Sébastien Cyr - Charest et Sabia à Sagard
Il y a quelques semaines à peine, le Journal de Montréal dévoilait en première page que le PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec avait séjourné durant un week-end à la luxueuse résidence de la richissime famille Desmarais. Déjà, certains commentateurs et analystes soulevaient de nombreux questionnements éthiques en lien avec cette visite de Michael Sabia à Sagard. Mais voilà que, alors questionné par les médias sur son interprétation des faits, le premier ministre s’est enfargé dans les fleurs du tapis en affirmant que, lui aussi, il avait déjà dormi quelques jours dans la demeure de Charlevoix. Partout dans l’opinion publique, l’affirmation eu l’effet d’une bombe et à l’Assemblée nationale, l’opposition s’est empressée de dénoncer cet état de fait. Mais qu’est-ce qui provoque un tel tollé dans l’univers médiatique et sur la place publique?
Les questions découlant d’une telle affaire peuvent être nombreuses : La visite faisait-elle l’objet d’échanges de cadeaux ou de quelconques traitements de faveur entre les partenaires? Le PDG a-t-il profité d’avantages indus? Y a-t-il violation aux principes élémentaires des règles en matière d’éthique? Bref, la spécificité du secteur public fait que les gestionnaires publics sont constamment scrutés à la loupe et qu’ils doivent se montrer transparents dans la gestion des fonds publics, cela va de soi.
Il faut également bien préciser le contexte dans le cas présent. L’hôte, en l’occurrence Paul Desmarais, est un riche homme d’affaires à la tête du puissant conglomérat Power Corporation. Son influence est considérable, surtout auprès du milieu économique. Il a d’importantes relations avec de grands partenaires financiers s’étendant même jusqu’à la sphère politique, comme en fait foi sa relation d’amitié avec le président français, Nicolas Sarkozy. Bref, nul doute qu’il exerce un certain poids auprès des décideurs publics.
Et c’est exactement là où je veux en venir. Le secteur public étant différent, à bien des égards, du domaine privé, le titulaire de charges publiques doit toujours se montrer extrêmement prudent lorsqu’il entretient des relations avec des partenaires financiers, comme c’est le cas entre le PDG de la Caisse de dépôt et un des plus fortunés du pays. Les règles du milieu public sont beaucoup plus contraignantes qu’au privé. D’abord, le haut dirigeant d’une société d’État est constamment surveillé, soit par les parlementaires, soit par les médias et même par le public. Il est imputable à la société et à ses citoyens et non à un groupe restreint d’individus. Or, on sait que les attentes de la population sont souvent très sévères et exigent des gestionnaires publics qu’ils fassent preuve d’une grande transparence lorsqu’il s’agit de traiter des finances publiques. Ils doivent être l’incarnation de l’intérêt général. Voilà pourquoi Michael Sabia est convoqué en commission parlementaire au printemps prochain afin de rendre des comptes sur le sujet.
Ces évènements sont des zones à risque qui peuvent potentiellement amener à des conflits d’intérêts ou, à tout le moins, à l’apparence. Cela est, à mon avis, le point de rupture où il y matière à plusieurs interprétations, souvent généralisées par un certain flou dans la loi. L’exemple de Jean Charest est éloquent lorsqu’il prétend avoir séjourné à la résidence de Sagard seulement pour y tenir des « activités sociales ». Bien entendu, on peut lui laisser le bénéfice du doute mais, force est d’admettre que, dans des situations aussi corsées que ceux démontrées, l’apparence de conflits d’intérêts est tout aussi importante que le conflit d’intérêts et selon cette perspective, Charest et Sagard ont manqué de jugement, cela est indéniable. On ne peut évidemment pas empêcher certains hauts fonctionnaires de développer des relations personnelles avec leurs partenaires au fil des années, mais ces relations ne doivent toutefois pas compromettre leur capacité de juger des affaires de l’État, sans quoi on les accusera de favoritisme et leur indépendance de jugement sera remise en doute.
Commentaires
Sébastien-le-prolifique. Voilà un blogue encore qui appelle des dimmensions fondamentales et des principes de l'administration publique dans un État de droit. À la lecture plus attentive nous verrrons bien si le rappel de ces principes a traversé le mur de la théorie pour s'incarner dans la réalité. Les efforts
appellent une analyse attentive.
Le cas présent est assez intéressant à analyser. Nous avons le cas parfait de quelqu’un qui n’a pas su respecter son devoir de réserve. Michael Sabia, par le simple de fait de se faire accueillir à la résidence de Paul Desmarais, a trahi les Québécois. Sabia gère le «bas de laine» des Québécois pour l’enrichissement collectif. Il serait difficile de croire que cette visite est une exigence de ses fonctions de PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Le risque de fuites d’informations privilégiées est trop élevé dans une telle situation. Certains diront qu’il a droit à sa vie privée et que cela ne regarde personne... De toute évidence : oui, Sabia a droit à sa vie privée, sauf que la vie privée d’un individu a des limites quand les intérêts d’une population entière peuvent être en jeu. Le copinage entre le conglomérat privé de Power Corporation et la société québécoise qu’est la Caisse de dépôt n’a pas sa place. L’apparence de conflits d’intérêts est trop grande de part et d’autre. La présence de Sabia en commission parlementaire ce printemps est nécessaire. Il doit être questionné sur ses actes qui s’apparentent à un conflit d’intérêts.
Charles-O. Picard