Blogue #2- Lina Chaya: Persévérance scolaire et décrochage : nos priorités sont-elles à la bonne place?
L’amélioration du bien-être de la population et le renforcement de la cohésion sociale comptent parmi les grandes priorités de l’action publique dans tous les pays de l’OCDE, y compris le Canada. Il existe un consensus sur l’importance du rôle que l’éducation et les compétences peuvent y jouer.
Par ailleurs, l’éducation est reconnue comme un droit essentiel de la personne.
Dans les pays de l’OCDE, en moyenne, 82% des élèves obtiennent un diplôme de fin d’études secondaires. Au Canada, le taux tombe à environ 79% (statistiques de l’OCDE, 2011).
Le taux de décrochage correspond à la proportion des 20-24 ans qui ne fréquentent pas l’école et qui n’ont pas obtenu de diplôme d’études secondaires.
Malgré toutes les mesures déjà déployées (réformes des programmes et des approches pédagogiques, l’ajout de diverses catégories de spécialistes en appui aux enseignants, réduction du nombre d’élèves par classe au primaire, accompagnements individualisés des élèves au secondaire, aide aux devoirs, création de commissions et comités d’experts…), les résultats restent inquiétants.
Malgré une augmentation du taux de diplomation ces dernières années, le taux de décrochage se stabilise autour de 8,5% en 2009-2010 : un jeune de 20 à 24 ans sur 12 au niveau canadien. Au Québec, le taux monte à 11.7% en 2007-2010. C’est en fait la province du Canada où le taux de décrochage est le plus élevé. Le taux est en général plus bas chez les filles (6.6% au Canada) que chez les garçons (10,3% au canada). Statistique Canada (2010).
Selon des données du Ministère de l’Éducation, Loisir et Sport, le taux annuel de sorties sans diplômes ni qualification en formation générale des jeunes était de 17,4% en 2009-2010 (21,5% chez les garçons et de 13,6% chez les filles (ce taux s’élevait à 20,1% dans le réseau public).
Le décrochage est plus élevé dans les milieux défavorisés (jusqu’à 40%), chez les autochtones (22,6% au lieu de 8,5%) et les jeunes canadiens de naissance par rapport aux jeunes immigrants (7.0%).
Selon une étude menée par le « Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaires au Québec », le décrochage scolaire engendre des coûts financiers énormes pour l’ensemble de la société québécoise, notamment en manque à gagner. Ces coûts sont de l’ordre de 1,9 milliards de dollars (baisses de rentrées fiscales (taxes et impôts perdus), ralentissement de la croissance économique, pénurie de main d’œuvre qualifiée, plus de pressions sur les programmes sociaux, et en coûts de raccrochage), soit 120 000$ par décrocheur.
Les effets négatifs au niveau individuel sont tout aussi nombreux: taux de chômage des décrocheurs plus élevé, salaires moindres, emplois de moindre qualité et plus précaires, niveau de satisfaction de la vie moins élevé, moindre niveau d’engagement civique et social (participation aux élections, intérêt pour la politique, dons de sang, bénévolat…)…
Le problème s’étend donc en dehors des murs des écoles et affecte notre société en entier.
Selon Jacques Ménard, président du Groupe d’action, « …malgré tous les efforts, notre système d’éducation « échappe », bon an mal an presque un jeune sur trois; 30% des jeunes célèbrent leur 20e anniversaire sans avoir obtenu un DES ou un DEP. Au-delà des drames humains qui guettent ces jeunes et leur famille toute leur vie durant, imaginons la catastrophe nationale que nous préparons, dans une société où à peine deux personnes en âge de travailler devront soutenir 5 personnes de 65 ans et plus. Et cela, c’est le Québec dans 20 ans. »
Il est de ce fait impératif et urgent de trouver des solutions concrètes et efficaces pour renverser la situation et assurer un meilleur avenir pour nos jeunes et pour la société dans son ensemble.
Pour l’année fiscale 2012-2013, le gouvernement du Québec prévoit dépenser 10,2 milliards de dollars pour l’éducation, soit 14% de son budget total (un niveau comparable à la moyenne des pays de l’OCDE).
Il faut donc reconnaitre que le problème n’est pas une question d’argent… Alors quelles sont les raisons?
