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Ian Murchison (blog 2, hiver 2012, gr. 24)

Politique et alchimie – transfuges et subterfuges

Politique et alchimie n'ont peut-être jamais été aussi intimes qu'en cette époque étrange.

Notre ère politique est celle de transfuges, où un parti émergent peut compter 9 députés sans avoir mené une seule élection, ce même parti tentant de faire disparaître toute question constitutionnelle en un claquement de doigts bien huilés, où une fière et nouvelle député libérale exécute son rituel d'apostasie sur les cendres de l'ancien messie disparu, où les émissions gazières se métamorphosent magiquement en pets de vache, où les fraudeurs de la construction se retrouvent comme par magie à devenir des gens honnêtes dans la bouche de notre premier ministre, où le protocole de Kyoto sert à agiter l'épouvantail absurde d'une dette terrifiante qui mène à la catharsis des conservateurs, où le visage de Sa Gracieuse Majesté se transforme tout à fait non subrepticement en symbole sacro-saint d'un pays colonisé, où des sorciers mercenaires ensorcelés par leurs propres exhalaisons parlent de pétrole éthique, où des thaumaturges unilingues sont nommés avec liesse à des postes publics majeurs sans que cela n’éveille une étincelle de combativité dans l’œil d’une opposition spectatrice, où les ecclésiastes de la correctitude peureuse abusent notre culture au nom d’accomodements raisonnables qui n’en sont pas, et j’en passe…

Pour en venir au sujet principal de ce billet, je voudrais traiter de cette pratique, que certains qualifient de douteuse, qui consiste à être élu sous la bannière d’un parti et à joindre par la suite les rangs d’un autre parti. Il semblerait, selon plusieurs, que l’objectif de ces valeureux vire-capot serait surtout de marquer un coup d’éclat, que ce soit par quête d’attention médiatique ou par opportunisme politique.

Pour parler de madame St-Denis, les libéraux de Rae auront voulu nous faire croire que ce geste n’était en rien opportuniste, puisque leur parti décimé le 2 mai ne comporte que 34 députés par rapport aux 103 élus de l’opposition officielle. Il ne faut pas être naïf : les libéraux ont le vent en poupe depuis que leur chef intérimaire incarne la figure de proue d’un parlementaire aguerri, le seul obstacle humain auquel semblent avoir à se coletailler les conservateurs, qui, décidément, avouent même s’ennuyer face au peu de résistance que leur livrent leurs adversaires lors des débats en chambre. Donc, le geste de madame St-Denis n’est pas banal, et, à mon sens, tout à fait opportuniste. Elle a a choisi le camp du meilleur leader de l'heure, que les médias associent davantage à l’opposition que madame Turmel, dont les sermons chambranlants ne retiennent pas souvent l'attention des humeurs journalistiques.

Impossible de négliger le cas des transfuges québécois, qui ont tout récemment répudié leurs propres allégeances pour rejoindre la destination féérique, que certains auront pourtant qualifiée de pragmatique, de prosaique, voire de populiste, de la CAQ. François Rebello a suscité l’ire de ses collègues et amis, sans oublier la surprise et la colère des milliers d’électeurs, en effectuant un virage à 180 degrés en joignant l’équipe d’Air Transat – que dis-je de la CAQ - alors qu’il affirmait quelques semaines plus tôt qu’il était entièrement loyal envers la dame de béton et le Parti Québécois. Les réactions n’ont pas tardé et beaucoup ont déploré ce manque d’intégrité qui, malheureusement, n’est pas sanctionné par notre système politique. Outre le rebelle Rebello, il y a notamment Benoît Charrette et Daniel Ratthé, qui ont magiquement choisi de se joindre à l’équipe des futurs gagnants, si l’on se fie aux oracles du Journal de Montréal.

Le problème de ce phénomène de vire-capot, est, à mon sens, qu’il mousse le cynisme ambiant et généralisé dont notre société est victime à l’égard du monde politique, du moins, ce cynisme que dépeignent nos médias rabat-joies. Tout se passe comme si les arcanes de pouvoir étaient une cour d’école où les participants à un tournoi de ballon-chasseur jouaient à changer d’équipe d’une partie à l’autre. Dans ce contexte, il est attendu que les joueurs reçoivent la balle en plein visage et saignent du nez de temps à autre. Ce qui est moins normal, c’est que les spectateurs tôt ou tard commencent à croire que le jeu est déjà arrangé, qu’un joueur ou un autre pactisera en secret pour faire perdre sa propre équipe.

Sur la scène fédérale, le NPD a proposé un projet de loi, le C-306[1], qui prévoit qu’un député souhaitant changer de bannière soit forcé de démissionner et de se présenter à nouveau dans le cadre de la tenue d’une élection partielle. Mais sans grande surprise, les libéraux et les conservateurs ne souhaitent pas ratifier ce projet de loi : les uns rêvent de prendre de l’expansion au profit d’un parti qui s’effilochera avant les prochaines élections, et les autres sont passés maîtres dans l’art de diviser pour mieux régner… 

Mais il s’agit d’un enjeu majeur sur le plan démocratique. Quand on sait qu’il y a eu 229 transfuges politiques de 1921 à 2005 au Canada[2], on ne peut s’empêcher de considérer qu’il est grandement temps de se questionner sur cette pratique qui fait triompher l’arbitraire et l'individualisme. Les plus moqueurs diront qu’il ne serait pas impossible de voir élire un gouvernement X, qui, après quelques semaines, se transformerait au grand complet en gouvernement Y ! Ce serait jouer un bien vilain tour aux électeurs, mais, sauf erreur, aucune loi actuelle n’empêche une pareille volte-face.

En somme, avons-nous raison de nous indigner lorsqu'un transfuge opère un subterfuge magistral, en passant d'un parti à l'autre sans démissionner au préalable ?

Devrions-nous court-circuiter cette coutume ensorcelée, ou incarne-t-elle plutôt un levier démocratique permettant à l'élu(e) de manifester son désaccord face à la posture de son parti, comme certains le prétendent ?

Quel(s) changement(s) pourrait-on apporter à notre système parlementaire pour l'améliorer à ce chapitre ? 

Ian Murchison



[1] http://mathieuravignat.npd.ca/projet-de-loi-changement-dappartenance-politique

[2] http://www.revparl.ca/29/2/29n2_06f_Morton.pdf

Commentaires

  • Bon l'appétit vient en mangeant...On va déguster celui-là aussi Ian

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