QUELLE PLACE POUR LES PREMIÈRES NATIONS DANS LA MISE EN OEUVRE DU PLAN NORD?
Le 9 mai 2011, le Premier Ministre du Québec, Jean Charest annonçait en grande pompes l’ambitieux projet de développement du Nord du Québec, le Plan Nord. Cette initiative a été présentée comme étant l'un des plus grands chantiers de développement économique, social et environnemental de l'histoire du Québec. « Le Plan Nord se déploiera sur 25 ans et entraînera, durant cette période, des investissements de plus de 80 G$. Il permettra de créer ou de consolider, en moyenne, 20 000 emplois par année en plus d'engendrer des revenus de 14 G$ pour le gouvernement et la société québécoise.[...] Le Plan Nord sera aux prochaines décennies ce que le développement de la Manicouagan et de la Baie-James a été aux décennies 60 et 70 », a déclaré M. Charest (1).
Le territoire couvert par le Plan Nord s'étend à l'ensemble du territoire du Québec situé au nord du 49e parallèle. Il couvre près de 1,2 million de km2, ce qui représente 72 % de la superficie du Québec. Ce territoire recoupe les territoires de plusieurs Premières Nations, notamment les Cris, les Inuits, les Naskapis et les Innus. L’amélioration du sort des communautés autochtones a été annoncée comme étant au coeur des préoccupations du Plan Nord, avec des action prévues dans les domaines de l’éducation, des compétences au travail, de la culture, la santé et des infrastructures (1).
A première vue, ceci s’annonce comme une opportunité incontournable pour les Premières Nations interpellées; pourtant on entend déjà parler de dissensions au sein des différentes Nations sur l’appui au Plan Nord. Le Chef du Grand Conseil des Cris, Matthew Coon Come qui a conclu la Paix des Braves avec Bernard Landry dans les années 70 donne son appui au Plan Nord, en positionnant sa Nation comme un partenaire essentiel. Par contre Ghislain Picard, Chef de l’assemblée des Premières Nations qui regroupe 43 Chefs autochtones du Québec et du Labrador juge que les consultations sont incomplètes, dans un processus qui risque d’avoir un impact important sur leurs droits(2). Le chef du Conseil de bande des Innus de la Côte Nord, Raphaël Picard explique ‘’On ne veut pas être juste un partenaire, mais un acteur du développement. Pour l’instant, c’est une politique qui réprime nos droits ancestraux(3). Voyons quels sont ces droits ancestraux, qui remontent à beaucoup plus loin que le premier projet de développer le Nord, lancé il y a 100 ans par le premier ministre libéral Lomer Gouin(4)! Il faut d’abord explorer le contexte politico-juridique de ces droits pour tenter de comprendre la complexité de leur application dans le contexte actuel du Plan Nord.
Un droit ancestral est un droit issu d’une coutume, d’une pratique ou d’une tradition qui caractérise la culture d’un groupe autochtone. Dans le cadre d’exploitation des ressources naturelles comme celui du Plan Nord, on parle souvent du titre aborigène, un type de droit ancestral permettant d’utiliser et d’occuper des terres de façon exclusive(5).
