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Blogue n°2 - Amine Soulhi : Des femmes, des ministres et le leurre de la parité ministérielle

Le 4 septembre 2012 a été marqué par un événement en apparence historique au Québec : l'élection de la première femme au poste de première ministre, Mme Pauline Marois. Cette nouvelle a été célébrée par les médias québécois, puisqu'elle symbolisait pour beaucoup une victoire des femmes dans la société de la belle province. 

Au long de sa carrière, Mme Marois n'a jamais ouvertement endossé l'épithète féministe, affirmant plutôt croire en la lutte pour l'égalité des sexes. Toutefois, lors de la campagne électorale, l'image de Mme Marois s'est rapprochée du féminisme - on la rattachait par exemple à celle de Mme Françoise David, féministe chevronnée -, sans doute par un effet de simplification médiatique habituelle en contexte de campagne électorale. Tout porte à croire que cette association lui a été bénéfique et a été à l'origine d'une avancée de quelques points dans les intentions de vote. 

Notons aussi que lors de la campagne électorale, Mme marois s'est faite plutôt discrète à ce sujet, préférant se concentrer entre autres sur la délation de la manière dont le gouvernement libéral a géré la crise étudiante. Cette tendance s'est maintenue jusqu'à la veille du scrutin où, les sondages prédisant un gouvernement péquiste minoritaire (les prédictions annonçaient jusque-là un gouvernement majoritaire), Mme Marois a tenté de s'attirer les sympathies de ce qu'on appelle "l'électorat féminin".

C'est dans ce contexte qu'on a eu le loisir de lire une foulée d'articles de journaux dont les titres étaient des variations de l'expression suivante : "Pauline Marois mise sur l'électorat féminin". Information importante : le cadrage médiatique de cette information d'apparence anodine donne le ton au problème que je discuterai aujourd'hui. En effet, le cadrage montrait la nouvelle de telle sorte à ce qu'on y voyait plutôt un exemple de solidarité féministe vis-à-vis de l'arène politique dominée par des joueurs masculin, comme si les électrices d'allégeance libérale parvenaient à voir "au-delà" de leurs convictions partisanes, pour "regarder le plus grand portrait", soit celui de la lutte féministe. C'est l'image que le cadrage standard donne de la situation. 

Enfin, à la suite de l'élection de cette dernière, des chroniqueurs se sont empressés de souligner le "devoir" de Mme Marois de constituer un cabinet ministériel paritaire : "Un passage obligé pour la première femme à occuper la fonction de première ministre sera l'atteinte de la parité hommes-femmes au sein de son conseil des ministres. Si Jean Charest a pu composer le premier cabinet paritaire au Canada - dont la compétence ne fut jamais mise en doute -, il n'y a pas de raison que Pauline Marois ne l'imite pas, surtout qu'elle compte parmi ses élues huito u neuf candidates qui ont le profil nécessaire." (Bernard Descôtaux, Gouvernement Marois - Parité obligée, Le Devoir, 8 septembre 2012). Dans un même ordre d'idées : "[...] La première ministre pourrait commencer par un geste symbolique et plein de sens, comme proposer une Loi sur la parité du conseil des ministres. [...] Pourquoi ne pas instaurer une parité à la base du gouvernement afin de prendre en compte les priorités du point de vue des femmes? N'est-ce pas là où nous en sommes? [...] En 2012, il serait temps d'oser exiger la parité." (Pascale Navarro, Pauline Marois première ministre - Bienvenue aux dames!, Le Devoir, 8 septembre 2012). 

Sans doute le dévoilement du conseil des ministres de Mme Marois a dû en laisser plus d'un perplexes. En effet, le 19 septembre 2012, Mme Marois a présenté un cabinet de 23 ministres : 15 hommes et 8 femmes. Rapidement, celle-ci a dû se défendre de son choix, ce qu'elle a fait en expliquant qu'elle avait choisi son entourage ministériel selon la compétence de chacun et qu'elle avait confiance en les décisions qu'elle avait prises. 

