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Jean-François Cusson - La défection politique : trahir ses convictions ou ses électeurs ?

 Le 2 juin 2011, Mathieu Ravignat, député de Pontiac, présentait à la Chambre des communes un projet de loi privée pour modifier la Loi sur le parlement en lien avec la question de l’appartenance politique. Ce projet de loi fut rejeté en Chambre le 8 février 2012. La veille, Gilles Robert, député de Prévost à l’Assemblée nationale, ouvrait une pétition intitulée : « Interdiction du passage d'une affiliation à un parti politique vers un autre pour les élus de l'Assemblée nationale ».

 L’actualité politique des dernières semaines a été marquée, au Québec comme au Canada, par la question délicate des transfuges politiques. On n’a qu’à penser aux cas récents de François Rebello (député de La Prairie), passant du Parti québécois à la CAQ et de Lise St-Denis (députée de St-Maurice-Champlain), passant du NPD au Parti libéral du Canada. On peut aussi relever les cas plus anciens de Lucien Bouchard, quittant son poste de ministre conservateur pour aller fonder le Bloc québécois (1990) ou celui de Belinda Stronach, abandonnant à son tour le parti conservateur pour devenir membre, et ministre, du Parti libéral (2005).  Au palier municipal, soulignons aussi le passage du maire de l’arrondissement montréalais Rosemont-Petite-Patrie, François Croteau, élu sous la bannière de Vision Montréal au deuxième parti d’opposition, Projet Montréal (2011).

 La défection politique semble aussi ancienne que la politique elle-même. À première vue, on pourrait expliquer ce phénomène en disant tout simplement qu’un individu change plus facilement d’idée qu’une entité complexe comme un parti politique ou un gouvernement. Pourtant, cette explication simpliste peut sembler incohérente, en particulier dans un contexte de démocratie représentative où l’élu est censé représenter les désirs et la volonté des citoyens de son district électoral.

 Dès lors, toute la question de la défection politique se construit autour de l’opposition fondamentale entre la liberté de conscience de l’élu et son devoir de représentation envers ses électeurs. En outre, la problématique des transfuges politiques, et la couverture médiatique qui l’entoure, mettent en lumière une certaine confusion au cœur même de l’exercice démocratique dans un contexte de parlementarisme britannique. Ainsi, et contrairement à  la croyance populaire, on ne vote pas « libéraux » ou « péquistes », on vote pour un individu, membre d’un parti politique. Mais est-ce à dire pour autant qu’on lui laisse les coudées franches pour « traverser le parquet » à sa guise ? L’élu n’a-t-il de compte à rendre à ses électeurs qu’une fois tous les quatre ou cinq ans ?

 D’un autre côté, quelle est la marge de manœuvre de l’élu en cas de dissension politique ou de divergence marquée de point de vue avec le caucus de son parti ? Comment peut-il exprimer ouvertement son refus d’endosser certains éléments du programme, ou certaines décisions de son parti sans quitter celui-ci ? Et s’il le quitte (que ce soit pour siéger comme indépendant ou pour se rallier à une autre formation), quelle est sa responsabilité par rapport aux citoyens de sa circonscription ? Les représente-t-il toujours ?

 

***

Le projet de loi présenté à Ottawa par le NPD (et, rappelons-le, battu en chambre en février dernier) prévoyait ceci en cas de défection politique :

 

« Le siège d'un député devient vacant et que cette vacance entraîne le déclenchement d'une élection partielle si le député, ayant été élu à titre de membre d'un parti politique ou comme député indépendant, change de parti ou devient membre d'un parti, selon le cas. Toutefois, le siège n'est pas considéré comme vacant si le député, élu à titre de membre d'un parti politique, décide de siéger comme député indépendant.[1] »

 À mon sens, cette formule aurait permisde régler deux choses : d’une part, la question de la légitimité de l’élu à l’égard de ses électeurs (« vous m’avez donné un mandat sous telle bannière; je choisis de changer de camp, alors je vous fais partager ma décision et je remets mon siège en jeu. À vous de décider si vous appuyez ma décision »). D’autre part, cette modification permettrait sans doute de refreiner certaines défections qui ont, à tout le moins, l’apparence d’être motivées par l’opportunisme plutôt que par des convictions profondes. Le cas de François Rebello me vient spontanément à l’esprit, mais celui de Belinda Stronach est peut-être encore plus frappant.

