La protection du patrimoine foncier agricole via une SADAQ ?
Au cours de la dernière année, les producteurs agricoles, par l'intermédiaire de leur syndicat, l'Union des producteurs agricoles (UPA), faisaient entendre leur souhait de voir naître ce qu'ils ont nommé une Société d'aménagement et de développement agricole du Québec, une SADAQ. On prend exemple sur la France qui a elle-même mis sur pied en 1960 la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER).
Cet intérêt pour ce genre de société vient du fait que les terres agricoles font l'objet d'un intérêt pécuniaire, voir spéculatif, d'investisseurs locaux et internationaux n'ayant pas le statut de producteur agricole. Ces investisseurs qui prennent la forme de fonds d'investissement ou de sociétés privées seraient plus intéressés par le rendement des terres et de leur production qu'un mode plus durable de production où la pérennité et la qualité des sols prennent tout son sens. Quand on sait que la valeur globale des terres québécoises équivalait en 2012 à 11 754$/ hectare, soit 2 960$ l'hectare de plus que l'année précédente et que ces dernières connaissent une hausse de valeur de 400% depuis les 20 dernières années, on comprend l'enjeu financier qui se dessine.
En 2012, c'est à la demande de l'UPA que l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) a réalisé une étude intitulée "L’accaparement des terres et les dispositifs d’intervention sur le foncier agricole". Les conclusions de cette étude révèlent que les actifs agricoles sont une source importante de diversification du portefeuille d'investisseurs internationaux. Également que la société agricole québécoise aurait avantage à être proactive et se doter d'une structure organisationnelle agissant sur les capitaux fonciers que sont les terres agricoles. À la suite des conclusions de cette étude, l'IREC, toujours pour le compte de l'UPA, réalisait une autre recherche sur la proposition de mise sur pied d'une Société d'aménagement et de développement agricole du Québec. La SADAQ aurait pour mandat de constituer une banque de terres qu'elle offrirait en vente par appel de candidatures. Une préoccupation particulière serait apportée à la relève agricole. Pour l'achat des parcelles de terre, elle pourrait se prévaloir d'un droit de préemption, soit celui d'avoir priorité d'achat sur les actifs agricoles lorsqu'ils se retrouvent sur le marché.
Une autre étude a été réalisée en 2013 par le Centre universitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) pour le compte du Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ) cette fois-ci. Les conclusions de cette recherche démontrent qu'il n'y aurait pas, ou peu, de phénomène important d'accaparement des terres par des non-agriculteurs. Contrairement à d'autres provinces, états ou pays, le taux de propriété par des agriculteurs au Québec est très élevé (84%). La menace ressentie par le milieu agricole serait-elle plus émotive que factuelle ? Les premiers indices d'investissement se font toutefois ressentir. C'est d'ailleurs une autre conclusion de l'étude de CIRANO. On constate en effet que les capitaux privés pour l'acquisition des terres agricoles commencent à s'organiser au Québec. Le mouvement est d'ailleurs mondial. Le Québec n'y échapperait pas.
Le gouvernement du Québec, malgré l'aspect marginal du phénomène d'accaparement des terres, est intervenu en ce sens à l'automne 2013 en raffermissant sa Loi sur l'acquisition des terres agricoles par des non-résidents. La loi a resserré les critères d'acquisition de terres agricoles québécoises en augmentant la durée du séjour au Québec précédant l'achat à 36 mois sur 48. Pour les non-résidents, l'achat d'un maximum de 1000 hectares par années sera permis. L'UPA approuve ce geste, mais considère qu'il reste encore beaucoup à faire.
Face à cette demande de la société agricole, comment réagira le gouvernement? Les signaux du marché des capitaux sur les terres agricoles sont-ils assez forts pour intervenir ? Le lobby actuellement en cours présente-t-il un regard représentatif des intérêts sociétaux ? Faut-il laisser le marcher s'autoréguler comme le suggère le Conseil des entrepreneurs agricoles ou plutôt considérer la protection d'un patrimoine collectif que représentent les terres agricoles québécoises en encadrant notamment via une SADAQ ? Il y a là un certains nombre d'enjeux auxquels l'administration publique est confrontée. Intervenir pour le bien collectif ou non ?
La mise sur pied d'une SADAQ pourrait répondre à un certain consensus social. Parce que malgré le fait qu'un seul acteur, en l'occurrence l'UPA, ait fait entendre sa voix concernant cette société, il n’en demeure pas moins qu'il est dans la culture québécoise de vouloir protéger son patrimoine culturel. Or, l'agriculture au Québec revêt de plus en plus un caractère de fierté et de qualité. Considérant ce contexte culturel, il est à parier que les Québécois seraient en accord avec la mise sur pied d'une telle société qui permettrait une répartition de la richesse en fonction de ses valeurs sociales telles que l'accès au patrimoine foncier pour la relève agricole, notamment.
Une autre valeur sociale qui serait défendue par la SADAQ serait la création de richesse économique dans les régions du Québec. Parce que des terres détenues par des investisseurs non agriculteurs se résulte en une fuite de revenus dans la ruralité québécoise. La création de revenus au sein des exploitations agricoles propriétaires créer de la richesse dans l'économie locale des communautés rurales.
Plusieurs questions demeurent. Comment se concrétiserait une telle intervention de l'état ? Des fonds publics devraient être injectés à titre d'investissement dans le patrimoine agricole. Cette "société parapublique" serait financée tant par des fonds publics que privés. L'intervention de l'État se concrétiserait-elle également par la création d'un nouvel organisme public autonome ? Ou en confiant ce mandat à une organisation déjà en place comme la Financière agricole du Québec ? Cette dernière qui présente un volet de développement régional dans sa mission aurait-elle la latitude légale et morale pour opérer un tel mandat ? Sa structure autonome avec son conseil d'administration saurait-elle convaincre les producteurs agricoles d'une bonne gestion du patrimoine foncier agricole ?
Enfin, la demande de l'UPA sera-t-elle entendue par le gouvernement québécois ? Dans une société de droits comme la nôtre, toute demande n’est pas forcément légitime. Elle se doit répondre à un consensus social. Nous verrons probablement dans les prochains mois si une réponse électoraliste se fera entendre...
Joséphine Bédard
Références
L’accaparement des terres et les dispositifs d’intervention sur le foncier agricole; IREC: http://www.irec.net/upload/File/achatdes_terresmars2012.pdf
La Société d’aménagement et de développement agricole du Québec - Une mesure d’initiative pour renforcer la vocation et le contrôle du domaine agricole; IREC http://www.irec.net/upload/File/sadaqnovembre2012.pdf
Acquisition des terres agricoles par des non-agriculteurs au Québec - Ampleur, causes et portée du phénomène; CIRANO http://www.cirano.qc.ca/pdf/publication/2013RP-04.pdf
Commentaires
Merci pour cet article, avec des journées pourries comme aujourd'hui, ton blog m'a bien occupé :-)
S- Voilà un sujet bien d'actualité en 2014. L'administration publique est interpellée pour "gérer" les lois du marché qui s'appliquent ici comme ailleurs. On peut dire oui à une économie de marché mais NON à une société de marché. l'État régulaeur a son rôle ici. On lira plus et reviendrons...
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