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Le droit au logement - encore un combat (Emilie Champagne)

J’ai déménagé cet été à Parc-Extension (communément appelé  « Parc-Ex »), un endroit que je connaissais surtout pour ses restaurants bons, pas chers (et, soyons francs, « apportez-votre-vin »). J’y suis atterrie un peu par hasard, suivant une amie qui avait réussi à nous dénicher un appartement qui avait « ben » du bon sens. Après plus de quatre mois à avoir déambulé dans le quartier, rencontré les gens qui le composent, apprivoisé ses différentes cultures, essayé ses restaurants (et pas que les « apportez-votre-vin »!), m’être sentie en voyage presque tous les jours, j’en suis devenue résidente à part entière.  

Laissez-moi donc vous parler de mon quartier.

Parc-Ex est situé dans l’arrondissement Villeray-St-Michel-Parc-Extension. Couvrant à peine 1,6km2 du territoire montréalais, ce petit quartier est enclavé par Ville Mont-Royal à l’ouest, l’autoroute 40 au nord ainsi que les deux chemins de fer situés au sud et à l’est. Malgré sa petitesse, Parc-Ex est le quartier le plus densément peuplé de la Ville de Montréal, avec 18 802 habitants au km2 comparativement à 3 625 habitants au km2 pour la moyenne montréalaise; la différence est donc énorme. À Parc-Ex, 78,4% de ses 30 261 résidents n’ont ni le français ni l’anglais comme langue maternelle et représentent plus de cent ethnies différentes. Près de 67% des habitants n’ont également pas la citoyenneté canadienne, c’est-à-dire qu’ils sont résidents permanents ou temporaires, travailleurs étrangers, réfugiés, demandeurs d’asile, sans papiers… C’est donc sans surprise que le taux d’emploi des résidents du quartier se situe à environ 15% en dessous de la moyenne montréalaise et que le taux de chômage s’élève à 18%, soit 10% de plus qu’ailleurs dans la ville. Finalement, le revenu moyen d’une personne de Parc-Ex en 2006 avoisinait les 17 239$, en comparaison aux 32 946$ à Montréal, ce qui fait en sorte qu’après avoir payé leurs impôts, 41% des habitants du quartier vivent sous le seuil du faible revenu[1].

 

Vous aurez compris que Parc-Extension est un quartier extrêmement riche en cultures, en patrimoine, en histoire(s) (communes, mais aussi personnelles) et qu’il a quelque chose de différent à offrir à Montréal. Vous aurez également compris que Parc-Ex est le quartier le plus pauvre de la ville, et même du Canada. Ces tristes statistiques sont le résultat de différents facteurs et font de la population de Parc-Extension, une population très vulnérable.

Je vous ai dressé ce portrait pour vous faire comprendre un peu mieux la réalité des habitants de Parc-Extension et qui vivent souvent isolés des autres. Je vous en ai aussi fait part pour vous parler de l’un des plus importants problèmes rencontrés dans le quartier: le logement.

Lorsque je suis arrivée dans le quartier, j’avais vaguement entendu parlé des conditions de logement et de quelques histoires ayant fait les manchettes, dont celle d’un certain Claudio Di Giambattista[2]. Forte de ma formation en droit et de mon désir de m’impliquer dans ma communauté, je me suis rendue en septembre dernier aux locaux du CAPE, le Comité d’action de Parc-Extension. Cet organisme communautaire est le comité logement du quartier qui a pour mission d’accueillir, d’informer et d’assister les locataires qui éprouvent des difficultés liées au logement dans leurs démarches. Le CAPE a également une mission de prévention, en offrant des formations sur certaines thématiques (hausses de loyers, extermination de la vermine, problèmes de moisissure et d’humidité, etc.) et se fait porte-parole des gens du quartier pour les revendications en matière de logement. Ce comité défend donc le droit des locataires à un logement sain et propre à l’habitation.

En arrivant au Comité, je n’aurais jamais pu m’imaginer ce que j’allais voir et entendre. En tant que bénévole en droit du logement, mon rôle consiste à accueillir les personnes qui se présentent à notre bureau, à répondre à leurs questions, à me rendre sur place pour constater l’état de leur logement si nécessaire, à contacter des inspecteurs de la Ville et, en dernier recours, à les accompagner à la Régie du Logement (qui a compétence exclusive pour entendre les demandes liées au logement).