Traditionnellement, la source de revendication des droits ancestraux est basée sur trois arguments principaux: Le droit international, La Proclamation Royale de 1763 et la Loi Constitutionnelle du Canada de 1982. Des développements récents dans ces arguments sont particulièrement pertinents pour le développement du Nord. D’abord la reconnaissance internationale des droits des autochtones a récemment été reconnue par l’ONU, avec la ‘‘Déclaration des droits des peuples autochtones’’ de 2007, et appuyée par le Canada en novembre 2010. Cette déclaration, bien que non contraignante, pourrait servir de base aux futures conventions ou traités portant sur les droits autochtones. Également, souvenons nous que la première Constitution Canadienne de 1867 incluait la responsabilité de l’État à protéger les intérêts des Indiens, (interpellant également les gouvernements provinciaux). Elle amènera la Création de la Loi sur les Indiens en 1876, qui régit la plupart des aspects de la vie des autochtones, notamment l’administration des bandes, les terres et les ressources, et l’argent des Indiens. Depuis ce temps, et particulièrement depuis les années 50, les Premières Nations tentent d’obtenir plus d’autonomie, des territoires plus grands et de sauvegarder leur culture par des revendications et autres demandes. La Loi Constitutionnelle du Canada amendée en 1982 marque un tournant important dans l’interprétation juridique et politique actuelle des droits ancestraux. L’article 35 y reconnait non seulement une responsabilité du Gouvernement du Canada envers les Premières Nations, mais reconnait et protège aussi leurs droits ancestraux et issus de traités. La jurisprudence de ces dernières années vient compléter le contexte socio-politique des droits autochtones en réaffirmant l’existence de ces droits ancestraux et en définissant plus en détail l’application légale et constitutionnelle de ces droits. Il faut se rappeler que les Premières Nations n'ont jamais renoncé à leurs droits, et la Cour Suprême du Canada a donc veillé à réaffirmer ces droits que l'histoire a parfois voulu et failli effacer. Aujourd’hui, il reste tout de même un énorme travail pour préciser le concept, la nature et la priorité des droits ancestraux, tels que la chasse, la pêche et la cueillette de subsistance, qui se fait généralement par la Cour Suprême du Canada.
Au Québec, le développement économique progressif du nord a mené à la Convention de la Baie James et du Nord Québécois (CBJNQ) de 1975, à la Convention du nord-est québécois de 1978, ainsi qu’à d'autres ententes comme la Paix des Braves de 2002, permettant de normaliser les relations avec les Cris, les Inuits et les Naskapis sur les revendications territoriales. En échange, ces premières nations ont accepté de mettre fin à leurs revendications territoriales. Ces ententes sont critiques maintenant pour la mise en place de l’exploitation des ressources dans les territoires conventionnés, en co-gestion avec le Gouvernement du Québec. Les Innus quant à eux n’ont pas signé d’entente, et ont recours aux tribunaux pour faire valoir leurs droits sous l’article 35 de la Loi Constitutionnelle. Récemment, le jugement Haida de la Cours Suprême du Canada a réaffirmé l’obligation de consulter et d’accommoder, mais n’oblige cependant pas les gouvernements à s’entendre avec les Premières Nations une fois l’obligation morale de consulter acquittée, ce qui a été confirmé dans le jugement Tlingit. La Cour suprême indique également que l’obligation de consulter varie selon les circonstances et que les litiges doivent être traités au cas par cas.
La concrétisation de la reconnaisance de ces droits demeure donc aujourd'hui encore une préoccupation importante de la fonction publique. Comment s’assurer que l’obligation de consultation et d’accommodement est bien rencontrée? On peut souhaiter qu’une entente similaire à celles déjà conclues au Québec saura se concrétiser avec la Nation Innu, qui permettrais un développement balisé comme pour les 3 autres Nations du territoire touché par le Plan Nord. Même si des négociations avec le gouvernement ont lieu depuis les années 80, certaines difficultés demeurent, tel que les divergences au sein même de la Nation, entre les communautés, et même à l’intérieur des communautés elles-mêmes.
Dans le contexte de développement durable des ressources naturelles, les potentiels de divergences sur les droits ancestraux ou droits constitutionnels sont nombreux. Pour une initiative prévue sur les 25 prochaines années, l’implication active et de co-gestion préconisée dans la Paix des Braves doit servir d’exemple pour le futur. Il est donc incontournable que la mise en oeuvre se fera au moyen d’ententes politiques entre gouvernements et Premières Nations ainsi qu’avec les investisseurs, amenant une stabilité essentielle à la mise en place de ce projet d’envergure extraordinaire, et un partenariat permettant le respect des droits ancestraux. Le principal défi reste toujours la conciliation de deux régimes de droits sur un même territoire, ceux des autochtones et ceux de la nation québécoise. Peu importe les divergences, la prospérité des deux nations liée au plan nord dépend de l’harmonie de cette mise en place. Le député NDP d’Abitibi-Baie-James-Nunavik-Eeyou, Roméo Saganash exprime bien cette approche privilégiée quand il estime que le Plan doit respecter le cadre juridique signé avec les Cris et les Inuits, la paix des Braves et la Convention de la Baie-James, parlant des ces cadres comme d’une ‘’maturité politique’’ des Inuits et des Cris applicable à l’ensemble du contexte du plan nord.
