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Blog #2 Côté : Qui doit financer la lutte aux gangs de rue ? Des municipalités à bout de souffle…

Qui doit financer la lutte aux gangs de rue ? Des municipalités à bout de souffle…

 

Il y a 5 ans, lors de  son budget 2008-2009, le gouvernement Harper annonçait qu’il allait créer pour les provinces et territoires, un Fonds de recrutement de policiers de 400 millions pour l’embauche de 2500 policiers de première ligne. Le gouvernement indiquait alors que la lutte contre la criminalité et le renforcement de la sécurité des Canadiens étaient des priorités[1].  De ces 2500 policiers, 1000 devaient être embauchés par la Gendarmerie Royale du Canada et le reste répartit à travers les provinces. Ce fonds cependant avait une durée de vie, 5 ans. Sur ce 400 millions, Québec a reçu 92,3 millions. Le ministère de la Sécurité publique de l’époque, M. Jacques Dupuis,  décidait d’un plan en fonction de priorités du gouvernement : lutte contre les gangs de rue, lutte contre la drogue, Cybercriminalité et les phénomènes criminels ponctuels. Ces actions ont permis entres autres la création d’Escouades régionales mixtes (ERM) Gang de rue et (ERM) Drogues dans l’ensemble des régions touchées par le phénomène et de consolider les activités des équipes spécialisées en cybercriminalité. Le 31 mars 2013, ce fonds n’existera plus.

 

Ce plan proposé par Québec a fait en sorte que les différents services de police municipaux et la Sûreté du Québec ont pu créer des escouades ayant pour mandat de lutter comme le phénomène de gang de rue. Parmi celles-ci, soulignons par exemple l’équipe Éclipse à Montréal  et l’ERM GDR Laval- Rive-Nord. Québec savait très bien que le fonds avait une durée de vie et c’est sûrement pour cela que le fonds n’a pas servi à l’embauche proprement dite de policiers puisque ce recrutement  signifiait une action permanente et les différentes municipalités ainsi que le gouvernement québécois n’en avaient pas les moyens. De toute façon, l’embauche des 2500 policiers n’étaient pas réaliste. Sur des salaires basés sur 5 ans, cela pouvait représenter environ 650 policiers pour l’ensemble du pays tout au plus. Et que faire avec ces policiers par la suite lorsqu’il n’y a plus d’argent, les congédier? Miser sur des escouades était une solution logique puisque le personnel assigné serait remplacé par du personnel temporaire. D’autant plus que le phénomène des gangs de rue en 2008 avait augmenté en violence, plusieurs homicides survenus à Montréal étaient en lien avec les gangs de rue et la criminalité reliée était en hausse ainsi que les crimes reliés à la cybercriminalité.

 

Les fonds ont été curieusement gérés. Juste à regarder les réclamations de certaines villes, on a pu noter des variations de 20k par année, laissant entrevoir que la gestion des fonds n’était pas encadrée et que les valves étaient ouvertes. De plus, ce fond prévoyait des montants fixes par année alors que les différents budgets d’opérations réels des différentes équipes n’étaient pas fixes. La masse salariale entre autres dépendamment des différents contrats de travail a fait bondir les budgets d’opérations d’année en année. Prenons par exemple le Service de police de la Ville de Laval qui, afin de bien opérer son escouade a dû injecter de ses propres ressources payées à même son budget. Les villes participantes à cette escouade quant à elles ont dû octroyer cette année, des montants afin de compenser les manques à gagner pour le temps supplémentaire. Quant à la Sûreté du Québec, elle éponge les déficits des différentes ERM à même son budget depuis le début des ERM. À noter que ces escouades coûtent environ 20 millions par année. Du côté des policiers fédéraux, ils n’ont jamais eu les gendarmes prévus.

 

En novembre, le gouvernement québécois a demandé à Ottawa sans succès de prolonger le financement des escouades de luttes aux gangs de rue. La motion soumise à l'Assemblée nationale demandait au fédéral de «réévaluer sa position et de reconduire le fonds (...) tout en rappelant que la pérennité de ce financement est essentielle au maintien d'initiatives policières visant à lutter contre plusieurs phénomènes criminels, notamment les gangs de rue et le trafic de stupéfiants»[2] .

