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«Occupons le monde: le cri d'alarme est lancé !»Marie-Noëlle Fortin

 

La crise est là, elle nous guette. Après s’en être prise aux pays de l’Europe occidentale, elle pèse de plus en plus sur les institutions financières nord-américaines. Comment pourrons-nous l’affronter et  pourquoi s’est-elle développée sans que l’on n’ait pu réagir avant? Plus précisément : «Nous, en tant que travailleurs, citoyens, participants actifs à la société, qu’avons-nous fait pour en arriver là? Sommes-nous responsables de cette débâcle économique? Est-ce du au faible taux de fécondité, aux conditions de travail trop profitables, au fond de pension trop onéreux? Je doute fort que quiconque puisse se sentir coupable d’avoir des programmes sociaux trop avantageux.

 

Pourtant, il s'agit présentement du «nous» qui est dans la rue en train de mobiliser la majorité pour que l’on reprendre les rênes du monde financier qui part à la dérive. «Nous» sommes là, «nous» sommes la force globale[1], la volonté collective de faire les choses différemment et de rétablir le balancier en faveur de l’être humain, de la démocratie. La société postmoderne hyperindustrialisée a trop longtemps sévit, apportant avec elle la représentation du citoyen comme un consommateur abruti plutôt que d’un participant actif à la politique publique. Mais le «nous» a crié, haut et fort, ici comme ailleurs, que «nous» voulons participer à la vie publique, être représentant de cet État de droit qui nous constitue, jouer le rôle que nous avons inscrit dans la Constitution en tant qu’acteur principal de cette démocratie représentative.

 

C’est la naissance d’un contre-pouvoir mondial.

 

La population veut du changement, un renouveau qui remettra les pendules à l’heure de l’humanisation du capitalisme. On crie pour mettre fin à cette «culture noire», comme le mentionne Kalle Lasn, initiateur du mouvement et anticapitaliste spécialiste de la guerre d’image[2]. Mais à qui destinons-nous nos cris? Qui sont donc les réels responsables? Ceux qui peuvent activement rétablir l’équité entre les deux pouvoirs de forces que sont la population et les marchés financiers ?

 

Vous l’aurez deviné: il s’agit bien des politiciens et des institutions gouvernementales.  Pourquoi donc nos dirigeants politiques ont-ils abandonné la partie, ou plutôt, pourquoi ce sont-ils mis au rang de victimes des contrefaits de ce capitalisme financier outrancier? Le «nous» vient ainsi au secours de l’État en lui ouvrant les yeux sur les effets d’une mondialisation dictée par les tenants de la haute finance[3].

 

En effet, les gouvernements ne doivent pas oublier qu’ils sont en fait eux-mêmes responsables des lois sur la réglementation des marchés financiers de leur État respectif.

 

Revoyons quelques principes à ce propos :

 

L’intervention de l’État touche l’allocation des ressources au sein de la société et l’orientation de l’économie nationale par l’entremise d’investissements publics, de politiques d’achat, de réglementation des industries ou de subventions, de prêts ou de dégrèvements fiscaux.

 

L’État sur le plan économique se présente tour à tour comme producteur, investisseur, consommateur, régulateur, employeur ainsi que leader et promoteur[4].

 

La classe politique doit prendre les responsabilités qui lui revient. Rappelons que de par leur pouvoir de réglementation du marché financier, ils ont décidé de laisser le marché s’autogérer par une dérèglementation générale[5]. La libéralisation des échanges de capitaux est ainsi venue augmenter la spéculation sur le marché des biens et services, sans toutefois que l’on produise aucun bien et accroitre le marché du crédit. De plus, le développement des technologies des produits a mis en danger de nombreux emplois au Nord comme au Sud. On ne peut nier que le capitalisme fut nécessaire au développement de notre société, mais nous sommes maintenant arrivés au cul-de-sac de cet enrichissement économique qui met à présent en péril la société démocratique affaiblie par la pauvreté, et souffrant devant l’injustice et la corruption.

 

On le sait, l’État de droit doit répondre de ses actes et tout doit être approuvé ou du moins contrôlé. C’est ce principe de base de l’administration publique que le peuple revendique  explicitement auprès de l’État, lui qui, sous l’endettement public, a trop souvent délégué son pouvoir entre les mains des entreprises privées. Des solutions sont pourtant possibles. C’est ce que dont nous explique Claude Béland, président du Mouvement démocratie et citoyenneté au Québec, en proposant comme solution la taxation de la spéculation et une limite sur les marges de profits[6]. Le gouvernement pourrait s’inspirer de ces méthodes pour répondre plus adéquatement de ses actes devant ses concitoyens. Quelles que soient les futures actions gouvernementales, si celles-ci veulent être approuvées par la population, elles devront dans tous les cas se soumettre à la transparence et à l’évaluation constante de la société civile[7]. Sinon, le mouvement des indignés risque d’atteindre une ampleur des plus redoutables.

 

En se mobilisant dans la rue, le «nous» représente la goutte qui fait déborder le vase. Prêts à soulever l’État à bout de bras, les citoyens ne veulent plus que cette situation soit la matrice du développement économique mondial. Comme l’a mentionné le président Sarkozy dans le journal Le Monde, on doit «moraliser le capitalisme». Ainsi, on pourra espérer le «retour des États» après trente ans de la prétendue gloire de «l’efficience des marchés» et de «l’État minimal»[8].