Il reste aux Nations de mettre de côté des différents historiques afin d'assurer une continuité basée sur le droit, la confiance mutuelle et le désir de réussite commun.
1Ministère des ressources naturelles et faune. Site du MRNF, centre de presse [En ligne] http://www.mrnf.gouv.qc.ca/presse/communiques-detail.jsp?id=8980 . (Page consultée le 9 octobre 2011)
2Plan Nord: autochtones et environnementalistes sont partagés par Denis Lessard, Publié le 9 mai 2011 à 12h40, mis à jour le 10 mai 2011 à 15h30, http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201105/09/01-4397610-plan-nord-autochtones-et-environnementalistes-sont-partages.php
3 Opposition au Plan Nord - Les Innus bloquent la route 138 par Kathleen Lévesque, Le Devoir [En ligne], http://www.ledevoir.com/politique/quebec/325101/opposition-au-plan-nord-les-innus-bloquent-la-route-138 Publié le 9 juin 2011.
4 Plan Nord, Dossier Le Devoir [En ligne], http://www.ledevoir.com/dossiers/plan-nord/3 Publié le 23 octobre 2011, dernière mise à jour 9h54.
5 Secrétariat aux affaires autochtones du Québec [En ligne], http://www.versuntraite.com/negociations/droits_ancestraux.htm (Page consultée le 9 octobre 2011)
Paryse Turgeon, ENP-7505, lundi soir
Commentaires
Bravo encore Paryse pour oser un commentaire public sur une question d'actualité pour faire voir des principes d'administration publique concrets.
N'oublions pas de s'assurer une copie-papier dans les cahiers réservés à cette fin.
Ceci s'applique aussi pour les "commentateurs" de Paryse.
Et bientôt ...de la correction, au sens d'examen de la copie !
Prof - dimanche le 23 octobre
Je trouve que pour tous les grands projets, il faut toujours une bonne planification. Dès qu’on voit toute l’information qui a été produite par rapport au Plan Nord, on peut voir tout de suite qu’il y a un intérêt pour le développement économique, même si des avantages liés à la conservation de la culture et à l’amélioration des conditions de vie des habitants des Premières Nations sont interpellés. Une bonne planification comprend les aspects non seulement économiques mais aussi sociaux de tous les habitants.
Même si je donne le bénéfice du doute à ce projet, et que les intentions réelles qui l’ont motivé sont ceux de bénéficier les citoyens des Premières Nations, j’espère que les indicateurs qui ont une signification importante pour nous « les Occidentaux » comme ceux de l’éducation, l’inclusion dans nos sociétés et le développement économique, entre autres, ont été tenus en compte dans sa conception.
Au Mexique, il y a eu plusieurs essais pour intégrer à nos sociétés différentes communautés autochtones ; l’intention dans la plupart de cas a été principalement de les aider et de leur « enseigner » comment devenir des sociétés autosuffisantes, d´une façon semblable a la notre, ce qui était déjà un problème; d’abord car on ne peut pas dire que le modèle néolibéral nous a rendu plus riches ni plus développés d’une façon équilibrée. D’ailleurs, en plus d’essayer de leur apprendre un modèle qui n’était pas bien développé, il y a eu des projets qui ont ignoré leurs traditions, leurs cultures et leurs coutumes sociales.
Juste pour mentionner un exemple, dans une communauté autochtone au sud du pays, le gouvernement a voulu appliquer un système de coopérative où les femmes ont été formées pour produire et vendre des produits « traditionnels » ; cela a « marché » financièrement car les produits se vendaient et les femmes recevaient de l’argent qui les aidait à continuer la production et à se procurer les aliments dont elles avaient besoin et auxquels la communauté n’avait pas accès avant. Paradoxalement, la « réussite » de cette initiative a signifié la destruction de la communauté.
