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Lionel Floristin-Financement des écoles du Québec sur la base du rendement : Luttes de rationalités.

J’ai été très attentif à la levée de bouclier provoquée par l’annonce de la ministre de l’éducation du Québec cette semaine concernant les commissions scolaires. Madame Line Beauchamp a en effet déclaré jeudi dernier 20 octobre lors d’une entrevue à Radio Canada[1], que le gouvernement a l’intention de réduire de plus de  moitié le budget alloué aux 69 commissions scolaires d’ici 2015 à raison de 100 millions par année. Il s’agira donc d’une coupe de 300 millions de dollars sur  un budget actuel de 571 millions. Le congrès du parti libéral du Québec (PLQ) cette fin de semaine  devra statuer sur cette décision qui va au-delà d’une simple réduction budgétaire. Il s’agit en fait d’une réforme structurelle dans le système de l’éducation. Entre ceux qui préconisent comme François Legault l’abolition pure et simple des commissions scolaires et la ministre qui soutient un dégraissage sous forme de changement de mission, les organes représentatifs des commissions scolaires[2] tels la CSQ, la FCSQ et l’ADIGECS  montent au créneau pour faire bloquer cette initiative. Les directions d’école présentées comme principales bénéficiaires avec plus d’autonomie dénoncent le fait que le financement soit conditionné par le rendement selon la déclaration de la présidente de la Fédération québécoise des directions d'établissements d'enseignement (FQDE), Chantal Longpré.  On peut même supposer que cette autonomie peut même être accompagnée de moins de moyens dans le cas où le rendement n’est pas atteint car la ministre a bien dit que les 300 millions économisés n’iront nulle part d’autre dans le système éducatif. Donc une école aura plus au détriment d’une autre, c’est la concurrence féroce entre les écoles selon les différentes réactions.  Ce qui n’est pas clairement  dit,  c’est ce qui motive cette décision. Est-ce une nécessité budgétaire ou un manque de performance du système scolaire ? Puisqu’il n’est prévu aucune augmentation du portefeuille budgétaire ou de réaffectation des économies réalisées, en ce sens, faire plus avec moins (ou faire la même chose avec moins) semble prévaloir. Et là, on est surtout dans le domaine du rendement, de l’efficience et pas nécessairement dans celui de l’efficacité qui supposerait de meilleurs services à tous les citoyens. Selon moi, il est clair que la question principale c’est comment faire des économies et non comment améliorer l’éducation. Cet objectif est peut être dans un autre registre du gouvernement mais pas dans celui de réduire le budget de l’éducation. 

Je ne sais pas ce qu’aura décidé le congrès du PLQ, ni l’issue du bras de fer qui va opposer le gouvernement aux divers groupes de pressions mais cette actualité toute fraîche dans le monde de l’éducation met au devant de la scène la transition de l’administration publique vers ce qu’on désigne par le nouveau management public (NMP). En effet, le passage de l’État providence vers un État moins social s’appuie sur le NMP comme nouveau cadre de gouvernance et de gestion des organisations publiques. En effet, l’État est toujours présenté comme gaspilleur et le secteur privé devient le temple et la référence de l’efficacité et de l’efficience. État gaspilleur, car il se trouve  qu’il y avait 300 millions dans le système éducatif sans raison d’être puisque on peut les enlever sans affecter le service.

Nous n’avons pas encore la réaction des parents face à cette annonce  mais nous savons que leurs revendications pour  être l’un d’entre eux est la qualité de l’éducation et la sécurité de leurs enfants. Quant aux autres parties prenantes principales que sont les commissions scolaires, le corps enseignant et les directions d’école, ils se rejoignent tous pour dénoncer le financement des écoles sur la base du rendement et la mise en concurrence ouverte des établissements quant au budget de l’éducation. Il n’est pas besoin de faire la démonstration que ce sont les écoles qui accueillent les enfants difficiles qui seront les plus affectées car leurs rendements seront relativement moindres et leurs efforts de loin supérieurs. Avec moins de financement, elles n’auront d’autre choix de s’enfoncer au creux de la vague avec toutes les conséquences qu’on peut supposer de décrochage, d’un enseignement au rabais, etc. Des écarts vont encore se creuser dans la société et les conditions sont réunies pour une éducation à plusieurs vitesses comme le déplorent plus d’un.

