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Blog#2-Véro Tessier : Le « modèle québécois »

            Lors de la dernière campagne électorale au Québec, il était fréquent d’entendre certains candidats de la Coalition Avenir Québec de François Legault énoncer qu’il faudra revoir le « modèle québécois ». Ses détracteurs, partisans de «l’État-minceur», jugent que ce modèle est trop lourd et qu’il est trop contraignant pour les entreprises et les entrepreneurs et  le consensus qui entoure ce modèle semble déplaire à plusieurs. La remise en question de ce dernier a des échos dans la population québécoise, surtout par le biais des médias (lignes ouvertes, vox pop, lettres d’opinions ou encore dans les médias sociaux tel que Twitter). Le reproche unanime vient surtout de la classe moyenne qui déplore le haut taux d’imposition et de taxation auquel elle est assujettie et qui ne manque pas de rappeler au passage qu’au Québec, près de 43% de la population ne paie pas d’impôt. Mais quand on demande à ceux qui en font partie s’ils accepteraient que le gouvernement coupe dans « ses services publics », ils répondent plus souvent qu’autrement par la négative. C’est à se demander si la population de Québec sait de quoi il en retourne quand on parle du « modèle québécois ». Mais qu’entend-on au juste par « modèle québécois »? Certaines caractéristiques principales le décrivent bien. En voici quatre je considère être fondamentales.

 

Tout d’abord, le Québec est un État défenseur de sa langue puisque c’est le seul endroit sur le continent nord-américain où on retrouve une majorité de francophones. Certains diront que le Québec partage cette caractéristique avec Haïti, ce qui n’est pas tout à fait vrai puisque ce pays ne fait pas partie du continent. Le fait de se retrouver en situation minoritaire a pour conséquence de nous rendre plus solidaires contrairement à la majorité qui sait que, quoi qu’il arrive, elle aura toujours la force du nombre. Dans le même ordre d’idée, le Québec doit également porter une attention particulière à la promotion de sa culture s’il ne veut pas être emporté par cette vague de culture américaine et canadienne anglaise omniprésente sur le continent. Plusieurs personnes reprochent d‘ailleurs au Québec de protéger jalousement son identité mais cette attitude est compréhensible dans un contexte de fragilité et de précarité de sa langue et de sa culture.

 

Deuxièmement, le Québec est un État entrepreneur. On y retrouve une économie mixte qui accorde une place importante aux entreprises privées mais où il existe aussi une économie sociale, coopérative et syndicale à laquelle s’ajoute l’interventionnisme de l’État. Au Québec, le premier employeur privé est le Mouvement Desjardins qui, est-il besoin de le rappeler, est d’abord et avant tout une coopérative. Voici ce qu’avait à dire Michel Venne sur la coopération au Québec lors d’une conférence :

La coopération est une de nos forces. C’est une force, en soi. Et c’est une des forces que nous avons développées au Québec, plus qu’ailleurs au Canada. La moitié des emplois coopératifs au Canada sont au Québec. Il y a deux fois et demie plus de coopératives chez les francophones que chez les anglophones au Canada. Ça tient en partie à notre histoire. […] Selon le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité, le nombre d’emplois net dans les coopératives non financières a crû de 37,3 % de 1999 à 2009, en comparaison de 15,7 % pour l’économie québécoise en général. Environ 7 % des emplois québécois sont liés à l’existence de ces entreprises collectives<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]-->

Il y a aussi des initiatives économiques faites par les syndicats comme le Fonds de solidarité de la FTQ et le « Fondaction » des travailleurs de la CSN, qui investissent l’argent de la population dans des entreprises privées, ce qui est une pratique plutôt inusitée et pratiquement inexistante ailleurs en Amérique du Nord. Quant au gouvernement, quand on regarde le rôle qu’il joue, nous pouvons dire qu’il constitue en soi un important levier économique et un outil de développement pour la province. Nous n’avons qu’à penser aux grands projets comme les barrages hydro-électriques du Grand Nord ou encore, plus récemment, la construction des deux méga-hôpitaux universitaires à Montréal soit le CHUM et le CUSM.