 

En décembre, le gouvernement Harper a annoncé que le programme ne sera pas renouvelé comme c’était prévu dans le contexte actuel de compressions budgétaires. Pourtant, les besoins sont encore là.

 

Des équipes performantes, des chiffrent qui en disent long!

 

À travers ces années d’opération, toutes les équipes mises en place ont eu des résultats plus que satisfaisants. La criminalité liée aux gangs de rue a diminué au cours des dernières années[3]. De plus, les équipes travaillent un niveau de crime qui ne l’avait jamais été auparavant. La criminalité de rue est enquêté par les postes et les hautes sphères du crime organisé par les ERM Motard et autres équipes spécialisées. L’entre-deux n’était jamais travaillé et c’est exactement là que les ERM – Gang de rue et ERM – Drogues se spécialisaient. Pour ce qui est d’Éclipse, le succès réside dans la connaissance du phénomène permettant d’alimenter non seulement le renseignement criminel pour Montréal, mais pour l’ensemble de la province[4]. Le renseignement criminel pour la police, c’est essentiel.

 

ERM 3.0, une version moderne des ERM sans plan B

 

La Sûreté du Québec qui fait face à d’importantes coupures s’oblige à faire cet exercice dans ce contexte budgétaire. En effet, au non-renouvellement de la subvention fédérale, le patron de la SQ a eu pour mandat de couper 22 millions $ de son budget de plus de 900 millions $ soit à peu près le montant que coûtent les escouades. Un hasard? Il s'agit en quelque sorte de continuer à en faire autant, sinon plus, avec moins pour lutter contre les différentes sphères de la criminalité organisée orientées vers le terrain. Le ministre de la Sécurité publique, M. Bergeron, mentionne que les élus devront s’attendre à partager les coûts, car les ressources sont limitées alors qu’il en est de même pour les municipalités[5]. Ces équipes intégrées regrouperaient des municipaux, fédéraux et provinciaux. «Le crime organisé se modifie, il faut donc regarder nos structures pour mieux les intégrer, agglomérer des opérations pour être plus efficace», a d’ailleurs déclaré Yves Morency, sous-ministre associé aux affaires policières, le 11 février, en commission parlementaire, à Québec. Il a ajouté que ce comité doit présenter un rapport à la fin mars pour déterminer «comment on travaille dans l’avenir à mieux contrer les phénomènes de crime organisé, incluant les gangs de rue». Et ce, avec un financement «qu’on doit réviser».

 

Le plan proposé est relativement simple. Créer une super escouade et travailler en partenariat avec les municipalités en leur demandant de la main-d’œuvre pour combler les différentes escouades spécialisées. Chacune d’entre elles deviendrait une branche de cette super escouade plutôt que de fonctionner de façon indépendante. Le ministère croit qu’il serait plus facile d'échanger de l'information et de prioriser les dossiers avec une approche d’opération de terrain visant différentes facettes du crime organisé. Par exemple, un enquêteur d'une escouade pourrait être « prêté » à sa voisine le temps de terminer une enquête. Une mobilité qui pourrait être bénéfique dans un contexte de restrictions budgétaires. Pour cette main-d’œuvre, une ville se verrait rembourser 80% environ du salaire de son employé ainsi prêté[6].  Il faut souligner que ce partenariat ne vise pour l’instant que la main-d’œuvre, les enquêteurs, alors que toute l’administration et la direction de ces enquêtes serait uniquement effectuée par la Sûreté du Québec. Partenariat vous dites? Et aucun plan B n’est possible, puisque la Loi de police est très restrictive pour les villes, toute coordination doit se faire par un service de niveau 6, c’est-à-dire uniquement par la Sûreté du Québec. On paie et on se tait.

 

À Montréal, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a décidé pour l’instant de maintenir son escouade et de puiser à même son budget. Pour le moment, les frais d'exploitation de l’équipe, qui s'élèvent à environ 8 millions par année, seront puisés dans leur budget de 670 millions[7].

 

Responsabilité ?