S’il est un modèle qui est mis à l’index pour justifier la décision, c’est la bureaucratie. D’ailleurs, l’un des arguments principaux est la réduction de la bureaucratie des commissions scolaires. Donc, il suffit d’associer les commissions scolaires à ce vocable pour que sa sentence de mort programmée soit justifiée. Mon propos n’est pas de défendre les commissions scolaires ou non car je ne connais pas suffisamment le système éducatif pour me faire un jugement. Mon intention, ce n’est pas non plus de dire que le gouvernement ne devait pas réduire le budget ou non. Je ne veux pas non plus dire que l’administration publique ne doit pas réagir face aux excès du modèle bureaucratique qui ont instauré lenteur, léthargie et inefficience dans les organisations tant publiques que privées d’ailleurs. J’encourage l’introduction de nouvelles méthodes et de nouvelles pratiques dans l’administration publique pour faire face aux défis tels l’augmentation des déficits budgétaires, un électorat de plus en plus exigeant. Ce que je n’appuie pas c’est le mimétisme, c'est-à-dire singer le secteur privé et importer tel quel ses recettes et son vocabulaire dans l’administration publique.

Il y a un principe fondamental que promeut le modèle wébérien, il s’agit de l’équité. Ce principe est aussi fondamental dans un État de droit. L’équité n’est certes pas l’égalité elle est surtout justice. Wéber prônait le plan de carrière, la formalisation des règles au sein de l’administration pour éviter des cas d’abus dans le traitement des employés et il recommande de codifier les relations de l’organisation avec l’extérieur pour que tout citoyen et citoyenne soient traités sans favoritisme. Nous savons tous les dérives de ces principes qui poussent à une rigidité, une froideur caricaturales dans certaines administrations et un frein à toute émergence de l’esprit entrepreneurial et le leadership. Il y a lieu vraiment de questionner et de changer de culture dans les organisations publiques mais cela ne doit pas se faire au détriment de certaines valeurs fondamentales. La levée de bouclier unanime du monde enseignant contre le financement associé au rendement tient du principe de l’équité. Tout enfant et jeune du Québec doivent avoir accès à la même qualité d’éducation publique. Par égalité, on donnerait le même budget à chaque école mais par équité on donnera plus à ceux qui font plus d’effort pour réduire les inégalités et s’assurer que les enfants en conditions difficiles arrivent à s’en sortir. Tout le monde sent le danger. Pour celui que le gouvernement est prêt à payer plus, il va recevoir une meilleure éducation et celui qui éprouve plus de difficultés pour qui il faudrait plus de moyens recevra moins. C’est ainsi que la situation est perçue et cela me suffit en l’absence de détails sur le plan de la ministre pour saisir l’importance de la décision. Il est vrai que la ministre dans l’interview, parle d’affectation de budget selon l’atteinte des objectifs fixés, ce qui laisserait penser que l’objectif défini (qui n’est pas nécessairement  le rendement) sera l’objet d’appréciation. Cela nous amène encore à l’une des distinctions entre le secteur privé et le secteur public. Pour le privé , le rendement se mesure clairement et presqu’exclusivement par le taux de profit alors que pour le secteur public aussi efficace et efficient qu’il voudrait être, il ne peut faire l’économie des objectifs sociaux. Si la décision pour chaque dollar investi est liée au retour financier pour une organisation privée, pour le secteur public et dans un domaine aussi social que l’éducation la décision sur chaque dollar investi ou à ne pas investir ne saurait être liée à une logique économique de réduction des coûts aussi légitime que cela puisse être. Nous sommes en pleine lutte de rationalités différentes : économique, politique, sociale…Un dollar à investir ou à ne pas investir à la SAQ et apparentées ne peut suivre la même logique de décision dans une école du secteur public dont la recherche de l’équité dans l’éducation est l’une des raisons d’être sinon on pourrait tout confier au privé.  

Lionel Fleuristin

Étudiant : cours Principes et enjeux en administration publique

ENAP

                

 



[2] CSQ: Centrale des syndicats du Québec ; FCSQ : Fédération des commissions scolaires du Québec ; ADIGECS : Association des directeurs généraux des commissions scolaires du Québec.

Commentaires

  • Bravo encore :ionel pour oser ce blogue public sur une question d'actualité pour faire voir des principes d'administration publique concrets.
    N'oublions pas de s'assurer une copie-papier dans les cahiers réservés à cette fin.
    Ceci s'applique aussi pour les "commentateurs" de Lionel.
    Et bientôt ...de la correction, au sens d'examen de la copie !
    Prof - samedi le 30 octobre 2011.

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