Blogue#2 - Jean-Marie Heurtebize - Moi, j'opte pour le modèle québécois !
Arrivé au Québec au printemps 2004, j'amorce actuellement mes démarches pour devenir citoyen canadien. Après avoir fini mes études en France, pays où je suis né et où j'ai été éduqué, je suis parti aux États-Unis pour mon premier travail, et je ne suis jamais revenu. J'ai vécu quatre ans à Los Angeles puis deux ans aux Pays-Bas avant de venir m'installer au Québec. Mon épouse, rencontrée aux États-Unis, est une citoyenne américaine, et a donnée cette citoyenneté à ma fille. Ma belle-famille vit aux États-Unis. En tant qu'ingénieur français avec un bon emploi, j'aurais donc très bien pu faire le choix d'y rester ou encore de retourner en France. Mais voilà, d'un côté, le modèle de société américain ne me convenait pas, de l'autre, les archaïsmes de la société françaises me persuadaient d'aller trouver ailleurs un dynamisme social, économique et même culturel que la France avait du mal a conserver depuis la fin des années 70. J'ai depuis découvert d'autres cultures et modèles de société et après plus de dix ans d'une vie de nomade, j'ai décidé de m'installer pour de bon au Québec. C'est ici que je me sens à l'aise et que je peux envisager mon avenir en famille. La raison ? Peut-être bien le modèle québécois, en tout cas, certainement pas le modèle américain.
Cette prise de conscience a probablement commencé le jour où il a fallu que je me rende chez un docteur à Los Angeles. Venant de France, j'étais habitué à recevoir des services de santé de qualité sans presque jamais avoir à débourser quoi que ce soit. Avec mon assurance médicale "cheap" pour jeunes célibataires en poche, je me rend donc à l'hôpital et je constate alors que la réalité des services de santé dans ce pays est totalement différente de celle que je connaissais. L'immense hôpital privé où je me rend est digne de ce que j'imaginais d'un hôpital soviétique des années 80, laid et impersonnel. Les patients y sont plus traités plus comme du bétail que des clients (a-t-on oublié que ce sont des patients?)....pourtant, ils payent et ils payent cher. Je comprend vite que si je veux recevoir des soins dans un bel établissement avec des gens polis et dédiés, il faudra payer beaucoup plus cher que ce que paye alors pour mon assurance "cheap". Ah...pas grave, je suis jeune, en santé et j'ai les moyens ! De quoi je me plains ? Je réalise alors pourquoi mes collègues de travail ne prennent que très peu de vacances, préférant se les faire payer, pourquoi tous les gens que je rencontre ne parlent que de "cash": c'est parce qu'il en faut énormément pour avoir le droit au bel hôpital, mais aussi aux bonnes écoles, aux bonnes universités, aux bons quartiers sécuritaires....et la liste est longue ! Pas assez d'argent ? Pas de services ! Pas de sécurité dans le quartier ! Ah oui, j'ai vite compris comment fonctionnait la bête !
Et puis vient ce jour d'août 1998 où Bill Clinton, certains diront afin de détourner les médias de l'affaire "Monica", donne l'ordre de bombarder d'hypothétiques camps terroristes en Afghanistan et au Soudan, en réponse aux attentats des ambassades américaines en Afrique plutôt ce mois-là. La guerre contre Al-Qaïda est lancée. Je suis alors avec intérêt les médias français qui, à grands renforts de commentaires d'éminents spécialistes de la région, tentent de comprendre l'impact de ce qui vient de se produire et font quelque peu renaître la peur des attentats terroristes perpétués dans les années 90 à Paris. Les jours qui suivirent me montrèrent que non seulement j'étais le seul à m'intéresser au sujet dans mon entourage, mais que j'étais aussi le seul à savoir où se situaient ces pays, quelles étaient les forces en jeu et quelles pouvaient être les conséquences de tels bombardements ! Seul ! Personne ne comprenait de quoi je voulais parler ("What's the big deal ?"). Certains sont venus me voir trois ans plus tard, le 11 septembre 2001 pour me dire: ah c'est de ça dont tu parlais ! Le phénomène d'ignorance collective était accentué par la quasi-inexistence de la télévision publique, où il fallut tout de même attendre deux mois avant d'y entendre des spécialistes de l'islam et du Moyen-Orient débattre des (vrais) raisons de ces attentats.
Ces expériences me démontraient à quel point les américains pouvaient être enfermés dans leur monde, où le salaire touché en fin de semaine dépasse tout autre intérêt. Je suis définitivement parti des États-Unis en novembre 2001...