 

À qui la faute ? Qui doit payer ? Voilà les vraies questions pour lesquelles les municipalités doivent se questionner. La lutte aux gangs de rue n’est pas de responsabilité fédérale, mais provinciale. Ce type d’enquête est de niveau 3 selon l’annexe G de la Loi sur la police. Ce qui veut dire que seules les villes de Montréal, Longueuil, Laval, Gatineau et Québec ont la responsabilité d’enquêter ce type de criminalité. Les autres villes doivent s’adresser à la Sûreté du Québec pour enquêter ces crimes présents sur le territoire. Québec en proposant ce programme savait que c’était à durée déterminée. Alors, pourquoi présenter cette orientation et ne pas planifier un programme permettant de mettre sur pied un budget pour sa continuité ? La lutte au crime organisé de n’importe quelle souche est un problème récurrent. Le Devoir à ce sujet nous indiquait le 14 janvier dernier que « Cet incident nous rappelle surtout les effets pervers de ces fameuses fiducies à durée déterminée dont l’idée remonte aux libéraux de Jean Chrétien qui ne voulaient surtout pas créer de nouveaux programmes permanents avec leurs surplus budgétaires. Si certaines de ces fiducies ont pu favoriser le renouvellement d’équipements spécialisés en santé, par exemple, d’autres, comme ce Fonds pour l’embauche de policiers, constituent une très mauvaise façon de s’attaquer à des problèmes récurrents, telle la lutte contre le crime. De la part d’un gouvernement conservateur qui fait de la criminalité une priorité, on aurait dû s’attendre à plus sérieux. Voilà le type de gestion à court terme qui mérite une gifle du Vérificateur général ! »[8].

 

Les coûts de la police pour les municipalités représentent pour la plupart presque 20 % du budget. Qui plus est, le ministère ne cesse d’exiger différentes obligations d’année en année en matière de sécurité publique qui ne fait qu’augmenter les coûts pour les municipalités. Les criminels se raffinent et le crime se modernise. Les villes peuvent à peine suivre le mouvement. Seules les participations aux différentes escouades leur garantissaient du service dans ce créneau de la criminalité. 

 

Dans un contexte budgétaire précaire, avec les enjeux de nature fiscale et financière auxquels les municipalités font face, comment pourraient-elles se permettre de financer ces enquêtes qui ne sont pas de leur responsabilité ? Pourquoi les villes devraient payer alors que c’est la Sûreté du Québec qui doit le faire ? D’autant plus qu’elles devront remplacer cette main-d’œuvre spécialisée pour assurer son niveau minimal d’enquête et de service à la population. Est-ce que les villes doivent pallier au manque d’effectifs de la SQ ? Le citoyen d’une municipalité servi par une police municipale est visé par une double taxation pour se sentir en sécurité. Il paie la Sûreté avec ses impôts et sa propre police, par ses cotisations aux taxes foncières. Leur demander de payer pour ces escouades et se garantir quelques dossiers sur son territoire, c’est de presser encore le citron devant les nombreux et immenses besoins que commande la gouverne d’une ville. Le refus du gouvernement du Québec de partager ses sources de revenus accentue les pressions des finances municipales et les villes ne peuvent plus se faire dire de taxer davantage ses services pour avoir du financement[9].

 

Cependant, pour la majorité des dirigeants et experts policiers, le partenariat est devenu la solution la plus appropriée à la lutte au crime organisé. Les récents dossiers démontrent le succès de ces unions. Ce n’est plus maintenant une guerre de drapeau. Puisqu’il n’y a aucune flexibilité possible, aucun plan B, la vraie question alors pour les villes devant ces coupures et les sous-financements n’est pas de savoir qui doit payer mais « est-ce qu’on peut encore aujourd’hui se payer le luxe d’une police de proximité ? ».

 

 

Sophie Côté

 

[1] Annonce budget fédéral 2008-2009 http://www.budget.gc.ca/2008/pdf/brief-bref-fra.pdf

[9]MICHAUD, N. et coll. (2011) Secret d’État?, p.604

 

 

 

 

Commentaires

  • Cette matière et vos propos portent en effet à réflexion. Il y aurait nécessité de voir plus loin que son nez ...dans certaines situation !!
    À vous lire, certains ont la vue courte !!!!!

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