Ibra Kandji–Blog2-LA BATAILLE POLITIQUE ET SON PROLONGEMENT DANS L’ÉTAT
EN Mars 2000, le parti démocratique sénégalais (PDS) venait de remporter les élections présidentielles au bout de 26 ans d’opposition, réalisant ainsi la première alternance démocratique non seulement au Sénégal mais en Afrique de l’Ouest. Ce fut un bel exemple de démocratie et une nouvelle page de l’histoire d’un pays considéré comme un modèle politique en Afrique venait de se confirmer ainsi.
Ce fut une première dans ce pays, que de nouveaux hommes et de nouvelles femmes, cadres et autres politiques, allaient prendre place et remplacer ainsi des anciens rompus à la tâche par 40 ans de gestion de l’État. Le désir de changement du peuple a rendu les choses assez faciles, mieux dans un État de droit. La volonté populaire a été de ce fait respectée à travers les urnes.
La période d’euphorie passée, le nouveau président installé et le nouveau gouvernement nommé avec un nouveau premier ministre. Tout était nouveau, le désir de changement après 40 ans d’incubation, venait de s’accomplir. Une nouvelle constitution est même rédigée et plébiscitée. Tout l’État était entre les mains de la nouvelle équipe. Mais à l’exercice du pouvoir les choses ne semblaient pas évidentes, même au sein de l’équipe dirigeante. Face à cette machine qu’est l’Administration Publique et dont le fonctionnement nécessite des pouvoirs et des responsabilités, il fallait faire preuve d’une grande prudence sur ses décisions, d’un grand respect aux règles et d’une grande humilité de son pouvoir.
La première problématique est pour le président : comment troquer ses habits de chef de parti de 26 ans par des habits de président de quelques jours? Pour les ministres : comment alterner la casquette de politique et la casquette de haute autorité administrative? Comment faire respecter et exercer les pouvoirs qui leur sont conférés sans perdre leur champ politique qu’ils ont labouré pendant de longues années.
L’épilogue de cette problématique s’est finalement déroulé au sommet de l’État, entre le président de la république No 1 du parti et son 1er ministre No 2 du parti.
Dans son programme d’investissement appelé les « grands chantiers du chef de l’État », le président avait prévu de décentraliser chaque année l’organisation de la fête de l’indépendance dans une région du Sénégal et c’était l’occasion de faire de gros investissements ciblés dans cette région, prétexte qui lui permettait de consacrer une bonne partie du budget d’investissement chaque année à une région. Une bonne approche politique pour assurer une certaine longévité au pouvoir. Au moment où une région est prioritaire (satisfaction), les autres attendent leur tour (espoir). La première année du programme était pour 2004, la région de Thiès devant être à l’honneur. C’était la région du premier ministre où il est le maire (1er magistrat de la ville), son fief politique (charité bien ordonnée commence par soi-même). Une enveloppe de 20 milliards de FCFA (40 millions de dollars can) lui a été concédée sur le budget 2002-2003. Les travaux consistaient à faire des routes, des équipements, de l’éclairage public, des réfections, de l’assainissement etc. Compte tenu des délais et de l’importance des travaux il fallait démarrer immédiatement pour espérer atteindre les objectifs, la date de la fête de la souveraineté nationale étant le 04-4-2004.
Face aux exigences de l’Administration Publique, les déformations politiques ont fait surface (improvisation et précipitation). Le budget n’étant pas mis en place, le planning n’étant pas bien étudié (annonce politique face à la rigueur des procédures dans l’administration), les exigences du monde des affaires (sécurité des paiements, prudence dans la gestion), le gouvernement a choisi de se faire des partenaires au niveau des entreprises pour se sortir d’affaire. Il n’y a pas eu d’appel à la concurrence sinon des négociations de gré à gré avec les plus grandes entreprises de la place en génie civil, la condition étant de démarrer les travaux avant même de recevoir une avance de démarrage, le budget n’étant pas en place (pas de disponibilités). Parmi toutes les entreprises, une seule a accepté de prendre en charge presque tous les travaux, le patron étant de la même région (fierté et appartenance).
Pendant l’exécution des travaux dont le démarrage s’est bien déroulé, avec même un bon avancement dans la réalisation, il s’est passé une crise politique au sommet de l’État opposant le président et son premier ministre. Ce fut un prétexte pour revoir tous les comptes et appliquer la rigueur de l’Administration centrale aux décisions et agissements politiques sur la gestion de ce qui fut appelé les « chantiers de Thiès ».
Le président porteur de ce projet de « grands travaux de l’État » reproche à son premier ministre en plein conseil des ministres un dépassement budgétaire de 26 milliards de FCFA (52 millions de dollars can), dépassement qu’il ne saurait tolérer.
Ce fut le début d’une longue et douloureuse histoire, mettant en scelle tous les corps de contrôle de l’État dont le plus haut de la hiérarchie (l’Inspection Générale d’État). Il est reproché à l’entreprise de la surfacturation. En conclusion des chefs d’accusation portant sur de la collusion et de la corruption finiront par être les raisons d’une longue saga judiciaire.
Le premier ministre après démission, sur décision parlementaire, se retrouva devant les tribunaux et finit par être condamné à une peine de prison. Il va bénéficier d’une liberté provisoire au bout de longs mois de détention. A sa sortie, la politique ayant fait son jeu de magie, un rapproche de positions s’est opéré et un non-lieu est obtenu.
Le patron de l’entreprise s’est retrouvé en prison et son entreprise ruinée avec 3000 employés en chômage.
Sept ans après, une nouvelle alternance est survenue en mars 2012. Le nouveau régime, face à la demande populaire consistant à faire la lumière sur toute la gestion du régime sortant, et de réparer les injustices causées, fait à son tour appel à l’Administration Publique à travers ses structures de contrôle pour accéder à la demande du peuple. Ce fut le début des auditions sur fonds d’enrichissement illicite, une loi longtemps existante mais jamais appliquée. Le nouveau pouvoir se promet aussi de rétablir l’entreprise dans ses droits.
En conclusion, nous pouvons dire qu’une Administration Publique forte, finit toujours par triompher des politiques qui veulent se servir d’elle pour gagner des combats politiques. Au mieux des cas, elle peut obéir afin de rétablir et faire respecter les règles transgressées, quid à aider à l’atteinte d’objectifs politiques sans le vouloir. Elle se retournera tôt ou tard sur ceux qui l’ont manipulée en maquillant leurs décisions par des actes administratifs mais pour des desseins politiques. Ceux-là, l’Administration Publique finira toujours par les rattraper.
Commentaires
Nous voilà avec un bon blog de Ibra à lire et triturer.
Déjà l'effort mérite d'être souligné. En administration publique trop peu de personnes prennent la parole publique sur
des sujets qui touchent toute la collectivité.
Un même commentaire ...non moins méritoire Ibra
Je t'aime papa