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Olivier M. - LA PAIX DES BRAVES – ÈRE NOUVELLE OU HISTOIRE ANCIENNE ? - Olivier Maligne

Il y a dix ans – le 7 février 2002 exactement – le premier ministre Bernard Landry, accompagné, entre autres, de Monsieur Rémy Trudel, ministre responsable des affaires autochtones, se rendait dans la communauté Crie de Waskaganish pour signer avec le grand chef du grand conseil des Cris Ted Moses, accompagné des chefs de neufs communautés cries, une entente politique et économique restée dans l’histoire sous le nom de Paix des Braves. Pour la petite histoire – et pour l’érudition des lecteurs – rappelons que l’expression est ancienne, et qu’elle désigne des accords de paix à des conditions honorables pour les deux combattants, qui reconnaissant mutuellement leur courage et leur détermination dans la lutte. Le général carthaginois Hamilcar Barca la proposa aux insurgés de la guerre des mercenaires (qui l’acceptèrent), et le général De Gaule la proposa aux insurgés de guerre d’Algérie (qui la déclinèrent).

Et du courage et de la détermination dans la lutte, il y en a certainement eu entre les Cris et le gouvernement du Québec, car les conflits politiques et les contentieux juridiques entre eux duraient depuis plus de 25 ans, c’est-à-dire depuis que la mise en œuvre de la Convention de la Baie James avait échoué à régler les conflits territoriaux dans cette région.À l’époque, et même encore aujourd’hui, on a beaucoup parlé des sommes d’argent qui seraient versées aux communautés et aux organismes cris. Mais cette « entente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Québec et les Cris du Québec »[1] (titre du document officiel) va bien au-delà d’une simple compensation financière versée en échange de l’abandon des poursuites. Il s’agissait alors ni plus ni moins que de changer radicalement les rapports entre Québec et Autochtones. La Paix des Braves marque effectivement un pas important dans l’histoire contemporaine des sociétés autochtones au Canada, et ce pour au moins deux raisons.

Premièrement, il est clairement affirmé dans le document que cette entente est pensée comme un accord entre deux nations. Bien sûr, on sait pertinemment que ces deux nations ne disposent pas d’une souveraineté pleine et entière, loin s’en faut. Mais c’est justement un aspect important de la signification politique de la Paix des Braves : en passant pour ainsi dire par-dessus la tête du gouvernement fédéral, les deux parties prenantes concluent non seulement un accord qui leur est mutuellement profitable, mais font également une déclaration politique forte aux yeux du Canada et du monde. Pour le gouvernement péquiste d’alors, ce qui peut apparaître comme un empiètement sur un domaine relevant traditionnellement de la compétence fédéral s’inscrit peut-être dans une stratégie globale souverainiste, la même qui fait que le Québec entretient des relations « internationales » (de nation à nation, donc) avec différents pays du monde. Ce qui est frappant, mais pas forcément surprenant dans le fond, c’est que cette stratégie est tout fait comparable à celle adoptée par nombre de Premières Nations, depuis que des mouvements de revendication autochtones forts et organisés ont émergé en Amérique du Nord (c'est-à-dire, pour aller vite, depuis le milieu du vingtième siècle et plus encore depuis les années 1970). Établir des relations d’échange avec des gouvernements étrangers en court-circuitant les gouvernements (canadien et états-unien) sous la tutelle desquels ils se trouvaient revenait à une forme de souveraineté, au moins symboliquement. Dans cette perspective, la Paix des Braves apparaît donc bien comme une synergie entre deux mouvements de revendication nationale.