Les coutumes et les traditions sociales et économiques de ces autochtones ne correspondaient pas à celles de la société enseignante car c’était les hommes qui devaient procurer le bien-être aux familles et pas les femmes. En conséquence, un fois que les fonctionnaires appliquant le programme ont quitté, les hommes ont violenté leurs familles en les accusant d’avoir renié et trahi leur « culture », des morts ont été rapportées et les hommes ont même quitté leurs familles et la communauté. Les politiques du gouvernement ont fractionné cette petite communauté et, au lieu de produire un bénéfice, cette population s’est isolée encore plus de notre société, en raison non seulement de la peur de leur avenir mais surtout car elle ressentait qu’elle avait perdu ses repères culturels. Est-ce que les politiques et initiatives du gouvernement québécois par rapport au Plan Nord correspondent vraiment à celles dont les Premières Nations qui en « bénéficieront » ont besoin? Est-ce que la façon d’améliorer leur situation économique, d’éducation et de santé a été conçue en prenant compte les aspects sociaux et culturels de ces communautés ? Il vaut mieux s’assurer que l’amélioration souhaitée ne devienne pas « un des plus grands échecs du développement économique, social et environnemental de l’histoire du Québec…
La question des droits des autochtones et du développement sur leurs territoires est souvent posée en terme juridique. Il existe également une réalité de terrain dont on parle peu: les blancs ont tout saccagés et les autochtones n'ont rien pu faire pour les en empêcher!
Comment s’attendre de Raphaël Picard qu’il reste bien sagement sans rien dire quand des pans gigantesques du Nitassinan de Pessamit ont été et sont encore exploités pour leur ressource forestière. On peut en effet avoir le sentiment de se trouver sur la Lune quand on parcourt cette région! Je parle en connaissance de cause, je l’ai traversée de long en large pour mon travail, et j’ai toujours été choqué de voir ces coupes à blanc sans fin, qui, à l’heure de Google Earth, donnent la nausée à celui qui constate leur ampleur sur son écran d'ordinateur! Le choc est d’autant plus fort que le phénomène semble être à peu ignoré une fois revenu en ville, où certains ont tout de même une connaissance du phénomène grâce au documentaire de Desjardin, l’Erreur Boréale, mais où la plupart s’en désintéresse, ou n’y voit même pas de problème.
On doit aussi parler de la réalité de ces nations autochtones Cri, Mic’maq ou Innu, dont des membres éduqués dans les meilleures écoles nord-américaines (Raphaël Picard est diplômé de la Prestigieuse École nationale d'administration publique !) se battent sans grand succès pour développer sur les territoires ancestraux leur propres projets de développement, respectueux de l’environnement, qu’il s’agisse de foresterie ou d’énergie éolienne ou hydroélectrique.
La réalité du Plan Nord, c’est aussi des années de refus par le gouvernement Libéral d'accorder à ces Premières Nations de réelles opportunités de gestion des ressources naturelles, en se réfugiant derrière le principe de la "cogestion" de ces ressources, tant désirée par la Commission royale sur les peuples autochtones, et qui se résume trop souvent à la participation d'entreprises autochtones dans des activités de déboisement. Cela fait huit ans que je travaille à leurs côtés pour développer ces projets, et cela fait malheureusement autant d'années que ces derniers sont trop souvent refusés dans les processus d'appel d'offre successifs. Les critères de sélection d'Hydro-Québec ne laissent que peu de place à des projets d'envergure de propriété à majorité autochtone (on leur a certes donné l'opportunité de développer des "petits projets" qui intéressent bien peu de partenaires financiers car trop compliqués pour leur taille). Donnons leur la chance (et aidons-les) de démontrer qu'ils sont eux aussi capables de gérer des investissements de plusieurs centaines de millions de dollars et arrêtons de les rabaisser au rang de "petits développeurs" !
Jean-Marie Heurtebize, ENP-7505, Automne 2011, Lundi soir