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#2 - M.Belanger-le printemps érable...

 

Le printemps érable et l'article 31 du Code Criminel: une utilisation abusive de la loi

(M. Bélanger)


Les élections de cet automne ont quelque chose de particulier : elles sont le résultat d’un printemps éminemment politique où la cause étudiante a embrasé le Québec. Des associations étudiantes, aux représentants gouvernementaux en passant par les institutions policières, les médias et les étudiants, aucun n’avait prévu la ferveur et l’effervescence que le mouvement provoquerait. Dès les premières semaines de la mobilisation étudiante, les manifestations, les levées de cours et les blocages se sont multipliés. Bon nombre de débordements ont eu lieu, laissant un goût amer s’insinuer dans les interactions entre étudiants et policiers. Avec le conflit qui semblait alors vouloir s’installer dans la durée, le climat social s’est transformé, laissant poindre à l’horizon une gronde étudiante et sociale sans précédent. La réponse du gouvernement s’est traduite par un durcissement des positions, créant un sentiment d’injustice et de révolte, et alimentant la mobilisation étudiante, de plus en plus radicalisée. Durant cette période, le corps policier, confronté à une augmentation massive des manifestations, a vu son service se saturer et atteindre un point critique, engendrant une multiplication flagrante mais surtout très médiatisée des gestes de brutalité policière.

En effet, les évènements durant la fin de semaine du Grand Prix, les arrestations massives lors des manifestations nocturnes et, bien évidemment, l’histoire relative au matricule 728 sont des exemples évidents des abus commis par le corps policier durant le printemps. Cette vague de répression policière a eu pour effet d’étioler la confiance de la population envers l’ensemble du corps policier. Cette perte de sens dans le rôle primordial joué par la police a été renforcée lorsque plusieurs se sont butés à un système de plaintes inefficaces, où les recours sont visiblement inadéquats et insatisfaisants. Derrière ces épisodes marquants se dissimule pourtant plus. L’utilisation abusive de l’article 31 du Code criminel, l’interprétation large faite des règlements municipaux, le profilage politique et la Loi 78 ont contribué à renforcer la dynamique de violence et l’impression d’injustice. Plus de 3 500 arrestations ont eu lieu, un record dans l’histoire québécoise. Plusieurs juristes se sont rapidement positionnés, non seulement en dénonçant la Loi 78, mais également en mettant en exergue les arrestations jugées arbitraires par une interprétation inappropriée de certains articles de lois.

Toute cette dynamique a laissé place à des justifications tirées par les cheveux de certains articles de loi. En ce sens, un exemple probant réside dans l’utilisation abusive et arbitraire qu’ont fait les agents de la paix de l’article 31 du Code criminel (Ccr). Notamment utilisé durant la fin de semaine du Grand Prix, ce sont plus d’une cinquantaine d’arrestations qui ont été justifiées au regard de l’article 31 du Ccr. De nombreuses fouilles et identifications ayant eu lieu tant sur la rue Crescent que sur l’île Notre-Dame ont également été justifiéespar cet article. Plus spécifiquement, l’article 31 du Ccr autorise un agent de la paix, témoin d’une violation de la paix, à arrêter ou a « détenir » un individu « qu’il trouve en train de commettre la violation de la paix ou qu’il croit, pour des motifs raisonnables, être sur le point d’y prendre part ou de la renouveler ». En d’autres termes, cet article permet les arrestations préventives lorsque les policiers présument qu’il y aura violation de la paix, qui pourrait notamment mettre en péril l’ordre public. Cependant, au regard de l’interprétation très large que l’on peut faire de l’article 31 du Ccr, les législateurs ont cru bon de circonscrire et de restreindre la portée de l’article dans la jurisprudence et la doctrine.

