Jocelyn Pauzé - LES ÉDUCATEURS DES CPE TRAITÉS À CE POINT INÉQUITABLEMENT ?
L’actualité des dernières semaines foisonne de problématiques soulevées dans les médias sur le plan de l’administration publique. Parmi ces problématiques, nous ne pouvons passer sous silence la question des négociations entre les employés des CPE relevant de l’accréditation de la CSN et le gouvernement, qui fait la manchette des médias quotidiennement. Les journées de grève se multiplient, les négociations n’avancent pas, les parents éprouvent des difficultés à trouver des solutions de rechange pour faire garder leurs enfants, les employeurs commencent à grincer des dents à force de voir leurs employés s’absenter pour des raisons de grève de CPE, bref, le «bordel » est pris au Ministère de la famille. La question que je me pose : est-ce que les éducateurs des CPE sont à ce point traités inéquitablement pour créer un tel mouvement de protestation ?
La loi sur les Centres de la petite enfance a été votée en 1997 et sa responsabilité a été déléguée au Ministre de la famille et au Ministère du même nom. Ceux qu’on appelle communément les CPE soufflent aujourd’hui leurs 15 bougies. De 55 000 places en 1997, ils sont passés à plus de 230 000 places aujourd’hui, et ce réseau fait travailler aujourd’hui plus de 40 000 personnes. Comme c’est le cas pour tous les programmes des ministères, celui des CPE ne fait pas exception à la règle et va en plein dans le sens de la Loi de Wagner qui fait état de la croissance incessante des dépenses en administration publique. En effet, en 1997, le coût total du programme des garderies était de 230 millions, et il en coûtait 24,00$/jour/enfant à l’état pour financer les places; aujourd’hui, le coût total du programme est de plus de 2,5 milliards et il en coûte plus de 46,00$/jour/enfant à l’état pour financer les places. Et malgré tout, on n’atteint toujours pas l’objectif d’universalité du programme tel qu’on le souhaitait au départ. Pourquoi ?
Toujours pour la même raison, soit celle du manque de budget. En effet, on dit manquer d’argent pour satisfaire l’ensemble des demandes des parents en attente de places au Québec, et par le fait même, on dit aussi manquer d’argent pour satisfaire aux demandes syndicales des employés de l’État en matière de garde d’enfants. Tout ceci ne concorde cependant pas avec le discours de notre État de droit en matière d’éducation (car même si les CPE appartiennent au Ministère de la famille, on doit se dire les vraies affaires et se rappeler qu’il s’agit plutôt d’un service lié à l’éducation), lequel martelle sur toutes les tribunes et à qui veut l’entendre qu’au Québec, il y a deux grandes priorités, soient la santé et l’éducation. Et bien si tel est réellement le cas, il faut faire concorder les discours et les actions, sinon, rien ne va plus. Et c’est justement ce qui se passe dans le dossier des CPE : on veut en faire une priorité au Québec (ou plutôt, on dit en faire une priorité car c’est «politically correct» de s’exprimer ainsi, mais les gestes du gouvernement laissent voir qu’on ne veut pas nécessairement que ce soit une priorité car c’est un fardeau en matière de dépense publique), mais n’agit pas en conséquence car on retarde d’année en année l’ouverture de nouvelles places et surtout, dans le cas qui nous occupe ici, on ne considère pas l’importance du travail effectué par les éducateurs en CPE car on les laisse sans contrat de travail depuis plus de deux ans.
Ceux qu’on appelle des éducateurs portent bien leur titre : ils éduquent les enfants âgés de 6 mois à 5 ans sur une période pouvant aller jusqu’à 55 heures par semaine par le biais d’activités de toutes sortes afin d’assurer leur apprentissage le plus complet en vue de les préparer pour leur entrée à l’école. L’apprentissage et l’éducation des enfants est au cœur de la mission des CPE, et pourtant, les conditions de travail des éducateurs sont à des années lumières des conditions des enseignants au sein des écoles. Bien sûr les enseignants ont à corriger des travaux, à préparer des examens, à préparer des bulletins, à participer à divers comités, et j’en passe, mais n’oublions pas que les éducateurs ont aussi à préparer leurs projets d’activités, à effectuer des rencontres de parents, à suivre le développement des enfants sérieusement afin de rédiger des évaluations de leurs apprentissages pour guider les parents dans leurs actions d’éducation à la maison, etc. Bref, dans les deux cas, ces «ajouts» aux tâches des enseignants et des éducateurs ne sont pas des heures rémunérées; il ne faut donc pas comparer ces deux professions sur ces dimensions. Il faut donc se concentrer sur la portion rémunérée de leur tâche, soit la présence auprès des enfants; dans les deux cas, les enseignants comme les éducateurs ont pour rôle de seconder les parents dans l’éducation des enfants. À mon avis, l’éducation de la petite enfance est aussi importante que l’éducation de l’enfance et de l’adolescence, car si les enfants n’arrivent pas à l’école avec une certaine maturité scolaire, ils amorcent leur parcours académique avec un obstacle dès le départ, ce qui a été prouvé par une étude des CSSS en 2007-2008 sur la maturité scolaire.
En considérant ces éléments, il est clair pour moi que les éducateurs des CPE méritent d’avoir des conditions décentes et dignes de l’importance de leur rôle auprès de nos enfants. D’où le fait que je suis en accord avec leurs moyens de pression actuels. Le gouvernement doit reconnaître les éducateurs, les valoriser et les considérer à part entière comme des travailleurs de l’éducation. J’irais même jusqu’à dire que le programme des CPE et les lois qui le régissent devraient être re-classifiées sous la responsabilité du Ministère de l’éducation, des loisirs et du sport, ce qui ferait davantage de sens qu’une appartenance au Ministère de la famille. Bien sûr que les éducateurs ne sont pas en mesure de demander un salaire équivalent à celui des enseignants, en raison de différences de scolarité exigées pour exercer chacune de ces deux professions, mais ils méritent une sérieuse révision salariale en raison de l’importance capitale de leur rôle éducatif dans la vie de nos petits bouts de chou. Car n’oublions pas que sans l’apport des éducateurs, nos tout-petits ne développeraient jamais leur autonomie, laquelle est essentielle à un bon départ à la maternelle et dans la vie.
Aussi, souvenons-nous également de tous les scandales qui écorchent le dossier des garderies depuis les dernières années avec toutes les allégations de magouilles financières entourant ce dossier. En supposant que toutes ces allégations s’avèrent fondées, n’avons-nous pas là une incroyable perte de ressources financières qui, si elles avaient été utilisées à bon escient, auraient pu être allouées à l’amélioration des conditions de travail des éducateurs ? Certes oui.
Bref, encore une fois dans ce cas-ci, les éducateurs nous démontrent qu’ils sont de réels artistes de l’administration publique car ils croient en leur profession et en l’importance de leur rôle, et à ce titre, ils sont dévoués à leur tâche et très créatifs, alors que le gouvernement agit tout à fait de façon contraire.
Jocelyn Pauzé, étudiant
Commentaires
D'un grande actualité M. Jocelyn. À suivre et analyser de près.