Ukraine : tentation autoritaire dans un État de droit-Michael Tremblay
Par Michaël Tremblay
Le 11 octobre 2011, l’ancienne première ministre de l’Ukraine, Ioulia Timochenko, est condamnée à sept années de prison pour avoir abusé de son autorité à des fins criminelles, au motif qu’elle «aurait signé des accords gaziers avec la Russie défavorables à son pays»[1]. Ce jugement controversé n’a pas laissé indifférentes les sociétés basées sur l’État de droit. Plusieurs pays, dont le Canada, ont soulevé le caractère partisan de cette décision judiciaire, en énonçant que la décision «a été faussée par des intérêts politiques biaisés» et en ajoutant «que la primauté du droit en Ukraine sort affaiblie dans la foulée de cette cause importante».[2] Pour bien saisir la teneure de ces affirmations, il est nécessaire de comprendre le contexte dans lesquelles elles s’inscrivent.
Bien sûr, l’histoire de l’Ukraine ne peut se résumer en quelques lignes, tant elle est riche. Notons seulement que son évolution récente est marquée par la déclaration de son indépendance le 24 août 1991, officialisant sa souveraineté face une Union soviétique, qui sera dissolue le 25 décembre de la même année par le Président Eltsine. Le 28 juin 1996, l’Ukraine a adopté une constitution qui est l’«acte fondateur de tout État de droit»[3]. Dans un communiqué célébrant le 20e anniversaire de son indépendance, le gouvernement ukrainien décrit ces tournants historiques comme étant le moment où «on a jeté les bases d’un développement de la nation [ukrainienne] conformément aux principes de droit, de la construction de la démocratie, d’une économie de marché socialement orientée, de la garantie des droits de l’homme à travers une coopération pacifique et mutuellement avantageuse avec tous les membres de la communauté internationale»[4]. Bien que les deux dernières décennies aient été porteuses d’espoir pour la population de cette ancienne république soviétique, elles ont été marquées par de fortes luttes politiques sous-jacentes à une recherche identitaire où des acteurs, comme Ioulia Timochenko, préconisent un rapprochement de l’Ukraine avec l’Europe occidentale, au profit d’un attachement fidèle à la Russie, idée portée par le parti de Viktor Ianoukovytch.
C’est dans ce contexte que le gouvernement pro-russe de Viktor Ianoukovytch est soupçonné d’ingérence dans le procès visant la première ministre de l’ancienne administration pro-occidentale, Ioulia Timochenko. Il ne s’agit pas ici de faire le procès des agissements du gouvernement en place, qui, selon la presse internationale, consiste en «une manœuvre destinée à écarter une concurrente gênante pour le pouvoir»[5].Néanmoins, le débat qui est né de l’association présumée entre le pouvoir et le tribunal, tel que rapporté par les observateurs internationaux, portent atteinte à la crédibilité de l’État de droit ukrainien, où devrait prédominer l’indépendance du législatif, de l’exécutif et du judiciaire. Par le biais d’une lettre de protestation, le ministre canadien des Affaires étrangères, John Baird, a averti l’Ukraine des effets négatifs qu’auraient les agissements de son gouvernement : «Le Canada vous implore, en tant que président de l'Ukraine, de vous assurer que tout procès en Ukraine se déroule sans ingérence politique et de tout mettre en œuvre pour renforcer l'indépendance du système judiciaire»[6].
Si la tradition de l’État de droit est profondément enracinée dans la culture occidentale, on ne peut en dire autant pour les pays, comme l’URSS, dont le système politique a été marqué par une séparation des pouvoirs qui, en pratique, n’était pas respectée et où la structure du Parti au pouvoir doublait la structure de l’État. À mon avis, ce que le journal Le Figaro a nommé la «dérive autoritaire de l’Ukraine»[7] peut s’expliquer par une culture du contrôle absolu, qui amène les dirigeants à retourner naturellement aux pratiques datant d’une époque maintenant révolue.
