irréversible et finalement, éprouver des souffrances physiques et psychiques constantes et insupportables. L’accès à l’aide médicale à mourir exclu donc la clientèle âgée de moins de 18 ans.

 

Chaque année au Canada, environ 5 000 enfants âgés de 1 à 19 ans meurent d’une maladie mortelle (Association canadienne des soins palliatifs, 2006). L’impact de ces décès est inouï, autant pour les enfants aux prises avec parfois de grandes douleurs physiques et psychiques, mais également pour les familles qui les suivent dans leur parcours, jusqu’à la fin. Bien documentés, les soins palliatifs pour la clientèle adulte sont bien organisés au Québec, mais qu’en est-il pour la clientèle pédiatrique? En fait, selon l’Association canadienne des soins palliatifs (2006) 75% à 80% des décès chez les enfants au Canada se produisent dans des unités de soins intensifs hospitalières ; certainement pas un milieu optimal pour les enfants en fin de vie et leur famille.  En excluant la clientèle pédiatrique du projet de Loi 52, on oublie que les souffrances physique et psychologique n’ont pas d’âge et que les enfants, ou leurs parents, pourraient avoir leur mot à dire à ce sujet.

 

L’exclusion de la clientèle mineure est selon moi contradictoire au Code civil du Québec. Dans un premier temps, parce que le consentement aux soins requis par l’état de santé du mineur est sous la responsabilité parentale ou du tuteur (article 14), une personne majeure, en situation d’autorité parentale, devrait avoir le pouvoir de prendre cette décision pour son enfant en fin de vie.  Également, toujours selon l’article 14 du Code civil : « le mineur de 14 ans et plus peut consentir seul à ses soins ».  L’exclusion de la clientèle de moins de 18 ans, telle qu’énoncé dans le projet de loi, me semble discutable pour le moment. Des ajustements dans les documents de loi me semblent importants à apporter afin de limiter ou de clarifier ces contradictions. D’un autre côté, au niveau international, seul la Belgique a adopté, en février 2014, une loi permettant l’euthanasie chez les mineurs, ceux-ci possédant tout-de-même un recul de douze ans face à celle des adultes. Le Québec ne possède pas ce recul, conséquemment, une approche plus conservatrice semble davantage convenir à la population québécoise car la mort demeure un sujet tabou, encore plus lorsqu’il s’agit de mortalité infantile.

 

En conclusion, le projet de Loi 52 est un premier pas vers un respect de la dignité de la personne en fin de vie et la limitation des souffrances occasionnées par des conditions cliniques extrêmement graves.  Tout aussi grave, la condition des enfants en fin de vie demande la poursuite du questionnement en lien avec le droit d’accès à l’assistance médicale à mourir, car bien que « plus petits », ils ont également droit au respect et à la dignité lors de leurs derniers moments parmi nous.

 

 

SL

 

 

Références

 

Assemblée nationale (2013). Projet de loi 52, Loi concernant les soins de vie. Éditeur officiel du gouvernement du Québec.

 

Association canadienne de soins palliatifs et Réseau canadien de soins palliatifs pour les enfants (2006). Soins palliatifs pédiatriques, principes directeurs et normes de pratique.

 

Collège des médecins (2013). Mémoire Projet de loi 52, Loi concernant les soins de vie. Présenté à la Commission de la santé et des services sociaux.

 

Gouvernement du Québec, Code civil du Québec.

 

Lamontagne, R. et Prémont, M-C (2011). Dans : Secrets d’États ? Les principes qui guident l’administration publique et ses enjeux contemporains. Presse de l’Université Laval.

 

Mercier, Jean (2002). L’administration publique : de l’École classique au nouveau management public, Sainte-Foy.

 

Michaud, N. et all. (2011). Secrets d’États ? Les principes qui guident l’administration publique et ses enjeux contemporains. Presse de l’Université Laval.

 

Ordre des infirmiers et infirmières du Québec (2013).  Mémoire sur le Projet de loi 52, Loi concernant les soins de vie. Présenté à la Commission de la santé et des services sociaux.

 

Commentaires

  • St-L
    Un blogue touffu, bien argumenté, dense , réféchi et...
    appuyé sur des principes d'administration publique que nous déterrons bien. Une lecture attentive nous amènera d'autres réflexions bien sûr ! À+

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