Quelques années passent et me voici au Canada, au Québec. J'ai effectué quelques visites très satisfaisantes à l'hôpital et aux urgences, j'ai un très bon médecin de famille et j'ai pu discuter politique municipale, provinciale, fédérale et internationale avec beaucoup de gens dans mon entourage. Bref, le jour et la nuit. Ces différences constatées à travers mes expériences personnelles font en fait partie d'un ensemble de différences fondamentales que l'on peut analyser comme étant des modèles d'État distincts pour les trois juridictions qui nous intéressent ici: la France, les États-Unis et le Québec.
Je mettrais d'un côté le modèle américain, voire nord-américain, puis à l'opposé, le modèle français et au centre, le modèle québécois. Afin d'expliquer en partie les raisons de mon choix de m'installer de façon permanente au Québec, je voudrais en faire l'analyse rapide et faire ressortir les différences les plus explicites en relation avec les exemples de ma petite histoire personnelle.
Les États-Unis d'Amérique ont toujours et continuent de constituer une exception (the american exceptionalism) dans les modèles d'État. Seule leur influence culturelle et économique mondialisée fait croire à certains qu'ils s'agit là d'un modèle d'État lui-aussi mondialisé. Le pays a été créé en rupture avec l'empire britannique, par des immigrants, qui en territoire hostile, ont travaillé extrêmement fort pour améliorer leur conditions et sortir de la pauvreté qu'ils avaient fuie dans leurs pays d'origine. Ils ont porté en eux cette notion que seul l'individu, à la force de son travail, peut bâtir son propre bonheur. La précocité de cette prise de conscience au 18ème siècle et le peu d'influence que les puissance européennes de l'époque pouvaient exercer sur ces colonies éloignées leur ont permis d'inventer un modèle d'État tout neuf et d'écrire une constitution mettant l'épanouissement individuel au centre de tout. Ce modèle de réussite individualiste persiste encore aujourd'hui à travers l'American Dream qu'un nombre imposant de nouveaux arrivants viennent poursuivre, alimentant ainsi une base indéfiniment renouvelée de main d'œuvre bon marché, cumulant les emplois pour pouvoir se payer des morceaux de rêve américain, mais surtout pour permettre à leurs enfants d'y accéder. On comprend alors comment dans ce contexte, beaucoup d'américains trouvent normal de payer pour les soins et l'éducation, sachant que plus l'individu est capable de travailler fort, meilleurs seront les services qu'il pourra s'offrir, sans que l'État ne les lui impose. On a ici affaire à un modèle d'État minimal, où la politique économique consiste essentiellement à laisser faire et où la participation citoyenne aux grands enjeux est souvent détournée par des lobbys. On comprend aussi que des thèmes tels que les affaires étrangères sont loin de leur préoccupations. Ils témoignent d'ailleurs par leur patriotisme, d'une confiance quasi-aveugle pour l'État fédéral dans ce domaine. Bref, ça ne fait pas partie de leur problèmes, même si la dernière décennie a contribuée a leur ouvrir quelque peu les yeux.
De l'autre côté de l'Atlantique, l'évolution de la société française s'est fait à travers diverses évolutions et révolutions souvent menées par des idéaux politiques et une élite. Celle-ci a évolué du clergé et des nobles de l'Ancien Régime vers la bourgeoisie. Elle s'est toujours assurée une place prédominante dans un appareil d'État fort. Le peuple a dû se révolté pour obtenir sa part et l'ascenseur social qu'est l'éducation publique lui a permis a sont tour d'accéder aux plus hauts rangs. Cette ascenseur ne manquait cependant pas de formater les individus au modèle élitiste déjà en place. Il est ainsi possible en France de devenir un éminent responsable politique ou industriel, si on provient d'un milieu défavorisé, puisque les meilleures universités sont gratuites et ne recrutent les élites que sur la base du mérite. Dans cette logique, les élites s'en trouvent fortement redevables à l'État et ont tendance a renforcer son pouvoir en constituant une technocratie et à s'opposer à toute forme de démocratie participative. Le modèle français a ainsi évolué au long du 20ème siècle pour devenir véritablement interventionniste et technocratique. Les luttes sociales ont trouvé échos chez des intellectuels qui les ont traduites en idéologies (et vice-et-versa). L'État est alors devenu État-providence et les théories keynésiennes de régulation de l'économie ont permis à ce système de se renforcer, notamment après la deuxième guerre mondiale et ce qu'on a appellé les Trente Glorieuses. Ce modèle connaît cependant des difficultés à l'heure de la mondialisation et les dettes qu'il a engendrées ainsi que le fossé entre la technocratie et la société civile, notamment les syndicats, aboutissent désormais à des situations d'immobilisme et de conflits. Conséquemment, l'État a bien souvent du mal à renouer avec le dynamisme économique. On assiste alors à l'exode des industries manufacturières vers les pays où les contraintes sociales et économiques sont moins grandes. Cependant, le modèle français a indéniablement des avantages en terme d'accès au soins et à l'éducation de qualité pour tous, même si ceux-ci deviennent de plus en plus lourds à supporter pour l'économie nationale. Enfin, on comprend que la place importante des élites intellectuelles dans la vie politique et culturelle française incite souvent au débat politique quasiment existentiel, inondant les médias d'analyses sur tous les sujets, géopolitiques notamment. Il était donc plus rare de trouver un citoyen français ignorant de la problématique du terrorisme à la fin des années 90, comme j'en avais eu l'expérience aux États-Unis.