Les 23 dimensions de l’administration publique sont-elles toutes présentes? On alloue les ressources nécessaires, certes, mais la prévision et la planification sont-elles complètes, nos objectifs sont-ils clairs, l’exécution, le contrôle et l’évaluation des résultats de ceux-ci sont-ils mesurés?
Y a-t-il une véritable reddition de comptes au niveau des résultats des écoles par rapport à l’indicateur du décrochage? Est-ce que la responsabilité ministérielle s’exerce et s’applique réellement dans ce cas?
Beaucoup de solutions ont été proposées, certaines ont déjà été essayées, ici et ailleurs, et ont fait leurs preuves.
· Rendre l’école obligatoire jusqu’à la fin du secondaire, ou jusqu’à l’obtention du DES ou du DEP.
· Augmenter le nombre de CPE disponibles, surtout dans les milieux défavorisés : meilleure préparation des jeunes enfants à l’entrée à l’école, meilleur dépistage des enfants à risque, et donc meilleur suivi.
· Modifier le programme scolaire, au primaire et au secondaire, pour valoriser et mettre plus l’accent sur la lecture en éveillant l’intérêt des jeunes pour la lecture et en leur inculquant des techniques (car il a été démontré que les élèves qui prennent plaisir à lire, et pour lesquels la lecture s’inscrit dans le quotidien, améliorent leurs compétences en compréhension de l’écrit par la pratique). Cela favorisera indéniablement l’identité et la culture québécoise par l’enracinement du français et l’enrichissement de la culture francophone.
· Modifier le programme scolaire, à partir de la 1ère année du secondaire, afin d’inclure plus de cours techniques en option (motiver les jeunes par les choses qu’ils aiment).
· Rendre disponibles plus de travailleurs sociaux et de conseillers en orientation dans les écoles et les maisons de jeunes.
· Mettre en place une vaste campagne de sensibilisation pour informer les parents et les enfants des conséquences du décrochage scolaire et des différentes solutions et moyens disponibles pour les aider.
· Poursuivre et renforcer IDEO 16-17, une mesure de la Stratégie d’action jeunesse 2009-2014, lancée par le gouvernement du Québec en mars 2006, et de la stratégie « agir autrement », visant à favoriser l’insertion professionnelle des jeunes qui connaissent des difficultés particulières afin de les aider à atteindre l’autonomie sociale, professionnelle ou personnelle.
· Miser plus sur les divers acteurs sociaux comme éléments de solution, par exemple à travers l’implication de personnages faisant figure de modèles auprès des jeunes (chanteurs, acteurs, artistes, sportifs…).
· Mettre en place un programme de parrainage décrocheur/ retraité pour rendre le cadre des études moins rigides, en favorisant des périodes de rencontres et d’échanges moins formels entre les élèves et ces experts de la vie (cette approche pourrait aussi avoir un prodigieux bénéfice marginal sur le mieux-être des aînés eux-mêmes à travers l’enrichissement de leurs relations interpersonnelles
· …
Nous vivons dans un contexte mondial où les ressources se font limitées, alors que les besoins sont illimités. En considérant également la loi de Wagner, il est clair que des choix s’imposent.
L’État doit mener une vaste réflexion sur ce problème; en effet, la santé est importante, les routes et infrastructures également, l’agriculture, le tourisme, la dette publique, l’équilibre budgétaire. Oui, la défense aussi… La liste s’étire à l’infini selon la classe socio-économique, les divers groupes de pression, les allégeances politiques, l’origine ethnique, religieuse ou culturelle…
Mais au-delà de toutes ces dimensions, il nous faut préparer « LA » force de l’avenir, nos jeunes, à prendre la relève, sinon tout ce que nous entreprenons, État et société civile, aura une portée plus que limitée… Oui le système éducatif est gratuit et accessible, mais ce n’est pas suffisant…
Il ne suffit pas de rembourser aux parents qui n’ont pas accès au CPE les services de garde. Il faut offrir des CPE à tous les enfants du Québec pour qu’ils aient les mêmes chances de réussite.
Nous ne devons plus considérer le décrochage comme une fatalité, mais comme un phénomène que nous pouvons et devons combattre au quotidien.