 

Troisièmement, le Québec est solidaire. C’est en effet dans cette province que les inégalités sociales entre les riches et les pauvres sont les plus faibles comparativement aux autres provinces du Canada<!--[if !supportFootnotes]-->[2]<!--[endif]-->. Ceci n’est pas étranger au fait que le gouvernement québécois a choisi au fil des ans de créer certains programmes à saveur « solidaires », ce qui a eu pour effet d’améliorer la cohésion sociale. Au Québec, il y a une multitude de mesures qui visent une répartition plus équitable de la richesse comme les CPE à 7$, les congés parentaux, l’assurance médicaments, le système d’éducation et le système de santé pour ne nommer que ceux-là. Cet ensemble de mesures sociales fait en sorte que le filet de sécurité du Québec est plus fort qu’ailleurs en Amérique du Nord.

 

Enfin, au Québec, la concertation est très présente. Les défenseurs du « modèle québécois » vantent les capacités de ce peuple à créer un climat de dialogue entre les patrons, les syndicats et l’État. Cette aptitude est également assez rare ailleurs dans le monde. Un bon exemple de ce dialogue est la participation active de la population à des grands sommets, comme celui sur l’éducation supérieure qui se tiendra en février 2013 et qui sera présidé par le ministre Pierre Duchesne<!--[if !supportFootnotes]-->[3]<!--[endif]-->. Ceci démontre à quel point l’État québécois considère comme étant importante la consultation participative de la population. Cette tendance à la consultation et à la concertation se manifeste dans divers milieux et sous diverses appellations comme les tables de concertation, les forums, les assemblées citoyennes, les commissions parlementaires, etc.

 

            Ces principes fondamentaux du « modèle québécois » semblent faire l’unanimité dans notre société qui ressent également un important attachement collectif à « ses services publics ». Mais comment expliquer que ce modèle soit remis en question par les économistes, les politologues et les politiciens depuis la fin des années 1990? Certes, le débat du public versus le privé ne date pas d’hier et n’est pas prêt de disparaître et ce qui se passe chez nos voisins du Sud a un impact sur notre société. Les Américains sont très influencés depuis les années 1980 par le courant du Public Choice. À ce sujet, le taux d’imposition de la classe moyenne peut paraître alléchant à première vue mais, quand nous analysons les services publics auxquels les Américains ont accès, « le ballon peut se dégonfler » très rapidement. À titre d’exemple, la majorité des Américaines n’ont pas de congé payé lorsqu’elles accouchent, ce qui fait en sorte que plusieurs d’entre elles reviennent au travail 15 jours après leur accouchement<!--[if !supportFootnotes]-->[4]<!--[endif]-->. Cette perspective serait intolérable pour une grande partie de la société québécoise.

 

            Pour d’autres, le « modèle québécois » est comparable à celui de la Suède.  En effet, notre modèle est, en quelque sorte, une version nord-américaine de la social-démocratie que l’on retrouve dans les pays scandinaves comme la Suède, la Norvège et le Danemark. L’activiste politique et fondateur de Génération d’idées (groupe de réflexion à but non lucratif dont la mission est d’intéresser les 20-35 ans au débat public en les invitant à s’exprimer sur des thèmes de société), Paul Saint-Pierre Plamondon, revient d’un voyage en Suède. Il s’y est rendu avec un groupe de chercheurs pour voir et analyser en quoi le «modèle québécois» (qui remet en question ses programmes sociaux et sa compétitivité à l’échelle internationale) pourrait s’en inspirer, considérant que la Suède a un rendement économique très performant et peu d’inégalité sociale. Voici un bref résumé de ce qu’il a déclaré alors qu’il était reçu sur les ondes de RDI par le journaliste Gérald Fillion :