Aujourd’hui, nous avons plusieurs raisons pour dépeindre la mondialisation. Cependant, un effet positif de cette tendance est que les comportements litigieux des politiciens peuvent être rapidement mis au jour. Ainsi, la communauté internationale peut efficacement faire pression auprès des autorités concernées pour faire valoir le consensus social sur lequel doit reposer la gouvernance d’un pays basé sur l’État de droit. Avec le cas Ianoukovytch – Timonchenko, nous avons eu la preuve que les gouvernements sont sensibles à l’opinion publique; que ce soit par pur sentiment d’éthique ou, le plus souvent, par obligation. Malgré le fait que le gouvernement cherche à se définir comme étant pro-russe, l’Ukraine, durement affectée par la crise économique de 2008, est à négocier un accord d’association avec l’union européenne. Il est donc à l’avantage du gouvernement de réaligner les façons de faire de l’État, qui, autrement, pourraient mettre en doute le respect de ses principes fondamentaux. C’est possiblement ce qui a motivé le président Ianoukovytch à affirmer que ce «jugement n'est pas définitif, et qu'un appel est toujours possible»[8]. Bien sûr, je suis d’avis que justice doit être faite. Cependant, j’abonde dans le même sens que ma collègue Annie-Claude Desrochers[9] en croyant que le système de justice doit agir indépendamment de l’exécutif.
Dans une autre perspective, je trouve intéressant, comme citoyen, de savoir qu’il existe une véritable imputabilité de la part des acteurs politiques, face aux décisions que ces derniers prennent. Cela n’est pas sans rappeler le cas de Tony Tomassi, d’ailleurs très populaire sur ce blogue! Selon Marie-Soleil Tremblay, «le principe d’imputabilité fait appel à la responsabilité de chaque gestionnaire de répondre de ses gestes et de ses choix à ses supérieurs et, éventuellement, à la population»[10]. Ainsi, toutes les parties prenantes à la décision doivent agir conformément à ce qui est prescrit dans la loi, peu importe l’échelle de l’intervention. Que ce soit dans l’attribution de places en garderie ou dans la négociation de contrat gazier de l’ampleur de quelques milliards de dollars, l’enjeu reste le même et s’appelle la reddition de compte. Par conséquent, si Timochenko a mal agi dans la négociation des tarifs gaziers, l’Ukraine est justifiée d’engager ces poursuites.
Il sera donc très intéressant de suivre l’appel de cette décision, sachant que la défenderesse tentera de démontrer la proximité dont a fait preuve l’appareil gouvernemental et le système de justice pour ainsi, décrédibiliser le jugement. Cependant, au lendemain de sa condamnation, une nouvelle accusation a été déposée contre Ioulia Timochenko, pour tentative de dilapidation des deniers publics. Je ne voulais pas finir sur une note négative mais cela me paraît inévitable! Ici, j’ai en tête le scandale qui touche le domaine de la construction au Québec. L’actualité donne aux populations du Québec et à l’Ukraine un dénominateur commun : une confiance ébranlée envers un système politique qui, parfois, semble déconnecté des principes fondamentaux de l’État de droit.
[1] SUPINSKY, Sergei (2011). «Ukraine : Ioulia Timonchenko condamnée à sept ans de prison», L’express.fr, 11 octobre 2011.
[4] Ambassade d’Ukraine au Royaume du Maroc (page consultée le 20 octobre 2011). Site de l’ambassade d’Ukraine au Royaume du Maroc [En ligne]. http://www.mfa.gov.ua/
[5] SUPINSKY, Sergei (2011). «Ukraine : Ioulia Timonchenko condamnée à sept ans de prison», L’express.fr, 11 octobre 2011.
[7] THEDREL, Arielle (2011). «Varsovie à la peine avec ses voisins orientaux», Le Figaro, 29 septembre 2011.
[8] SUPINSKY, Sergei (2011). «Ukraine : Ioulia Timonchenko condamnée à sept ans de prison», L’express.fr, 11 octobre 2011.
Commentaires
Bravo encore Michaël pour oser ce blogue public sur une question d'actualité pour faire voir des principes d'administration publique concrets.
N'oublions pas de s'assurer une copie-papier dans les cahiers réservés à cette fin.
Ceci s'applique aussi pour les "commentateurs" de Michaël.
Et bientôt ...de la correction, au sens d'examen de la copie !
Prof - samedi le 30 octobre 2011.
Bonne fin de semaine...s'il en est ...