 

Que veut-on dire par le «retour des États»? Prêchons-nous l’État-providence au sens strict? L’économiste David Thesmar (Cercle des économistes) illustre avec justesse la base du désir de société actuel : «l’aspiration à la libéralisation de la société est devenue plus forte que l’aspiration à la protection d’un État tutélaire»[9]. En effet, la société civile veut que les gouvernements lui redonnent le pouvoir de s’exprimer, tout en ayant la certitude d’être entendue et prise en considération. Les gouvernements doivent démontrer leur capacité à réellement préserver le bien-être de leurs citoyens, tâche définie par une écoute réelle et une prise en charge effective de leurs besoins. Les gouvernements doivent se souvenir de leur mandat premier: celui de représenter les 99% de la population, rôle auquel ils se sont dissociés depuis les trente dernières années.

 

Que l’on soit pour ou contre le mouvement des indignés, cela n’empêche pas qu’un changement est inévitablement en train de se produire. Les gouvernements qui le considèreront et sauront ajuster l’équilibre entre les marchés financiers et le peuple seront ceux qui se sortiront le mieux de cette crise.

 

Aucun citoyen au Québec, ni nul par ailleurs sur la planète,  ne peut rester inerte face à l’indéniable déséquilibre économique qui fait de nous les perdants sur toute la ligne. Comme le mentionnait Joseph E. Stiglitz, professeur en économiste et premier vice-président de la Banque mondiale, «pourquoi y eut-il des milliards de dollars pour renflouer les banques, alors que quelques millions de dollars de subvention en nourriture et carburant ne pouvaient être dégagés pour les Indonésiens les plus démunis?»[10] Au Québec, comme ailleurs, on se saigne à blanc pour pouvoir amasser les fonds de retraite raisonnables pour les nombreux travailleurs qui partent bientôt du marché du travail, alors que les bonus des traders sont toujours aussi flamboyants et les paradis fiscaux se portent parfaitement bien[11]. Un déséquilibre est là, bien visible devant nous. Les indignés sont là pour nous le rappeler, nous ouvrir les yeux sur l’importance de participer activement à la société civile.

 

Je ne suis moi-même pas une grande militante, mais je salue avec admiration les valeureux téméraires qui osent mettre de côté leur confort au nom d’une cause qui nous touche tous.  Ils sont les occupationnels, le reste du «nous» sommes la force tranquille qui les appuyons et ferons en sorte que les élections représentent réellement les besoins de la population. Cela me désole de voir que notre propre gouvernement ose ne pas reconnaître que le peuple prend son pouvoir en main, fermant ainsi les yeux sur les changements qui sont en train de se vivre partout sur la planète. La motion rejetée d’Amir Khadir, député Québec solidaire de Mercier, montre bien le chemin que nous avons encore à parcourir pour que notre gouvernement provincial réagisse à la voix du peuple.

 

 Il est l’heure que le gouvernement du Québec regarde dans les yeux des gens qui l’ont élu et qu'il réponde à leur demande d'une meilleure justice sociale et d'une répartition égale des richesses. Ce n’est pas une situation qui pourra se régler avec le truchement d’une commission d’enquête, le gouvernement est donc mieux de bien se préparer cette fois. La crise présente a des racines solides et profondes qui se nourrissent d'une indignation qui risque d’être bientôt incontrôlable !

 

 

Marie-Noëlle Fortin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]CYBERPRESSE.CA (2011) Peuples du monde, levez-vous! [En ligne], Québec, Cyberpresse.ca, «Nouvelles du 16 octobre 2011», http://www.cyberpresse.ca/international/201110/16/01-4457719-peuples-du-monde-levez-vous.php  (Page consultée le 17 octobre 2011)

[2] ADBUSTERS (2009). Kalle Lasn : Clearing the Mindscape, [En ligne], Vancouver, Adbusters.com, http://www.adbusters.org/blogs/adbusters_blog/kalle_lasn_clearing_mindscape.html (Page consultée le 20 octobre 2011)

[3]KOROGHLI,Ammar (2011). La crise financière mondiale et l’Algérie, [En ligne], Algérie, Algérie-Focus : le devoir de savoir, http://www.algerie-focus.com/2011/08/23/la-crise-financiere-mondiale-et-lalgerie/  (Page consultée le 19 octobre 2011)

[4]TRUDEL, Rémy (2011). Scéance 2: Des principes fondamentaux, Montréal, École nationale d’administration publique. Document interne.

[5]LES FRANCS TIREURS (2011). Émission du 19 octobre 2011 : Entrevue avec Claude Béland. [Émission télévisée], Montréal, Les Francs tireurs Télé-Québec.

[6]Idem

[7]LAVOIE, Guillaume (2011) Recueil de texte : Crise, dette, urgence sociale : les États submergés de Antoine Reverchon, Le Monde 13 septembre 2011. Montréal, École nationale d’administration publique.

[8]Idem

[9] Idem

[10]LAVOIE, Guillaume (2011) Recueil de texte : Relève de la garde au FMI de Joseph E. Stiglitz du 06 juin 2001. Montréal, École nationale d’administration publique.

[11]LAVOIE, Guillaume (2011) Recueil de texte : Crise, dette, urgence sociale : les États submergés de Antoine Reverchon, Le Monde 13 septembre 2011. Montréal, École nationale d’administration publique

 

Commentaires

  • Bravo encore Marie-Noëlle pour oser ce blogue public sur une question d'actualité pour faire voir des principes d'administration publique concrets.
    N'oublions pas de s'assurer une copie-papier dans les cahiers réservés à cette fin.
    Ceci s'applique aussi pour les "commentateurs" de Marie-Noëlle.
    Et bientôt ...de la correction, au sens d'examen de la copie !
    Prof - samedi le 30 octobre 2011.

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