Sébastien Turgeon - L'administration Publique, les problèmes de la « bonne gestion ».
Le concept de gestion des programmes en place dans l'administration publique canadienne, est, en grande partie, semblable au concept présenté par le maître penseur et grand éducateur de nos enfances depuis des siècles qu'est Jean de la Fontaine. Effectivement, dans notre administration, le modèle favorisant le dragon à tête unique (équivalent à l'autorité politique) et plusieurs queues (responsabilité de l'administration des programmes : ministères et ses fonctionnaires) par opposition à celui à plusieurs têtes et une seule queue est celui privilégié.
Directement, dans cette logique de pensée, l'administration des programmes est divisé en directions, en portes-feuilles, en ministères, en régions, en secteurs, en modèles, en mille et une parties qui à chaque niveau, établissent règles, politiques, procédures, ciblent la clientèle, définissent le cadre d'application, etc. Tout cela, évidemment, dans le but de maximiser le contrôle et minimiser les risques d'écart et d'abus de tout acabit. Certes, les avantages d'une telle administration sont très rassurants en termes d'uniformité et de standardisation des programmes et services. Malheureusement, de ce contrôle résulte un cadre rigide, des frais de gestion important, une lourdeur administrative et un ralentissement dans la prestation de services qui tend à horripiler les usagers tout en justifiant leurs moultes critiques à l'endroit de la gouvernance et du fonctionnariat.
Aussi, dans un tel contexte, il est légitime de se questionner sur l'efficacité générale d'un programme ainsi administré. En effet, qu'advient-il du caractère distinct des populations, de leurs ressources, de leur priorités, et surtout, de leurs besoins? Il est évident que lorsque le groupe ciblé par un programme est petit, les risques de disparités à l'intérieur de celui-ci l'est aussi. Cependant, cette corrélation se dément au fil de l'expansion de la population visée. Ainsi, plus la population est grande, plus les différences entre ses communautés le sont aussi. Ainsi, un programme fédéral qui sied bien aux résidents de Tsiigehtchic aux Territoire du Nord Ouest risque difficilement d'être aussi adapté aux r ésidents du centre ville de Montréal ou Toronto. Dans ces cas, le jugement professionnel du fonctionnaire et la souplesse normative de l'application du programme en lien avec la clientèle locale sont les facteurs qui détermineront la réussite ou l'échec des objectifs de programme, et, par le fait même, la rentabilité des investissements des deniers publics. Malheureusement, en administration publique, les agents de programmes ou les gestionnaires de bureaux de services locaux n'ont pas ce pouvoir et il leur est extrêmement difficile de débattre et défendre la légitimité de variation des critères de programmes puisqu'il s'agit de responsabilités décisionnelles d'instances supérieures qui ont déjà fait l'objet, à chaque niveau, de discussions et d'approbation.
De fait, s'il est facile de décrier l'inertie locale ou la rigidité des programmes, il importe de se questionner collectivement. Accepterions une distribution du porte-feuilles public selon des enveloppes variables dont l'utilisation serait régie par des critères laissant libre cours à l'interprétation et la valorisation personnelle de ceux-ci selon le bon jugement du fonctionnariat local et des différents groupes de pressions
qui peuplent le territoire ? Dans ce cas, poser la question c'est d'y répondre et ce, malgré la bonne foi et les bonnes intentions des bénéficiaires comme des fonctionnaires. Rappelons-le, en administration tout doit être approuvé. De fait, basé sur les écarts réels ou potentiels qui peuvent découler d'un amoindrissement du principe fondamental, il appert que les contrôles menant à l'uniformité de services, à un cadre de prestation précis et une reddition de compte aisée sont et devront toujours être favorisés aux critères souples et malléables de la gestion de programmes, malgré ses impacts et ses impairs, malgré ses coûts et ses infortunes.
Ainsi, de manière inéluctable la fable avait bel et bien raison, la seule gestion permettant le passage du temps, des embuches et de la critique sociale repose sur le principe du décisionnel à la tête et l’administration aux bases.
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Clin d’œil :
Comme rien n’est plus près d’une vérité que son contraire :
Dans le même ordre d’idée, j’invite cinéfile et curieux à visionner un superbe film démontrant tout le danger de la descente des pouvoirs à des niveaux inférieurs. Démontrant les faiblesse d’un système où le dragons a plusieurs queues. En résumé, Stanley Kubrick, en 1964, s’est fait satyrique et cynique lors de la réalisation de Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb ( basée sur l’œuvre Red Alert de Peter George ). Ce film présente un général qui, durant la guerre froide, alors qu’il est en pleine crise de paranoïa, décide d’utiliser le recours ultime qu’est de fermer toutes communications externes à son unité pour engager une offensive nucléaire unilatérale contre l’ex URSS, sans possibilité d’annulation de la part de sa propre armée de laquelle il s’est coupée. Fait important, les États-Unis ignorent que le gouvernement adverse a un système de réponse automatisé qui déclenche, dès qu’attaqué, le déploiement de toutes les armes nucléaires Soviétique sur des cibles mondiales prédéterminées. Ce « sympathique » récit met en relief que les risques qui sont associés au partage des responsabilités sont directement proportionnels à l’ampleur des pouvoirs qui y sont ratachés.
Commentaires
Sébastien. Voilà un blogue éclairé qui appelle des dimmensions fondamentales et des principes de l'administration publique dans un État de droit. À la lecture plus attentive nous verrrons bien si le rappel de ces principes a traversé le mur de la théorie pour s'incarner dans la réalité. Les efforts
appellent une analyse attentive.