Le Québec, par son histoire et sa position géographique se situe véritablement entre ces deux mondes. Comme les États-Unis, son histoire commence avec une population de colons qui ont dû également travailler extrêmement fort pour assurer leur bien-être. Cependant, le rôle prédominant des institutions monarchiques françaises, puis de celles de la couronne britannique et du clergé ont longtemps maintenu la population francophone catholique dans une situation archaïque, ceci jusqu'au milieu du 20ème siècle. Dans ces conditions, l'épanouissement individuel était peu encouragé. L'État québécois est alors un État minimal, où les politiques de laisser-faire ont permis aux riches entrepreneurs anglophones de faire ce qu'ils voulaient et d'exploiter une population peu éduquée. La Révolution tranquille a ensuite changé la donne et c'est alors vers le modèle français que le Québec s'est tourné. Il est donc devenu plus interventionniste et s'est transformé en État-Providence. Certes, l'influence des voisins américains et de la fédération canadienne ont continué de jouer un rôle important. Le modèle élitiste à la française a ainsi été fortement nuancé par l'esprit de libre entreprise nord-américain. Mais c'est surtout au niveau du rôle de la société civile que le modèle de l'État québécois se différencie de ses influences historiques. Les Québécois, malgré ce qu'on entend parfois, restent fiers de leur État et se sentent très souvent directement concernés par les grands enjeux qui le touchent. Ils s'organisent au sein de leurs communautés, de syndicats, de coopératives agricoles ou d'autres associations à but non-lucratifs. Le modèle interventionniste d'abord mis en place pendant la Révolution tranquille a alors évolué vers un modèle d'État Subsidiaire, avec un rôle devenant plus souvent celui de facilitateur au plan économique, encourageant la décentralisation et permettant aux organismes de la société civile de peser dans les décisions et d'exercer un certain contre-pouvoir face aux technocrates et au patronat. Ce modèle n'est cependant pas encore abouti comme ça peut être le cas dans certains pays d'Europe du nord, mais il fait en sorte que la société québécoise se démarque véritablement de ses voisins anglophones ou de ses cousins français. C'est entre autre cette possibilité d'intervention en tant que citoyen, à travers les différents organes de la société civile et la recherche qu'elle suscite du compromis par les dirigeants qui me donne l'envie de faire partie de ce projet de société. Car il donne à l'État un véritable rôle de conciliateur, permettant de trouver notamment des ententes constructives avec les travailleurs, chose presque impossible en France. Je pense que la société québécoise s'en trouve d'autant mieux outillée pour s'adapter à la mondialisation, sans verser dans l'individualisme de nos voisins américains. Certes le portrait n'est pas tout rose et les exemples pris au début de mon analyse pourraient peut-être s'appliquer parfois au Québec. Il n'en demeure pas moins que l'accès au soins demeure gratuit et de qualité. Aussi, la qualité de fin diplomate et de pays pacifique du Canada et le rôle international du Québec dans les affaires culturelles et environnementales sont reconnus internationalement. Ceci participe au fait que le citoyen québécois a généralement une meilleure connaissance des grands dossiers internationaux que les américains, la présence d'une télévision publique de qualité jouant évidement un rôle prépondérant dans cette situation.
Pour revenir sur mon cas personnel et conclure, je voudrais illustrer la différence entre les trois modèles d'État par un dernier exemple: j'ai été accepté comme étudiant à l'ENAP et les frais de scolarité bas font que je peux payer pour mes cours. Les résultats que j'ai obtenu dans mes études supérieures et le nom de l'établissement fréquenté (pourtant respectable) m'auraient définitivement barré la porte de l'ENA ou d'autres Grandes Écoles en France, m'enlevant de fait toute possibilité de faire partie de l'élite, et je n'aurais jamais pu me permettre financièrement de suivre des cours en administration publique à Princeton ou Harvard ! Vous comprendrez que le modèle québécois me séduit et que je trouve parfois frustrant d'observer qu'aussi bien au niveau fédéral que provincial, certains voudraient le réaligner sur celui des américains !
Jean-Marie Heurtebize, ENP7505, Automne 2011, Lundi soir
Commentaires
Un bon deuxième blogue Jean-Marie. On va lire , scruter et analyser et...faire le jugement. Bravo
Prof