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Les médias : «gardiens» de la bonne gouvernance? Cas de la crise post-électorale ivoirienne-Judith Effo

 «Les médias indépendants, libres et pluralistes jouent un rôle crucial dans la bonne gouvernance des sociétés démocratiques, en assurant la transparence et le respect des principes de responsabilité, en promouvant la participation et l'état de droit et en contribuant à la lutte contre la pauvreté»[1]. Les médias seraient donc «indispensables pour garantir la transparence, la responsabilité et la participation, qui sont des aspects fondamentaux de la bonne gouvernance et du développement fondé sur les droits de l'homme» [2].

 

Qu’en est-il de la réalité ? Est-ce que ces vertus s’appliquent à tous les médias ? Les médias sont-ils tous les «chiens de garde» contre la corruption et les défendeurs du public contre les intérêts particuliers? [3]. Selon Luc Lavoie, membre du cabinet de l’ex-premier ministre Brian Mulroney, «[Les journalistes] sont tous habités d’une espèce de conviction qu’ils sont eux-mêmes des espèces de défenseurs de la démocratie devant l’éternel» [4].

 

Le cas de la crise postélectorale ivoirienne ne témoigne-t-il pas d’une autre image des médias? Au contraire, les journalistes ne seraient-ils pas instrumentalisés par la politique? [5]

 

Pour bien comprendre la situation, il est nécessaire de revenir sur le contexte dans lequel les dernières élections présidentielles se sont déroulées en Côte-D’ivoire (CI).

 

Les élections présidentielles organisées au mois d’octobre 2010 en Côte-d’Ivoire, devaient représenter le point culminant du processus de sortie de crise dans laquelle la CI est plongée depuis une décennie. Crise, dont l’émergence remonte à septembre 2002, date à laquelle une tentative de coup d’État contre le gouvernement de Laurent Gbagbo, a donné naissance à une rébellion armée qui s’est emparée du Nord du pays, marquant ainsi la division de la CI en deux. S’en suivra de 2003 à 2007, une série d’Accords de gestion de crise, avec en mars 2007, la signature de l’Accord politique de Ouagadougou qui consacre l’appropriation par les parties ivoiriennes, du processus de sortie de crise. Cet accord a permis de mettre en place un nouveau gouvernement d’unité nationale chargé de l’organisation des prochaines élections présidentielles. Après avoir été maintes fois repoussée pour diverses raisons avancées, c’est finalement la date du 31 octobre 2010 qui fut retenue pour l’appel aux urnes des citoyens ivoiriens.

 

Le premier tour de l’élection présidentielle a connu une participation massive et s’est déroulé sans ‘défaut majeur’. Cependant les choses se sont corsées lors du second tour, organisé le 28 novembre 2010, au moment de la proclamation des résultats devant sacrer le nouveau président de la République ivoirienne. En effet, alors qu’en date du 2 décembre 2010, la Commission électorale indépendante(CEI) chargée de divulguer les résultats dans un délai de trois jours n’était pas encore parvenue à un consensus sur la consolidation ou non de certains suffrages; le président du Conseil constitutionnel a saisi le Conseil pour statuer sur les résultats définitifs en lieu et place de la CEI au motif que le délai qui lui était imparti pour proclamer les résultats avait expiré à minuit, le 1er décembre 2010. Il revenait donc, selon le code électoral ivoirien, à l’autorité suprême de l’État ivoirien, soit le Conseil constitutionnel de statuer sur les contestations et les requêtes introduites afin de se prononcer sur les résultats définitifs dans un délai impératif de sept jours. Cependant, le président de la CEI s’appuiera sur les résultats provisoires pour déclarer  l’opposant Alassane Ouattara vainqueur à la télévision française, et ce, avant même que la décision du Conseil ne soit connue. Le Conseil constitutionnel déclarera à son tour Laurent Gbagbo président, après comptage des scrutins. C’est ainsi que la Côte-d’Ivoire est apparue dans la presse internationale comme le premier pays au monde à avoir deux présidents pour un seul siège présidentiel!

