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Blog #2: JB Marchand - La judiciarisation des débats politiques : un mal nécessaire ?

8 février 2012

La judiciarisation des débats politiques : un mal nécessaire ?

La thématique de l’État de droit est considérée par certains politicologues et juristes comme l’épicentre de l’organisation moderne de nos sociétés, par opposition à l’État de droit divin ou toute autre organisation totalitaire. Cette prétention passe nécessairement par l’élaboration d’un document unique, une Constitution, assez précis pour édicter un certain nombre de valeurs communes et partager divers pouvoirs, mais assez large afin de permettre à la société d’évoluer dans le temps, « un arbre vivant qui s’adapte et répond aux réalités de la vie moderne » (Renvoi relatif au mariage entre personnes de même sexe). De manière assez paradoxale, cette idée de démocratie constitutionnelle, cristallisée par les travaux de la plus haute instance du pays (Cour suprême du Canada), à des répercussions quotidiennes sur l’orientation de nos débats citoyens.

En 1982, suite au rapatriement de la constitution, le gouvernement du Canada, sous la gouverne de Pierre-Elliot Trudeau, prend la décision controversée, surtout au Québec, de constitutionnaliser une Charte des droits et des libertés, afin de régir et protéger les relations entre l’État et le citoyen. Les Québécois savaient que cette manœuvre limiterait leur liberté de régir certains aspects de leur spécificité, notamment linguistiques.

Au niveau de sa composition, il semble évident que le texte de la Charte canadienne s’inspire grandement du libéralisme individualiste de l’époque (John Stuart Mill et sa lutte pour la liberté de l’individu sur son corps et son esprit), mettant surtout l’emphase sur les droits individuels par opposition aux droits de la collectivité, notion faisant référence à une forme de contrat social.

Au niveau des effets, la constitutionnalisation de la Charte a largement contribué à la recrudescence du pouvoir des tribunaux et le temps démontra que les nombreuses ambiguïtés et expressions vagues ont nécessité l’interprétation de l’appareil judiciaire afin de faire toute la lumière sur la portée de certains concepts. La conséquence directe de cette judiciarisation des droits et libertés est l’amenuisement des partis politiques, élu démocratiquement, pour faire la promotion et la protection de certains principes de notre collectivité. Des experts diront même qu’on se trouve à « américaniser » notre système en « rendant plus difficiles certains compromis politiques sur des questions à propos desquelles il n’existe pourtant aucun consensus social » (Morin et Woehrling).

Pourtant pour d’autres, cette constitutionnalisation était la seule et unique façon de se prémunir contre les effets de ce que certains ont qualifié de tyrannie de la majorité : « La légitimité de nos lois repose aussi sur un appel aux valeurs morales dont beaucoup sont enchâssées dans notre structure constitutionnelle. Ce serait une grave erreur d'assimiler la légitimité à la seule « volonté souveraine » ou à la seule règle de la majorité, à l'exclusion d'autres valeurs constitutionnelles » (Renvoi relatif à la sécession du Québec).

Une chose est certaine, le Canada n’a pas le monopole de la vertu et d’autres pays, aussi sinon plus démocratiques, n’ont pas nécessairement procédé de cette manière afin protéger la population contre les incuries des gouvernements au pouvoir. Pour ma part, j’ai souvent entendu les jeunes étudiants en droit prétendent que les enjeux sociaux, comme ceux des accommodements raisonnables ou de la langue, étaient des questions purement juridiques et qu’il ne fallait pas confondre certains dérapages au concept lui-même.

En tout respect de l’opinion contraire, je suis plutôt d’avis qu’il n’est pas possible de construire des règles juridiques sans en évaluer les conséquences réelles et pragmatiques, dont celles par exemple de l’intégration des nouveaux arrivants à la culture québécoise. Il serait malhabile envers l’histoire que de traiter des effets de la Charte canadienne sous l’angle unique du droit positif, et ce, sans analyser le cadre politique et le but culturel derrière cet outil législatif.

Jean-Bernard Marchand

 

Commentaires

  • Super intéressant ce sujet Jean-Bernard. C'est la langue de boi...pour la majorité ???

  • Le principe de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire vise à maintenir l’équilibre entre ces entités afin qu’il n’y ait pas d’abus d’un envers un autre. Or, en pratique, l’indépendance absolue de ces pouvoirs est inexistante. Chacun a un poids politique relatif qui lui procure un rôle de surveillance, ce qui va de soi dans une démocratie et un État de droit. Comme le mentionne Jean-Bernard, c’est en 1982, avec le rapatriement de la Constitution et l’élaboration d’une Charte des droits et des libertés que le paysage judiciaire canadien changea drastiquement. La plus haute instance judiciaire du Canada, la Cour Suprême, s’est vu accroître ses responsabilités. Autrefois interpellée pour des différends quant au partage des compétences entre le fédéral et le provincial, elle doit désormais agir, plus souvent qu’autrement, pour régler des litiges sur la constitutionnalité des lois et des règlements et sur leurs empiètement sur les droits de la personne. L’exécutif délaisse au judiciaire le soin de régler certains enjeux fondamentaux de politique sociale ce qui n’est pas sans conséquence. Jacques Frémont, un professeur de droit constitutionnel à l’Université de Montréal en fait mention : « Les juges examinent non seulement le contenu d’une norme, mais aussi sa justification, son fondement juridique, sa moralité sociale et la confrontent aux normes de la Charte, qui, elle aussi, contient des valeurs. Le juge ne peut plus dire qu’il est un élément neutre. La Constitution le mandante pour justement faire cette confrontation. Les règles du jeu ont changé, ce qui a pour effet d’accentuer le rôle politique de la Cour». Certains évoquent même le terme de gouvernement des juges pour illustrer la situation. La question qui se pose : est-ce que la Cour Suprême possède la légitimité politique pour répondre à des questions morales? Où devrions-nous laisser ces questions entre les mains des politiciens qui, après tout, ont été élus par la population, pour qui ils doivent rendre des comptes? À mon avis, il faut simplement déterminer la ligne entre judiciarisation des débats politiques et politisation des débats juridiques. Toutefois, la corde sensible de ce débat est l’emprise du multiculturaliste sur les choix sociétaux et culturels de l’État québécois, notamment en ce qui à trait à la langue, qui rend la société québécoise une société minoritaire comme toutes les autres et c’est sur quoi se base l’interprétation de l’appareil judiciaire, notamment dans la loi sur les écoles passerelles. Si d’un point de vue légal, elle ne semble pas respecter l’esprit de la Charte, je suis du même avis que Jean-Bernard, la Cour Suprême n’élargit pas sa vision sur les visées culturelles d’une telle loi. Bref, un débat très intéressant mais que les gouvernements en place semblent vouloir éviter…

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