Le Québec pourrait s’inspirer du modèle suédois mais le problème est, qu’ici, il y a beaucoup de blocages, car le taux de confiance de la part de la population envers les institutions publiques est très bas. Il dit aussi qu’en Suède, il y a peu de corruption, car les Suédois sont très intransigeants envers celle-ci et ce, dans toutes les sphères de la société, car selon leur mentalité, la corruption bloque l’innovation. Avec un taux d’imposition parmi les plus élevés, soit jusqu’à 57% avec une taxe sur les produits et services de 24%, les Suédois investissent plus que le Québec dans le capital humain et ils introduisent la concurrence dans les différentes sphères de l’économie, ce qui a pour conséquence d’encourager la compétition dans le marché. Ils ne sont pas effrayés par des projets de droite<!--[if !supportFootnotes]-->[5]<!--[endif]-->.

 

            C’est bien beau les idées de monsieur Saint-Pierre Plamondon, mais la réalité est la suivante : le « modèle québécois » s’est forgé à travers notre histoire, notre langue et nos valeurs québécoises. Ça ne s’appellera plus le « modèle québécois » si on copie les Suédois. La force de notre modèle est que son administration publique travaille pour l’intérêt général de l’ensemble de la population, ce qui est très complexe. J’estime que c’est à l’ensemble du pouvoir administratif contrôlé par l’État de trouver des solutions pour améliorer le « modèle » et corriger ses lacunes, car le Québec n’est pas la Suède et vice versa. Nous sommes une société distincte avec des valeurs et une histoire bien à nous. Ce n’est pas que nous soyons meilleurs que les Suédois, mais notre réalité linguistique et géographique nous oblige peut-être à innover et à trouver des solutions typiquement québécoises.

 

 

Véronique Tessier

Candidate à la maîtrise de l’ÉNAP

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<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> Michel Venne, « Le retour de la coopération : extrait d’une conférence prononcée le 22 août 2012 à l’Assemblée bisannuelle de la Coop fédérée, au Lac-Delage », Le Blog de Michel Venne, 9 octobre 2012 [en ligne] http://michelvenne.inm.qc.ca/

<!--[if !supportFootnotes]-->[2]<!--[endif]--> Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion, La pauvreté, les inégalités et l’exclusion sociale au Québec : vers l’horizon 2013, Gouvernement du Québec, 2011, [en ligne] http://www.cepe.gouv.qc.ca/publications/pdf/CEPE_Etat_situation_2011.pdf

<!--[if !supportFootnotes]-->[3]<!--[endif]--> Normand Grondin, « Un sommet sur l'enseignement supérieur en février prochain », Radio-Canada.ca, 8 novembre 2012 [en ligne] http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2012/11/08/003-education-superieure-sommet.shtml

<!--[if !supportFootnotes]-->[4]<!--[endif]-->Jody Hermann, Alison Earle, Jeffrey Hayes, Work, Family, and Equity Index: How Does the U.S. Measure Up?, Université McGill, Montréal,  2007, [en ligne] http://www.mcgill.ca/files/ihsp/WFEIFinal2007.pdf

<!--[if !supportFootnotes]-->[5]<!--[endif]--> Entrevue de Paul Saint-Pierre Plamondon dans le cadre de l’émission RDI Économie du 22 novembre 2012 avec le journaliste Gérard Fillion «S’inspirer du modèle suédois» [en ligne] http://www.radio-canada.ca/audio-video/#urlMedia=http://www.radio-canada.ca/Medianet/2012/RDI/2012-11-22_18_30_00_rdiecono_754_500.asx&pos=0

Commentaires

  • Nous voilà avec un bon blog de Véro à lire et triturer.
    Déjà l'effort mérite d'être souligné. En administration publique trop peu de personnes prennent la parole publique sur
    des sujets qui touchent toute la collectivité.
    Un même commentaire ...non moins méritoire Véro

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