Ma première constatation a été la méconnaissance des droits des habitants du quartier. Il est certain que puisque Parc-Ex est un quartier d’immigration et de nouveaux arrivants, la compréhension des différents mécanismes peut être complexe et difficile à absorber, surtout lorsqu’on ne parle aucune des langues officielles (ou très peu). Or, ce que j’ai constaté n’est pas que la méconnaissance des processus juridiques, mais souvent une réelle peur ou réticence à exercer ses droits. Cela est d’autant plus surprenant lorsque l’on est au courant des conditions dans lesquelles ces personnes vivent. Selon un rapport du CAPE déposé en mai passé à la Commission sur le développement économique et urbain et l’habitation de la Ville de Montréal, 12% des logements du quartier nécessitent des réparations majeures, 26% des domiciles avec enfants ont des coquerelles, 19% des rongeurs et 38% des problèmes d’humidité et/ou de moisissures. Le problème des punaises de lit en est également un de plus en plus préoccupant et des plus difficiles à éradiquer. Le rapport mentionne également que 81% des ménages du quartier sont locataires et que 41% de ceux-ci consacrent plus de 30% de leurs revenus au paiement de leur loyer (alors que pour 17% de la population, c’est 50% des revenus qui sont consacrés au loyer).

Ces statistiques sont extrêmement alarmantes et il est dur de penser qu’en 2013, un quartier de Montréal peut encore faire face à des problèmes de salubrité de la sorte. Les conditions déplorables de certains logements entraînent toute une panoplie de conséquences pour les personnes qui y vivent: infections respiratoires, asthme, stress, troubles de sommeil, dépression, etc. Même si le droit à un logement habitable et l’obligation du locateur de le maintenir en bon état pendant toute la durée du bail sont inscrits dans le Code civil du Québec, il est difficile de les appliquer et de les faire respecter. À Montréal, c’est le Service d’inspection qui est chargé de faire respecter le Règlement sur la salubrité et l’entretien des logements (RSEL). Lorsqu’un locataire est aux prises avec un problème lié à son logement, il doit tout d’abord le notifier au locateur afin de le mettre au courant et lui permettre de remédier à la situation (le délai accordé est normalement de dix jours). Si rien n’est fait à l’expiration du délai mentionné dans l’avis au locateur, le locataire peut alors faire appel aux services d’un inspecteur de la ville. Celui-ci renverra alors un autre avis au locateur l’informant de la plainte du locataire. À l’expiration de ce nouveau délai, ce sera le locataire qui devra demander à l’inspecteur de faire le suivi et de venir visiter son appartement pour constater lui-même l’état des lieux. L’inspecteur pourra par la suite envoyer un avis au locateur pour lui sommer de faire des réparations ou encore lui émettre une contravention pour non conformité au RSEL. Si à la fin de ce processus rien est fait, le locataire pourra alors introduire une demande à la Régie du Logement.  

Bien que le processus puisse sembler en apparence assez simple, j’ai constaté que ce parcours est souvent parsemé d’embûches et que la plupart des plaignants n’arrivent jamais à bout de celui-ci. Tout d’abord, la barrière de la langue et la peur d’exercer ses droits sont des facteurs extrêmement importants à considérer. Les habitants de Parc-Extension qui viennent nous voir au CAPE éprouvent souvent des problèmes de salubrité dans leur logement depuis des mois, voire des années. Ils ont parfois tenté d’aviser leur locateur par téléphone ou en personne, mais il n’est pas rare qu’ils ne reçoivent jamais un retour d’appel. Ceci dit, lorsqu’une personne arrive à nos bureaux, c’est souvent parce qu’elle est épuisée, vidée, et que c’est cette exténuation qui l’a poussée à se décider à demander de l’aide. Certaines personnes sont également réticentes uniquement au fait d’envoyer une mise en demeure à leur locateur; elles ont peur d’être expulsées de leur chez-soi, de faire l’objet de représailles ou même d’être harcelées. Or, la plupart du temps, la lettre envoyée au locateur l’informant des problèmes, aussi horribles soient-ils, n’a aucun effet et le locataire ne reçoit aucune réponse. Que faire alors contre ce type de locateurs?