Maintenant, il existe plusieurs arguments pour lesquels je crois que la parité ministérielle est un leurre pour la condition féminine en plus d'être dommageable pour le principe sur lequel nous avons construit la société québécoise : la méritocratie. L'argument le plus courant de ses détracteurs est de dire que la parité est un raccourci pour des personnes n'ayant pas nécessairement la qualification requise à certains postes. N'oublions pas que Jean Charest a nommé la moitié de ses ministres féminines à partir d'un lot de députées constituant le quart du lot total. Il est difficile d'envisager que des coins n'aient pas été coupés dans ce cas, même si ces ministres pouvaient s'avérer compétentes. 

Certains taxent l'initiative de discriminatoire envers les hommes, mais j'y vois surtout un leurre profond pour la cause féministe. En effet, en regardant l'enjeu d'une perspective communicationnelle - et l'apport communicationnel est fondamental en politique -, on comprend que le cadrage médiatique est un élément clé dans la construction de l'opinion publique. Or, le cadrage de l'information passant par le biais d'un medium à vocation simplificatrice (les médias traditionnels) fait en sorte que le public en va pas au bout du sens du message. À première vue, le public comprend une volonté d'inclure les femmes dans les débats sociétaux. Toutefois, après analyse plus profonde, on détecte surtout un regard infantilisant vis-à-vis des femmes qui résulte en une cristallisation de leur image dans l'imaginaire collectif comme personnages en lutte constante. En d'autres termes, en parlant du problème ainsi, on finit par en inventer un et on le gonfle et l'alimente en l'abordant toujours selon le même cadrage. 

La nature du problème est la même dans le cas de la parité ministérielle : pourquoi faudrait-il imposer un quota si l'on part du constat que les femmes sont aussi compétentes que les hommes? À plus grande échelle, pourquoi souligner les progrès des femmes dans tel ou tel domaine, si ce n'est que l'on considère que ce progrès soit exceptionnel? Ce progrès ne devrait-il pas être normal pour une population dont les compétences ne font pas de doutes? 

Je vous laisse sur une capture d'écran prise sur www.cyberpresse.ca. Le titre de l'article est le suivant : "Gouvernement Marois : 23 ministres, dont 8 femmes". L'article n'effleure à aucun moment ni de loin ni de près "l'avancée des femmes", la "condition féminine" ou même le féminisme. Pourquoi alors mentionner le fait qu'il y ait 8 femmes dans son cabinet en titre même de l'article? 

Et si le titre avait été "Gouvernement Marois : 23 ministres, dont 8 Noirs" (pour citer une autre communauté historiquement persécutée)? Le principe est le même, mais un est plus choquant que l'autre, n'est-ce pas?

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Sources : 

Commentaires

  • Nous voilà avec un bon blog d'Amine à lire et triturer.
    Déjà l'effort mérite d'être soulkigné. En administration publque trop peu de personne prennent la parole publique sur
    des sujets qui touche toute la collectivité.

  • "Gouvernement Marois: 23 ministres, dont 8 femmes". Si ça invoque ou non "la condition féministe" au pouvoir nous ne saurons pas.

    On fera une petite conclusion au nom des autres analystes, quels avantages ça peut nous donner.

    Malgré les différentes barrières qui limitent l'entrée des femmes en politique (d'après les opinions des analystes), on va regarder les choses positives qui peuvent suivre lors de cette "entrée".

    Sur un thème assez rapproché, des analystes (français et canadiens) ont déjà avancé que la présence des femmes au Parlement conduit à "la modernisation de lois touchant la condition féminine".
    Selon une autre recherche américaine, "une présence accrue des femmes peut aussi produire des changements quant au nombre de lois adoptées relativement aux problèmes affectant les femmes et quant aux priorités dans les dépenses de l’État. Certes, il demeure que les femmes ont tendance à présenter un plus grand nombre de projets de loi en santé et en éducation que les hommes".
    Dans notre cas, le 19 septembre 2012, Marie Malavoy est nommée ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport; Véronique Hivon devient ministre déléguée à la Santé Publique et à la Protection de la jeunesse (ministre responsable de la région de Lanaudière).

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