Blogue 2 – Pilotte, I. : Le Plan Nord et le modèle québécois
Le 9 mai 2011, le Premier Ministre Jean Charest annonçait le projet appelé Plan Nord. Le Plan Nord est décrit comme « un projet exemplaire de développement durable qui intègre le développement énergétique, minier, forestier, bio alimentaire, touristique et du transport, la mise en valeur de la faune ainsi que la protection de l’environnement et la conservation de la biodiversité. Il favorisera le développement au bénéfice des communautés concernées et du Québec tout entier, et ce, dans le respect des cultures et des identités. »[i] Le Plan Nord repose principalement sur la mise en valeur des ressources hydro-électriques, éoliennes et minières (cuivre, or, diamant, nickel). Échelonné sur 25 ans, il englobe le développement du territoire situé au nord du 49e parallèle, soit un territoire représentant 72 % du territoire québécois sur lequel vivent quelque 120 000 habitants, dont 33 000 autochtones.
Le Plan Nord s’inscrit dans le cadre d’un « nouveau modèle québécois ». L’ancienne ministre des Ressources naturelles et responsable du Plan Nord, Nathalie Normandeau, avait d’ailleurs soulevé l’importance de ce modèle pour promouvoir le développement du Québec: « Nous entendons développer un nouveau modèle entre Québec et l'entreprise privée. Il est terminé le temps où le gouvernement assumait seul les risques. »[ii] Le modèle québécois est basé sur deux grands principes : l’interventionnisme de l’État québécois dans la promotion de l’économie et la concertation entre les différents acteurs de la société. À cela s’ajoutent les valeurs de solidarité, justice sociale et de répartition équitable de la richesse collective.[iii]
Nous allons ici regarder dans quelle mesure le Plan Nord s’inscrit dans les grands principes et valeurs du modèle québécois.
L’interventionnisme de l’État dans la promotion de l’économie
Le modèle québécois prône le rôle de l’État dans la promotion de l’économie. Il englobe, entre autres, les propositions de réduire la réglementation et les impôts, d’encourager les partenariats public-privés et entre entreprises, de donner des incitations fiscales aux nouvelles entreprises, d’effectuer des investissements en infrastructure et de favoriser les alliances et partenariats entre le public et le privé, en particulier pour les nouvelles entreprises et celles qui sont en croissance.[iv] En bref, l’interventionnisme de l’État a pour but de favoriser le développement du territoire au bénéfice de l’État, soit de l’ensemble de la population.
Le Plan Nord n’est pas précis quant à la planification des activités spécifiques au développement du territoire. On sait toutefois que pour jeter les bases du nouveau modèle québécois, l’interventionnisme de l’État prendra la forme de grands projets d’infrastructure pour ouvrir la route du Nord. Un investissement de 1,2 milliards de dollars est prévu pour l’amélioration des infrastructures de transport, incluant le financement de deux études de faisabilité sur la réalisation d'un lien terrestre entre le Nunavik et Schefferville et la construction d'un port en eaux profondes à sur les rives de la baie d'Hudson afin de bénéficier du « passage du Nord-Ouest ».[v] De plus, pour stimuler le développement des communautés du Nord, l’État interviendra pour financer des mesures sociales liées au logement, à la santé, à la réduction des coûts de transport et de l’éducation, au coût de 382 millions de dollars.[vi]
Plusieurs questions demeurent quant au financement de ces projets d’infrastructure, sachant que la marge de manœuvre pour le financement est faible dans le contexte actuel de retour à l’équilibre budgétaire d’ici 2014. Certains croient que les investissements en infrastructure représentent une forme de compensation envers les compagnies pour l’augmentation des sommes exigées en redevances minières.[vii] Selon le porte-parole de la coalition Québec meilleure mine, Ugo Lapointe, ces engagements financiers pris par le gouvernement dans des projets d’infrastructure sont une forme d’aide de l’État qui profitera directement aux entreprises, plutôt qu’à la collectivité.[viii] Quant au financement des mesures sociales, les sommes seront puisées à même les profits d’Hydro-Québec à un montant estimé à 10 millions de dollars annuellement, des sommes qui sont déjà perçues par le gouvernement pour financer des services actuels.[ix]
Une chose semble pourtant certaine : le financement des activités économiques du Nord proviendra d’investissement du secteur privé. Le Premier Ministre Charest a d’ailleurs entrepris une tournée à la recherche d’investisseurs internationaux afin d’encourager les partenariats public-privés. Mais on peut se demander dans quelle mesure les diverses formes d'avantages fiscaux qui seront accordés aux compagnies pour le développement du territoire permettront aussi de profiter à l’État.