Par ailleurs, la Paix des Braves est aussi une entente hors cour. En ce sens, elle préfigure une approche assez nouvelle des revendications autochtones, et qui consiste en substance à être proactif plutôt que réactif. Jusqu’alors, on pourrait dire « traditionnellement », les questions de gouvernance et de droits autochtones se réglaient devant les tribunaux. Les évènements suivaient un général un cours semblable. Ou bien un gouvernement (une municipalité, une entreprise publique ou privée, etc.) prenaient des initiatives affectant les territoires revendiqués par les Premières Nations sans les consulter, ce qui entraînait l’opposition de ces dernières. Ou bien une personne ou une organisation autochtone exerçait ce qu’elle considérait être son droit, mais qui contrevenait aux lois provinciales ou fédérales, se voyait sanctionnée, et contestait la sanction. Dans les deux cas, le conflit pouvait prendre des proportions importantes et finir par se régler devant les tribunaux. C’est ainsi que la quasi-totalité des droits autochtones (dont le titre aborigène et les droits ancestraux) ont été conquis de haute lutte par les Premières Nations, au prix contentieux administratifs et de procès long et coûteux pour les deux parties. Avec la Paix des Braves, on met fin à une lutte judiciaire de deux décennies sans attendre le verdict des juges, et l’on s’engage à mettre en pratique les obligations de consulter et de négocier de bonne foi énoncées dans la Convention de la Baie James.

Ainsi, la Paix des Braves semble consacrer une nouvelle forme de partenariat entre gouvernement du Québec et Premières Nations. Dans cette « souveraineté-association », selon la formule de René Levesque, les Cris se voient reconnaître un droit de regard sur l’utilisation des territoires qu’ils revendiquent, afin d’exercer un rôle plus actif dans les activités de développement économique de la région et reçoivent une part de ses fruits. Ce qui se passe actuellement avec le plan Nord semble confirmer cette interprétation, puisque le gouvernement du Québec vient de garantir trois contrats de construction routière aux Cris de Mistissini[2].

Or, c’est peut-être là que le bât blesse, et que l’idée de la Paix des Braves comme début d’une nouvelle ère pour les Premières Nations au Québec trouve sa limite. Car ces garanties et ces retombées ne sont accordées qu’aux Cris, et dans une moindre mesure aux Naskapis et aux Inuits, qui sont englobés dans la convention de la Baie James. Bien sûr, il est juste et légitime que la Paix des Braves profite d’abord à ceux qui l’ont signée et qui se sont battu pour l’obtenir. Mais la question se pose : combien de temps faut-il se battre pour mériter la paix des braves ? Fin 2011, les Cris ont logiquement affirmé leur appui au plan Nord, dont ils espèrent les retombées économiques (le développement économique et social est un enjeu critique pour les communautés autochtones), par la voix de Monsieur Roméo Saganash, ancien représentant du grand conseil des Cris pour le Québec, et aujourd’hui député fédéral de la circonscription d'Abitibi-Baie-James-Nunavik-Eeyou[3]. En mai, cependant, l’Assemblée des Premières Nation du Québec et du Labrador rappellait, par la voix de son chef Monsieur Ghislain Picard, que les Innus, eux, n’ont pratiquement pas été consultés, et qu’ils n’auront probablement pas beaucoup à attendre du plan Nord, alors que les territoires qu’ils revendiquent et utilisent pour leurs activités traditionnelles sont touchés de près. Ces territoires sont en litige depuis les années 1970 et ils n’ont pas fait l’objet d’une entente globale comparable à la Paix des Braves[4]. À ce propos, Monsieur Picard estime d’ailleurs que le plan Nord devrait faire l’objet d’un encadrement comparable à la Convention de la Baie James.

Force est donc de constater que, contrairement à une idée répandue, la Paix des Braves n’a pas résolu tous conflits entre Premières Nations et gouvernement du Québec sur la très sensible question du territoire et des ressources. Hors de tout engagement partisan ou idéologique, on peut remarquer que si le gouvernement actuel respecte, comme il en a l’obligation, les engagements pris par ses prédécesseurs (continuité de l’État oblige), il ne paraît pas décidé à en étendre la portée,  ni à reprendre à son compte la philosophie qui les anime. Dans cette situation, il semble probable qu’un nouveau cycle de procès et de conflits politiques plus ou moins médiatisés attende les Premières Nations et le gouvernement du Québec dans les mois et les années à venir.

 

 

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