 Bien que « la notion de rappel du député n’existe ni à Québec ni à Ottawa[2] », il apparaît de plus en plus essentielle qu’une telle mesure soit inscrite dans le cadre législatif qui régit les rôles et devoirs des députés. En effet, alors que les taux de participation aux élections sont en baisse depuis le début des années 1990 et qu’une désaffection de plus en plus forte se fait sentir de la part de la population à l’endroit du politique, il semble urgent de renforcer l’imputabilité des élus. L’une des solutions les plus simples à mettre en place serait d’instituer la vacance automatique d’un siège lorsque le député qui l’occupe décide unilatéralement de changer d’allégeance politique.

 Certes, une fois qu’il est élu, le député n’a normalement pas à rendre de compte à ses électeurs, du moins pas avant le déclenchement de l’élection subséquente. Pourtant, sa légitimité en tant que représentant de ses concitoyens tient en partie au contrat symbolique passé avec eux, contrat basé sur un programme politique et une affiliation non équivoque à un parti politique. Comme l’écrit Karen Eltis, professeure à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa : « ils [les transfuges] risquent vraisemblablement ternir la perception de l’intégrité du processus électoral et peut-être même léser le droit à l’expression et à la participation politique utile enchâssée aux articles 2(b) et 3 de la Charte canadienne.[3] »  En d’autres mots, les transfuges tendent à consolider une perception négative de la classe politique selon laquelle les élus font des choix beaucoup plus stratégiques (et carriéristes) que désintéressés.

 Pour moi, il n’y a aucun doute : devenir transfuge, c’est briser ce contrat avec ses électeurs. À l’instar de René Lévesque qui, malgré la fondation du Parti Québécois en 1968, siégea comme député indépendant de sa démission du Parti libéral en 1967 jusqu’à l’élection de 1970, nos élus devraient s’abstenir de s’affilier à une autre formation avant la fin de leur mandat.

 

 



[1] PL C-306, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada (appartenance politique), 1e sess, 41e lég, 2011.

[2] Grenier, André et Rochefort, Martin. « La fonction législative : les pouvoirs du parlement et les rôles des députés », p.123 in. Michaud, Nelson et coll. (2011). Secret d’État : Les principes qui guident l’administration publiques et ses enjeux contemporains, PUL, 800 p.

[3] Eltis, Karen (2006). « Rétablir l’intégrité du processus électoral : Le droit à la participation politique utile et les transfuges » in. Revue générale de droit, vol. 36, no. 4

Commentaires

  • Bien recu Jean-François. On passe à la lecture et aux observations maintnenant et je te reviens.

  • Un an presque jour pour jour s’est écoulé depuis l’écriture de ce blogue et le sujet est toujours autant d’actualité. En effet, une deuxième défection depuis les élections fédérales de 2011 a eu lieu la semaine dernière avec le passage de M. Claude Patry (NPD) vers le Bloc Québecois. Le NPD, oui, le même parti qui, tout comme mentionné dans ce blogue, avait justement proposé un projet de loi pour encadrer de telles actions.

    Des tentatives similaires ont également eu lieu du côté provincial québécois. En effet, M. Drainville et son idée de projet de loi contre les vire-capots a défrayé les manchettes et fait couler beaucoup d’encre au début de l’automne 2012.

    Il est extrêmement intéressant du point de vue théorique de tenter de mesurer qui est le plus important sur la pancarte électorale: le candidat ou le parti?

    Je risquerais même la question suivante: le candidat est-il un représentant de l’électorat envers son parti, ou l’inverse? Est-ce que les députés devraient avoir quelque marge de réflexion et d’action vis-à-vis de leur avenir politique? Sont-ils de simples machines à voter?

    Il n’est donc pas si facile de trancher. Somme toute, une récente compilation rapportée dans La Presse disait que le phénomène est assez marginalisé et qu’habituellement les députés vire-capots sont fortement sanctionnés par l’électorat lors de l’élection subséquente.

    De plus, tous s’entendent pour dire que déjà, la majorité des députés ont d’abord siégés comme indépendants avant de se présenter pour un autre parti.

    Beaucoup de bruit pour rien alors?

    MICHAUD, N. et coll. (2011). Secrets d’États? chap. 6, p. 127 et 132.
    Sortie de M. Thomas Mulcair appelant M. Patry à mettre son siège en jeu
    http://www.cbc.ca/news/politics/story/2013/02/28/pol-mp-claude-patry-ndp-bloc-quebec-switch.html

    Blogue de V. Marissal (La Presse), rapportant certains faits quant aux défections
    http://blogues.lapresse.ca/marissal/2013/01/10/populaire-mais-pas-necessaire/

    Fait cocasse, suite à l’annonce du passage du député vire-capot Patry vers le Bloc un député péquiste a publié un tweet disant se réjouir de l’annonce…
    http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/201303/02/01-4627160-claude-patry-au-bloc-un-passage-salue-par-des-pequistes.php

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