Les pouvoirs des policiers, aussi appelés pouvoirs accessoires, ont été précisés pour la première fois dans les jugements Waterfield et Dedman, et stipulent que la légalité de ces pouvoirs ne peut être exclusivement tributaire de la réglementation. L’arrêt Brown déclare que la violation de la paix doit être imminente pour justifier toute détention préventive. Ce jugement soutient également que le pouvoir des policiers ne peut être compris comme un mécanisme permettant la surveillance des déplacements de personnes soupçonnées. Cette analyse s’applique très facilement aux fouilles systémiques qui ont eu lieu dans le métro et sur l’île Notre-Dame. Dans le jugement Puddy, qui fait suite aux arrestations préventives ayant eu lieu durant le sommet du G20 à Toronto, le législateur affirme que procéder à des arrestations préventives pendant les manifestations équivaut à punir la dissidence. L’arrêt insiste sur le fait que ce type d’arrestation risque « to distort the necessary if delicate balance between law enforcement concerns for public safety and order, on the one hand, and individual rights and freedoms, on the other » (Puddy, 2011). L’ensemble de ces restrictions imposées par la Common Law sont importantes et l’utilisation de l’article 31 du Ccr est, quant à elle, extrêmement limitée.

Les arrestations effectuées sous l’article 31 du Ccr durant la grève étudiante ne remplissent pas les critères définis dans la jurisprudence et sont donc illégales. L’utilisation de cet article pour légitimer des arrestations, des fouilles et des détentions n’avait pas lieu d’être et n’est pas conforme aux exigences posées par l’article. Plus souvent qu’autrement, les agissements des policiers justifiés par l’article 31 du Ccr ont eu pour fondement des actes de profilage politique et de discrimination. De plus, la violation de la paix qui, selon les agents de la paix, justifiait ces actions, était liée à l’exercice des droits codifiés à l’article 2 de la Charte des droits et libertés du Canada, soit la liberté d’expression, d’association, d’opinion et de réunion pacifique. Une telle utilisation abusive des droits et l’inaction du politique à cet égard démontre le lien ténu qui existe entre les différents organes de l’appareil gouvernemental et sur la séparation des pouvoirs. Non seulement la notion d’indépendance judiciaire est remise en question, mais la notion même de démocratie est malmenée. Ce type de situation amène des conséquences importantes sur la relation qu’entretiennent les citoyens avec l’institution publique et sur le sentiment de confiance envers les agents de la paix. Cette dynamique générée par le printemps érable aura ramené sur la place publique des questions reléguées aux oubliettes, notamment sur la notion d’État de droit et sur le rôle du citoyen en démocratie.


Notes:

 

L’article 31 se lit comme suit :

 

 

Article 31 (1) Arrestation pour violation de la paix –

 

Un agent de la paix qui est témoin d’une violation de la paix, comme toute personne qui lui prête légalement main-forte, est fondé à arrêter un individu qu’il trouve en train de commettre la violation de la paix ou qu’il croit, pour des motifs raisonnables, être sur le point d’y prendre part ou de la renouveler.

 

(2) Garde de la personne –

 

Tout agent de la paix est fondé à recevoir en sa garde un individu qui lui est livré comme ayant pris part à une violation de la paix par quelqu’un qui en a été témoin ou que l’agent croit, pour des motifs raisonnables, avoir été témoin de cette violation.

 

 

 

Textes de références

 

Regina v Waterfield and Another, [1963] 3 All ER 659.  [Waterfield]

 

Brown v Regional Municipality of Durham Police Service Board, 1998 CanLII 7198 (ON CA). [Brown]

 

Dedman c La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2. [Dedman]

 

R.c. Puddy [2011] O.J. No. 3690

 

Marie-Ève Sylvestre, « Les arrestations sont illégales et illégitimes », Le devoir, 12 juin 2012

 

Véronique Robert, « Au nom de l’article 31, je vous arrête », Voir, 28 juin 2012.

 

Code criminel

 

Charte canadienne des droits et libertés

 


 

Commentaires

  • Bien reçu Marlie. Maintenant le plaisir de la lecture et... de la correction.
    Bonnes suites. Prof

  • Alors voilà un excellent billet!
    Ce n'est pas la première fois que je lis ton blog perso, alors là, aujourd'hui, je suis obligée de laisser un mot.
    As-tu d'autres lectures à me conseiller à ce sujet (peut-être d'autres billets) ?

    Encore bravo !!
    A très vite !

  • Et bien voilà un très bon billet!!
    C'est la toute première fois que je lis ce petit blog : je suis d'ors et déjà une fan .
    As-tu d'autres lectures à me conseiller à ce sujet ?

    Encore bravo !

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