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La nomination des juges au Québec un accroc dans le processus ?

Josée Morin, ENP7505 (mardi pm)

Trois pouvoirs distincts d’origine constitutionnelle articulent le fonctionnement de l’État : le législatif qui met les lois à exécution, l’exécutif qui conçoit les lois et le judiciaire qui les applique.  Ces trois pouvoirs de l’État doivent demeurer séparés. Cependant, selon le rapport de la Commission d’enquête sur le processus de nomination des juges du Québec présidée par l’ancien juge de la Cour suprême Michel Bastarache, cela ne semblait pas être le cas. Rappelons que cette Commission, créée en avril 2010 par le gouvernement fédéral, devait faire la lumière sur les allégations de l’ancien ministre de la Justice du Québec Marc Bellemare de financement politique douteux et de trafic d’influence lors du processus de nomination des juges[1].

Près d’un an s’est écoulé depuis que le premier ministre Jean Charest s’est présenté devant cette Commission d’enquête.  Le rapport remis en janvier 2011 concluait que le processus de nomination était « perméable aux interventions et influences de toutes sortes, qu’il s’agisse de démarches de députés, de ministres, de membres de partis politiques, d’avocats, ou des candidats eux-mêmes »[2].  Des conclusions qui ont ébranlées la confiance du public et qui ont remis en cause l’équilibre démocratique de notre société.

Dès lors, le gouvernement devait agir et procéder à des modifications en tenant compte des recommandations du rapport Bastarache s’il voulait regagner les liens de confiance entre le public et l’État.  C’est ainsi que le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier a mis en place, en février 2011 des mesures temporaires pour améliorer le processus de nomination des juges dans l’attente d’un nouveau règlement.  Ce nouveau règlement sur la procédure de sélection des candidats au poste de juge présenté en septembre 2011 par le ministre Fournier viendra-t-il mieux garantir l’intégrité du processus ?

Dans un État de droit, le choix d’un nouveau juge traduit aussi le choix d’une vision de la société, de la justice, des institutions et de l’État d’où l’importance de s’assurer que le processus qui entoure ce choix soit transparent, pour pouvoir être évalué par les citoyens, et qu’il soit aussi étanche aux infiltrations politiques. La transparence va aussi de pair avec la justification publique du processus lui même et des décisions qui en émanent.

En vertu du nouveau règlement, l’abolition de la banque de candidatures et une circulation très restreinte des noms retenus ainsi que l’augmentation des critères de sélection amélioreront grandement la transparence du processus[3].  De plus, le nouveau règlement prévoit la diffusion de l’information sur un site Internet ainsi que le dépôt d’un rapport annuel pour faire connaître l’évolution de la situation sur les nominations.  Cette modification du règlement représente en fait une forme de reddition de compte du gouvernement face aux citoyens.

Par ailleurs, des modifications au règlement amèneront une plus grande étanchéité aux infiltrations politiques. En effet,  «le nom des candidats, le rapport du comité de sélection, la liste des candidats proposés ainsi que les documents se rattachant à une candidature » seront confidentiels.  Les candidats devront s’engager par écrit à n’exercer aucune influence directe ou indirecte en vue de leur nomination et à préserver la confidentialité de leur candidature.  Le premier ministre ne pourra plus avoir accès à la courte liste de candidats.  Le choix du ministre ira directement au Conseil des ministres mais le ministre de la Justice doit informer le premier ministre de sa recommandation et ce, en vertu du principe de responsabilité ministérielle.  Selon le nouveau règlement, le ministre de la Justice sera lui aussi lié par la confidentialité et il ne pourra consulter que le sous-ministre ou les responsables du comité sans parler au premier ministre ce qui vient minimiser les risques d’ingérence politique dans ce nouveau processus.

Maintenant, à la lumière du processus de nomination des juges au Québec, examinons ce qu’est plus précisément la fonction judiciaire.  Dans un État de droit, cette fonction est gouvernée par de grands principes fondamentaux dont les plus importants sont la primauté de droit, l’égalité devant la loi, l’impartialité et l’indépendance[4]. Ces principes sont assurés constitutionnellement.  En ce sens, le rôle des tribunaux est essentiel pour garantir le respect des lois auxquelles tous sont assujettis de manière efficace et impartiale. Si un gouvernement veut maintenir la confiance du public envers la magistrature il doit s’assurer que ces principes fondamentaux sont respectés.

La fonction judiciaire permet de faire contrepoids à certaines décisions gouvernementales en particulier, au Canada et au Québec, avec le pouvoir que la Charte des droits et libertés de la personne confère aux magistrats.  Rappelons que l’article 10 de la Charte québécoise des droits et libertés interdit la discrimination sur la base de convictions politiques. Si un processus de nomination des juges est politisé il ne respecte pas la règle de droit tel qu’on la conçoit dans une société libre et démocratique et cela va à l’encontre de la primauté du droit, « principe fondamental de droit britannique en vertu duquel tous les individus sont égaux devant la loi »[5]. 

Dans un processus de sélection de candidats au poste de juges, il est primordial qu’il n’y ait aucune nomination partisane même si ces juges sont compétents. Il est heureux de constater que le nouveau règlement prévoit que l’allégeance politique ne pourra plus être considérée dans l’évaluation du dossier d’un candidat ni par le comité de sélection, ni par le ministre de la Justice.