 

Il n’est pas question ici de chercher à savoir qui a vraiment gagné les élections mais plutôt de se focaliser sur le rôle joué par les médias et la stratégie de communication adoptée, sous prétexte d’être les justiciers de la démocratie et du respect des urnes.

 

Comment peut-on prétendre être «les chiens de garde» de la démocratie lorsque sans même attendre que l’autorité suprême d’un pays souverain n’ait statué, on puisse prendre le parti d’un candidat et le déclarer comme étant le président reconnu par la communauté internationale ? La primauté du droit n’est-elle pas ici bafouée ? Où sont passées les obligations déontologiques d’impartialité, d’objectivité et de neutralité dont tout journaliste doit se prévaloir ?

 

En effet, malgré l’ambigüité des résultats de la présidentielle, les médias français sont restés unanimes sur l’élection du président Alassane Ouattara quitte à outrepasser l’avis du Conseil Constitutionnel. Dans un pays souverain, la légitimité revenait donc uniquement à la  « communauté internationale » de proclamer les  résultats des élections présidentielles.

 

Le lynchage médiatique ira d’ailleurs assez loin lorsque le président sortant refusera de quitter le pouvoir et contestera le scrutin dans le Nord du pays.  Les médias internationaux iront jusqu’à diaboliser Laurent Gbagbo en qualifiant son régime d’ultranationaliste, xénophobe et génocidaire. Le cartel médiatique mettra en place une véritable campagne de désinformation à l’encontre du président déchu [7]. À longueur de temps sur les ondes, des mots et concepts seront choisis par les médias et répétés. Pour eux «Laurent Gbagbo doit partir» et «Alassane Ouattara est le président reconnu par la communauté internationale», on entendra parler aussi de « crimes contre  l’humanité », «Escadrons de la mort », « charniers »,  « actes génocidaires», etc.

 

Selon Tobner [8], l’uniformisation de  l’information concernant la crise ivoirienne, constatée dans la  quasi-totalité de la presse française et journaux télévisés, soulève la question d’un risque de formatage de l’opinion publique.

 

Moi-même ayant vécu tous ces évènements depuis le Québec, j’ai pu constater cette complicité multiforme dans les médias à travers la presse canadienne qui s’alignait toujours derrière la presse française en véhiculant l’image d’un ancien président qui se maintenait au pouvoir illégitimement.

 

Je me souviens d’ailleurs de l’accrochage diffusé dans la nuit du 30 décembre 2010, qui a fait le tour du monde, amplifiant l’image exécrable déjà attribuée au gouvernement de Laurent Gbagbo et de ses partisans. Nous pouvions y voir l’un des représentants, au sein de la CEI, de l’ancien chef de l’État empêcher l’annonce des résultats partiels du second tour. La presse qualifiera cet évènement de ‘tentative de hold up électoral’ des partisans de Laurent Gbagbo. En réalité, les protagonistes cherchaient surtout à empêcher la divulgation de résultats n’ayant pas obtenu l’assentiment de la Commission.

 

Notons aussi que les seules fois où la position du Conseil constitutionnel sera évoquée dans la presse, ce sera pour semer le doute sur son impartialité en prétextant que ses membres ont été nommés par Laurent Gbagbo. Or, si on regarde au Canada par exemple, les juges de la Cour suprême sont certes nommés par le gouverneur général mais sur recommandation du premier ministre, qui choisit aussi d'autres juges ainsi que les sénateurs, les ministres, les sous-ministres, les présidents des sociétés d'État et le commissaire de la GRC. Cependant, ni la France, ni les USA n'ont mis en doute l'objectivité de la Cour suprême lorsqu'elle s'est prononcée en réponse au renvoi sur la sécession du Québec [9].

 

L’exemple de cette crise montre à quel point les médias ont représenté un enjeu majeur dans le débat politique ivoirien. Loin de toujours répondre à leur mission d’informer en toute impartialité, ils franchissent parfois la limite et deviennent des armes de guerre pour marquer des positions stratégiques.

 

 

 

Judith Cynthia

enp-7505 (lundi soir)

Commentaires

  • Voilà qui est bien. À la correction maintenant.

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