L’État doit jouer le rôle de leader, d’analyste, de régulateur, de planificateur, de contrôleur, car c’est lui le grand gagnant… L’objectif d’augmenter, d’ici 2020, le taux de diplomation à 80% avant l’âge de 20 ans, est ambitieux mais réalisable si on y met les ressources nécessaires. « L’entrepreneurship » de l’État québécois doit se refléter dans la politique qu’il mettra en œuvre pour contrer le décrochage. La planification et la programmation à long terme, cohérente malgré les changements de gouvernements, doivent s’appliquer… L’intérêt public doit primer sur les intérêts du ministre en place ou du gouvernement qui essaie de faire ressortir sa politique et mettre en défaut les prédécesseurs.
L’amélioration de la situation requiert que tous et toutes se mobilisent et s’engagent encore davantage pour former le plus grand des groupes de pression, et promouvoir la cause: les parents, la communauté, les ministères, les instances municipales, le milieu scolaire et du travail, et les autres acteurs concernés. Il est également devenu nécessaire de valoriser davantage l’éducation, en particulier dans le réseau public, de manière à ce que la persévérance et la réussite scolaires deviennent des valeurs fondamentales de notre société.
Il faut donner à nos jeunes les moyens de réussir, et ça, c’est notre plus grand défi. A tous les jeunes, y compris ceux des milieux défavorisés et les jeunes autochtones. Pour être concurrentiel au niveau mondial à tous les niveaux. Pour être autosuffisant en matière de ressources humaines.
Chaque décrocheur en est un de trop… Comme le slogan du MELS l’indique si bien,
« L’avenir s’écrit à l’école : faisons tous nos devoirs »!
Quelques références
Tendances du décrochage et des résultats sur le marché du travail des jeunes décrocheurs- Statistiques Canada, 2010
De nouvelles données sur le décrochage au Québec et au Canada,Rire.ctreq.qc.ca, 2010
Le devoir (9 février 2009) : Statistique Canada- le décrochage scolaire a augmenté au Québec sous les libéraux.
Le devoir (4 novembre 2010) : Étude de statistique Canada- Le Québec, cancre du Canada pour le taux de diplomation.
Taux de décrochage annuel – 2011, http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/publications/index.asp?page=fiche&id=1586
Loi sur la prévention du décrochage scolaire- Le parlement des jeunes 2011. Projet de loi 2www.assnat.qc.ca/fr/document/47171.html
Décrochage scolaire au Québec : coûts et conséquences http://www.reseaureussitemontreal.ca/IMG/pdf/fiche_04_couts.pdf
http://www.mels.gouv.qc.ca/Agirautrement/agir.pdf
http://www.quebecdroite.com/2010/09/decrochage-scolaire-le-canada-fait.html
Ménard : Savoir pour pouvoir : entreprendre un chantier national pour la persévérance scolaire. Rapport du groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaires au Québec.
OCDE (2011), dans Regards sur l'éducation 2011 : Panorama,Éditions OCDE, http://dx.doi.org/10.1787/eag_highlights-2011-5-fr
http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/reussitescolaire/index.asp?page=realite
Commentaires
Nous voilà avec un bon blog de Lina à lire et triturer.
Déjà l'effort mérite d'être soulkigné. En administration publque trop peu de personne prennent la parole publique sur
des sujets qui touche toute la collectivité.
Un même commentaire ...non moins méritoire Lina.
Prof
Le décrochage scolaire, fléau de notre société. Personnellement, je crois qu'une trop grande importance a été mise sur l'université. En effet, dans le monde compétitif dans lequel nous vivons, il est très valorisé de viser le plus haut possible. Or, tous ne sont pas faits pour faire des études supérieures. Ayant complété moi-même deux baccalauréats, je dirais que je suis de ceux qui aiment l'école. Par contre, ce n'est pas le cas de tous. Les dissertations et les travaux de trente pages, ce n'est vraiment pas pour tout le monde. Et c'est correct! Une vie réussie ne passe pas nécessairement par l'université. Une personne peut avoir une très belle carrière après des études techniques ou professionnelles.
Je crois donc qu'il serait important de rappeler aux jeunes du secondaire qu'il y a plusieurs choix qui s'offrent à eux. Que ce soit les métiers de la construction, la coiffure, la cordonnerie, l'électromécanique. Certains des programmes de DEP mènent à des métiers qui sont en voie de disparition. Pourtant, nous aurons toujours besoin d'un plombier ou d'un électricien. Par contre, pour connaître ces choix qui s'offrent à eux, il faudrait également quelqu'un pour leur présenter. Ainsi, le retour du cours d'orientation au choix de carrière serait un "must". Il faudrait sans doute réviser le cours par contre.