 

Un des exemples les plus malheureux est certainement M. Claudio Di Giambattista, qui est propriétaire de trois immeubles locatifs dans le quartier. En novembre 2011, quatre familles ont été évacuées de l’un de ses immeubles par la ville en raison d’une expertise de la Direction de la Santé Publique de Montréal qui a déclaré ces logements dangereux pour la santé. Or, plus tôt dans l’année, un inspecteur de la ville avait visité l’un des logements affectés, mais n’avait émis aucun avis ou contravention. Puis en mai 2012, un autre des immeubles locatifs appartenant au même locateur était évacué pour insalubrité. Suite à un battage médiatique, le locateur a finalement reçu plus de 80 contraventions de la ville pour non respect du RSEL. Ce cas démontre bien les obstacles auxquelles font face les locataires lorsqu’ils décident finalement de faire respecter leurs droits. Et même lorsque ceux-ci arrivent finalement à bout de leurs peines, les difficultés de relogement sont également une problématique bien réelle: où reloger une mère et ses six jeunes enfants après un avis d’expulsion? Les ressources mises à la disposition des organismes communautaires qui œuvrent dans le quartier ne sont malheureusement souvent pas assez abondantes pour offrir tout le support dont ces personnes auraient besoin.

 

Il est réellement difficile de croire que la ville puisse laisser des propriétaires négliger autant leurs immeubles résidentiels. Le droit à un logement propre à l’habitation est fondamental et personne ne doit accepter de vivre dans des conditions qui ne permettent pas un développement sain. Des solutions aux problèmes de logement dans Parc-Extension peuvent être mises de l’avant pour empêcher que des situations comme celles mentionnées précédemment ne se reproduisent et pour améliorer la situation du logement dans le quartier.

Mercredi le 16 octobre dernier, j’ai assisté au débat électoral des candidat(e)s des différents partis à Parc-Extension. La discussion s’est échelonnée sur plus de deux heures et les questions relatives au logement ont été amplement débattues. L’une des solutions qui a attiré mon attention et qui a été proposée par le CAPE est la mise sur pied d’un programme préventif d’inspection des logements. Celui-ci prévoirait l’embauche d’inspecteurs additionnels dont certains seraient affectés uniquement à visiter des immeubles locatifs qui ont déjà fait l’objet de plaintes alors que d’autres auraient le mandat de visiter des logements où des récidives auront été notées. L’équipe normale d’inspecteurs traitant les plaintes serait également maintenue. Ce programme permettrait ainsi d’aller voir directement les locataires et de s’assurer que les immeubles « à problèmes » fassent l’objet d’un suivi serré.

 

Une autre piste de solution consisterait à donner plus de pouvoirs aux inspecteurs, c’est-à-dire de leur permettre de visiter l’immeuble au complet lorsqu’ils reçoivent une plainte de l’un des locataires, qu’ils émettent de façon systématique des contraventions aux propriétaires d’immeubles impropres à l’habitation, qu’ils rendent accessibles leurs rapports d’inspections (qui doivent en ce moment faire l’objet d’une demande d’accès à l’information auprès de la ville) et qu’ils soient dotés des outils appropriés (des appareils de détection de la moisissure, par exemple) pour détecter les problèmes d’insalubrité.

Ces recommandations ne représentent toutefois que quelques pistes de solution qui ne pourraient éradiquer complètement les problèmes qui sévissent actuellement à Parc-Extension. Il faut absolument faire un effort collectif de conscientisation auprès de nos élus afin qu’ils allouent plus de ressources pour mettre réellement en œuvre le RSEL et donner aux arrondissements et aux quartiers les plus affectés les moyens de contrer ce fléau.


Emilie Champagne



 

 



[1] AGENCE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, (page consultée le 19 octobre 2013), [En ligne], http://www.csssdelamontagne.qc.ca/fileadmin/csss_dlm/Publications/CLSC_Profil_PExt_2008v3.pdf

[2] La Presse (page consultée le 18 octobre 2013), [En ligne], http://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201204/19/01-4516929-claudio-di-giambattista-des-champignons-tu-peintures-dessus.php

 

Commentaires

  • Intéressant Émilie.
    on se revoie le 29.

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