La concertation entre les acteurs
La concertation entre les différents acteurs de la société est un autre principe fondamental du modèle québécois. La démarche du Plan Nord respecte ce principe avec l’inclusion de l’obligation de consulter les Autochtones et d’obtenir leur participation aux processus décisionnels et à la réalisation des projets ainsi qu’avec le respect des traités, des ententes et des conventions déjà signées et à venir.[x]
Toutefois, plusieurs communautés autochtones ont fait connaître leur opposition au Plan Nord. La raison qui explique le refus de ces communautés autochtones à participer au Plan Nord est l'absence d'une table de négociation territoriale avec les gouvernements du Québec et du Canada.[xi] On sait que, dans ses rapports avec les Premières Nations, l'État québécois a une obligation constitutionnelle, confirmée par la Cour suprême du Canada, de «consulter et accommoder» les communautés autochtones pour tout projet qui risque d'affecter leurs droits ancestraux revendiqués.[xii] En ce moment, les communautés autochtones associées au Plan Nord sont des communautés innues déjà assises à une table de négociation et les communautés cries, inuites et naskapies qui bénéficient du régime juridique de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Il apparait que le Plan Nord n’a pas encore réussi à mettre en pratique tous les principes du modèle québécois.
La répartition équitable de la richesse
Le modèle québécois prône également la répartition équitable de la richesse collective pour l’ensemble de la population du Québec.« Le Plan Nord, c'est pour tous les Québécois», a affirmé le Premier Ministre Jean Charest dans son discours devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Le Plan Nord « favorisera le développement au bénéfice des communautés concernées et du Québec tout entier ».[xiii]
Sur quoi se base la répartition équitable de la richesse collective dans le Plan Nord? D’une part, on doit faire attention à ne pas confondre développement économique et croissance économique. La croissance économique renvoie à la production de biens et de services dans une économie, tandis que le développement économique et social fait référence à l'ensemble des changements (démographiques, sociaux, de santé, techniques, etc.) au sein d’une société. Le développement économique requiert la création de richesses et entraîne généralement une progression du niveau de vie des populations. La croissance n’est qu'un aspect du développement économique.[xiv]
Le Plan Nord est très axé sur la croissance économique basée sur l’extraction minière et la production d’énergie hydroélectrique plutôt que sur le développement. C’est à travers les redevances minières que la richesse collective peut s’accroître. Pour ce qui est du développement des communautés, il est prévu des transferts de fonds pour des mesures sociales liées au logement, à la santé, à la réduction des coûts de transport et de l’éducation.
Quel est le plan concernant la répartition des revenus (les redevances) dérivant des activités économiques? Le gouvernement a annoncé que, pour l’ensemble du Plan Nord, l’État prévoit gagner des revenus de 14 milliards sur 25 ans, soit 560 millions par année, principalement obtenus à travers le régime de redevances minières. Cependant, le Vérificateur général du Québec a rapporté que, entre 2002 et 2008, le gouvernement a touché environ 256 millions en droits miniers en échange des 624 millions consacrés pour les trois principales mesures fiscales ciblant les compagnies minières.[xv] Sur la base de cette expérience, on peut se questionner sur la part des revenus destinée à favoriser la richesse collective en comparaison aux avantages fiscaux (exemption fiscales, crédits d’impôts, etc.) qui seront accordés aux compagnies pour l’exploitation du territoire.
Dans la mesure où le Plan Nord s’inscrit dans les principes et valeurs du modèle québécois, permettra-t-il de réduire les risques associés au développement du Nord?
[ii] Le Nord en PPP, 17 mars 2011, Radio-Canada, http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Budget/2011/03/17/006-region-plan-nord.shtml
[iv] Proulx, Pierre-Paul (2002). Le modèle québécois : origines, définition, fondements et adaptation au nouveau contexte économique et social, Revue Interventions économiques, 29, http://interventionseconomiques.revues.org/1022?lang=en
[v] Le Nord en PPP, 17 mars 2011, Radio-Canada, http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Budget/2011/03/17/006-region-plan-nord.shtml
[vii] Plan Nord : la position de Parizeau trouve écho au PQ, 23 novembre 2011, Radio-Canada http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2011/11/22/003-plan-nord-critiques.shtml
[viii] Plan Nord : loin du pactole?, Alexandre Shields, 10 mai 2011, LeDevoir http://www.ledevoir.com/politique/quebec/322995/plan-nord-loin-du-pactole
[xi] Plan Nord - Un projet qui devrait satisfaire tous les autochtones, Éric Cardinal, 30 novembre 2011, LeDevoir,
[xii] Plan Nord - Un projet qui devrait satisfaire tous les autochtones, Éric Cardinal, 30 novembre 2011, LeDevoir,
[xiv] Dictionnaire Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Croissance_%C3%A9conomique
[xv] Plan Nord : loin du pactole?, Alexandre Shields, 10 mai 2011, LeDevoir http://www.ledevoir.com/politique/quebec/322995/plan-nord-loin-du-pactole
Commentaires
Voilà un deuxième blogue à lire et analyser avec attention. Brovo pour avoir osée à nouveau. Bonne suite professionnelle Isabelle