La Justice faisant partie de l'État, seule son indépendance à l'égard des pouvoirs législatif et exécutif est en mesure de garantir son impartialité dans l'application des normes de droit. Il va sans dire que le processus de nomination des juges est directement lié au principe d’indépendance judiciaire et qu’il revêt une grande importance.  Les juges sont des citoyens qui rendent d’importantes décisions qui ont un impact certain sur l’avenir d’une société.

Au cours des dernières années, le problème de l’indépendance judiciaire en matière de justice administrative au Québec semble notamment relié aux conditions de nomination de certains juges, ainsi qu’aux modalités et règles qui régissent le renouvellement de leurs mandats[6]. L’indépendance du pouvoir judiciaire est une composante nécessaire d’un régime démocratique et libéral. Cette indépendance permet de juger de manière impartiale les actes commis par l'État ou un gouvernant. En effet, les tribunaux sont entre autres amenés à juger si l’action gouvernementale respecte le cadre constitutionnel et les lois en vigueur et ils ne peuvent accomplir leur rôle si les juges sont d’une façon ou d’une autre soumis à la tutelle ou à l’influence du gouvernement[7]. Cette indépendance du pouvoir judicaire vient aussi du fait que les juges rendent leur décision, sur la base des textes de loi dont ils ne sont pas à l'origine, exception faite de la jurisprudence.

Voilà pourquoi le choix d’un juge doit être encadré par un processus rigoureux et intègre afin de s’assurer de leur impartialité et de leur indépendance judiciaire.  Le nouveau règlement prévoit que le comité de sélection sera maintenant composé de cinq membres (un juge nommé par le juge en chef, un avocat et un juriste qui ne plaide pas nommés par le Barreau et deux membres du public) plutôt que trois et la formation de ce comité sera améliorée.  Parmi les critères de sélection d’un candidat, des éléments qui tiennent compte d’expériences humaines, sociales et communautaires variées pourront être ajoutés. Aussi, on s’assurera d’une plus grande représentativité des femmes et des communautés culturelles au sein du comité de sélection et les représentants du public seront nommés par l’Office des professions du Québec.  Ces changements sont des facteurs qui renforceront la confiance de la population en plus de tenir compte du pluralisme de la société québécoise.

Pour conclure, le nouveau règlement sur la procédure de sélection des candidats au poste de juge propose des améliorations marquées.  Cette réforme du processus augmentera-t-elle la confiance du public dans la qualité de la magistrature et son indépendance ?  La confiance des citoyens envers l’institution publique de toute première importance qu’est le système judiciaire sera-t-elle accrue ?

L’avenir nous le dira mais les changements proposés devraient répondre à l’appel du public à l’effet qu’il y ait une plus grande transparence et une plus grande étanchéité aux influences politiques dans le processus de nomination des juges. Comme tout processus est perfectible on peut espérer tel que le mentionnait le bâtonnier du Québec, Me Louis Masson, que ce processus en sera un d’amélioration continue et que d’autres modifications y seront apportées au fur et à mesure que les besoins se feront sentir.

 



[1]http://www.radio-canada.ca Radio-Canada.ca, 23 septembre 2011

[2] Rapport de la Commission d’enquête sur le processus de nomination des juges, janvier 2011

[3]http://www.barreau.qc.ca Communiqué de presse du Barreau du Québec, 23 septembre 2011

[4] Michaud, Nelson (2011). Secrets d’État ? Les principes qui guident l’administration publique et ses enjeux contemporains, p. 195

[5]Ibid, page 196

[7]Maclure, Jocelyn, professeur agrégé, Université Laval, Rapport soumis à la Commission d’enquête sur le processus de nomination des juges du Québec, 7 septembre 2010

 

 

 

Commentaires

  • Le processus de nomination des juges devrait être d'autant plus dénué de considération politique en ce qui concerne les juges administratifs.

    En 1996, avec l'adoption de la loi sur la justice administrative, et donc l'institution du Tribunal administratif du Québec, on a voulu créer un tribunal spécialisé où siège entre autre médecin et avocat, et qui serait plus proche de la population.

    La confiance d'une personne envers l'État sera vraiment mis à l'épreuve lorsque celle-ci sera confronté à un problème avec l'administration publique. Les immenses machines que sont la SAAQ, la CSST, la Régie des rentes du Québec et le Ministère de l'emploi de la solidarité sociale rendent des décisions qui touchent les gens directement dans leur vie quotidienne. Il ne faut donc pas prendre à la légère la nomination de ces juges qui, au lieu de statuer sur des litiges commerciales de plusieurs milliers de dollars, offrent plutôt une ultime chance à l'administré de faire sa preuve et de demander que justice soit faite sur des décisions qui le touchent intimement.

    On ne devrait pas tolérer, dans ces circonstances, un iota de considération partisane dans le processus de nomination. Ces décideurs devront se pencher à tous les jours sur des décisions qu'ont rendu l'exécutif qui les a nommés. Il en va de la confiance de la population envers le système judiciaire, mais également envers l'administration publique en général.

  • Bravo encore et encore Josée pour oser un commentaire public sur une question d'actualité pour faire voir des principes d'administration publique concrets.
    N'oublions pas de s'assurer une copie-papier dans les cahiers réservés à cette fin.
    Ceci s'applqiue aussi pour les "commentateurs" de Josée.
    Et bientôt ...de la correction, au sens d'examen de la copie !
    Prof - dimanche le 23 octobre

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