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Étienne Audet

Suite à une note (Se sortir la tête du sable: la contribution de la Caisse de dépôt et placement dans le développement des énergies fossiles au Québec) publiée par Éric Pineault et François L’Italien de l'institut de recherche en économie contemporaine (IREC), le débat entourant le rôle de la Caisse de dépôt et placement du Québec est une fois de plus revenu sur la table. Dans un document d'une vingtaine de pages, les auteurs s’en sont pris à la politique d’investissement de la Caisse et plus fondamentalement, au rôle qu’elle joue dans la structuration de l’espace économique québécois. En mettant en lumière les pratiques financières de la Caisse, ils en concluent que celle-ci ne participe pas au développement du Québec comme elle devrait le faire.

Preuve à l’appui, les auteurs démontrent que la société d’État a effectué des placements de l'ordre de 5,4 milliard dans des compagnies du secteur des sables bitumineux, soit 14% de son portefeuille d'actions. Cela représenterait un investissement deux fois plus élevé que le total des entreprises québécoises cotées en bourses, qui n’atteindrait que 2,7 milliards. Qui plus est, les 10 premiers placements de la Caisse en termes de titres de toute sorte regrouperaient 4 entreprises œuvrant dans ce secteur d’activités, soit Enbridge, Enbridge LLT, Suncor, et Canadian Natural Ressources.

La Caisse de dépôt et placements a rapidement réagit à cette étude qu’elle a qualifié de « peu sérieuse », notamment parce qu’elle homogénéise et associe à tort toutes les activités des entreprises en question à l’exploitation des sables bitumineux. En effet ces dernières opèrent pour la plupart non seulement dans d’autres secteurs telles les raffineries et les stations-service, mais également dans certaines énergies alternatives comme l’éolien dans le cas de Suncor. Cette erreur méthodologique s’ajoute selon l’institution à une erreur de nombre concernant les participations dans les entreprises québécoises qui totaliseraient en tout et partout 20 milliards, au lieu de 2,7! De plus, elle rappelle qu’avec une hausse de la demande des énergies traditionnelles dont les énergies fossiles sur les marchés internationaux, il serait imprudent de faire fi des rendements qu’elles procurent aux déposants.

Au-delà d’une guerre de chiffres, la relance du débat renvoie à cette sempiternelle balance entre rendement et développement du Québec, deux versants d’une même raison d’être. Cette recherche d’équilibre trouve ses origines dans le discours de création de la Caisse de dépôt et placement prononcé à l’Assemblée nationale, le 9 juin 1965, par Jean Lesage : « Elle [la Caisse] doit pouvoir satisfaire à la fois des critères de rentabilités convenables et rendre disponible ses fonds pour le développement à long terme du Québec. De tels objectifs ne sont pas incompatibles à condition que l’on sache associer une prudence élémentaire à des objectifs économiques et financiers précis. »

Deux éléments de cet extrait me semblent particulièrement éclairants. En premier lieu, il ne fait nul doute que, selon l’esprit de la loi, l’investissement de la Caisse de dépôt et placement dans les sables bitumineux satisfait à ces critères de rentabilités convenables et permet de bonifier significativement le bas de laine des Québécois. En ce sens cela ne devrait pas « empêcher les gestionnaires de la CDP de dormir sur leurs deux oreilles », aux dires de certains journalistes. Mais la logique ne s’arrête pas là. Les récentes politiques du gouvernement du Québec en matière de réduction des gaz à effet de serre (crédits d’impôt sur la construction de résidences «vertes» et l’achat de véhicules électriques, bourse du carbone, projet de transports en commun,  etc.) sont en porte-à-faux avec la politique d’investissement de la CDP. Si les rendements «bitumineux» sont une possibilité à court terme, l’indépendance face aux ressources «malpropres» en est bien une à long terme. Force est de constater que l’augmentation constante de nos importations de pétrole est en flagrante contradiction avec le deuxième versant de la mission de la Caisse.

L’une des raisons de cette confusion, et en deuxième lieu, est l’absence quasi-totale d’objectifs clairs et précis quant au développement du Québec. La CDP pourrait très bien, au terme d’un trimestre extrêmement rentable, n’avoir que très peu investi sur notre territoire. Ce qui fait cruellement défaut est l’absence d’un schéma de référence, d’une stratégie formelle. La Caisse pourrait, comme le propose François Legault, s’entendre avec les déposants sur des pourcentages d’investissement, de n’importe quel ordre, et les gestionnaires aurait la tâche de trouver les meilleures opportunités de placements en sol québécois. La proximité avec les entreprises entrainerait ainsi une connaissance plus approfondie de leurs activités et de leur plan d’affaires. Le risque, aussi dangereux soit-il, serait beaucoup moins élevé que si l’on investissait dans des complexes aéroportuaires Londoniens, par exemple.

Bien que cette proposition puisse être intéressante, elle est aussi incomplète parce qu’elle ne crée pas a fortiori une vision économique à long terme chez les gestionnaires. Le problème demeure à mon sens plus profond, comme le résume Éric Pineault, en réplique au porte-parole de l’institution québécoise :

« L'orientation financière de la Caisse impose un mode de gestion particulier de notre épargne capitalisée. Disons-le d'emblée: les gestionnaires de la Caisse sont compétents dans leur domaine d'expertise: la gestion d'un portefeuille d'actifs diversifié en vue d'en maximiser le rendement. Ils expliquent leurs activités dans ce vocabulaire du rendement lorsqu'ils communiquent avec la société québécoise, ils sont rémunérés avec des bonus en fonction de leur capacité à battre l'indice, leur vision du monde n'est pas économique, elle est financière, et actuellement, ni les déposants ni le gouvernement du Québec ne leur demandent de faire autrement. »

La perte d'une orientation économique au profit d'une orientation financière dévoile à mon sens non pas une guerre de chiffres, mais une culture gestionnaire où le court terme semble être un horizon indépassable. Dans un tel contexte, c'est le rendement financier des déposants qui prime indirectement sur le développement économique du Québec. Sans objectifs précis ni vision à long terme, la Caisse de dépôt et placement perd lentement le sens premier des actions de toute société d'État: le service du bien commun.

Commentaires

  • Est-ce ton blogue ou un commentaire mon Étienne La Sarre
    de notre chère Abitibi ?

  • Mon blogue! :)

  • Bien dit mon cher Etienne,
    effectivement les objectifs de la CDP semblent flous depuis quelques temps...Que veut vraiment dire : critères de rentabilités convenables !!! Une chose est sûr , la CDP se devait de faire de bons rendements car les dernières années n'avait pas été très fructueuses...Espéront que les prochaines années pourront véritablement servir de tremplin à NOTRE développement économique.
    Salutations !

  • On en reparle dans la semaine des quatre jeudi Étienne.
    À une prochaine.

Les commentaires sont fermés.