Les remèdes au réseau de la santé
Voici un article intéressant sur les remèdes au système de santé publié ce jour par Karima Elkouri de la presse du 4 octobre 2010. Le débat est ouvert
Comment régler les problèmes de gestion en santé? J'ai posé cette question injuste à Henry Mintzberg, considéré comme un des penseurs les plus influents dans le domaine de la gestion.
L'an dernier, le Wall Street Journal a classé Henry Mintzberg au neuvième rang des grands penseurs dans l'univers du management. Et à en juger par l'accueil qu'il a reçu la semaine dernière au congrès mondial des ressources humaines, ce Montréalais est une véritable rock star dans son domaine. Il fallait voir la file d'admirateurs enthousiastes, appareil photo à la main, qui l'attendaient au Palais des congrès pour une séance de signature. En moins de cinq minutes, j'ai vu se ruer vers lui une centaine de fans d'ici et d'ailleurs, du Danemark, de la France, de la Belgique, de l'Uruguay, de la République dominicaine...
Entre deux signatures et trois flashes, j'ai demandé à M. Mintzberg, qui dirige à McGill un programme international destiné aux gestionnaires en santé1, de trouver un remède aux maux du système de santé québécois. Bref, je lui ai demandé l'impossible, ce qui n'a pas semblé trop le déranger. Son dicton préféré, placé bien en vue sur la page d'accueil de son site web: «J'y crois parce que c'est impossible.»
Si M. Mintzberg n'avait qu'une prescription à faire pour régler les problèmes du réseau de la santé, quelle serait-elle? Insuffler du respect, a-t-il répondu. «Il faut respecter les professionnels. Mais les professionnels doivent aussi respecter l'administration.»
Les principes que prône Mintzberg sont au fond assez simples. Plutôt que de miser sur des «leaders héros», les organisations ont besoin de créer un esprit de communauté, plaide-t-il. Le leadership doit émaner de la communauté. Sans cela, chacun agira selon ses propres intérêts sans se préoccuper de l'amélioration de l'ensemble de l'organisation.
C'est ce qu'on voit dans le réseau de la santé. Beaucoup de bureaucratisme. Beaucoup d'affrontements. Des enjeux complexes. Et des réorganisations au bout desquelles des patients en prennent pour leur rhume et des travailleurs de la santé se retrouvent démotivés.
Est-ce pire ici qu'ailleurs? Mintzberg, qui publiera bientôt un livre sur la gestion des systèmes de santé dans le monde, ne le croit pas. «On a le pire de tous les systèmes du monde, à l'exception de tous les autres! En d'autres termes, tout le monde a le pire système de santé du monde. En Italie, les gens étaient tellement contre leur système, on se disait: mais où est l'Italie dans les classements de l'OMS? Au deuxième rang, juste après la France!»
Ce qui ne veut pas dire qu'il faille fermer les yeux sur les ratés du système québécois. Selon Mintzberg, une gestion davantage orientée vers ce qui se passe sur le terrain - à l'opposé de la gestion dysfonctionnelle à distance mise en place avec la création des CSSS - s'impose. «Si on veut avoir une bonne coordination et une bonne collaboration, il faut qu'on le fasse sur le terrain. Pas dans la hiérarchie», dit-il. Les solutions viendront des gens qui connaissent parfaitement leur environnement de travail, pas des patrons assis dans des bureaux.
Concrètement, ça donne quoi? J'en ai parlé avec le Dr Michael Malus, chef du service de médecine familiale à l'Hôpital juif, qui a suivi en 2007 le programme du professeur Mintzberg. Il en a tiré des leçons de gestion plus humaine, plus créative et plus efficace, qui lui ont permis notamment d'accroître sa capacité d'accueil de patients de 25%. Des leçons qui l'ont amené aussi à rencontrer un à un tous les employés qu'il dirige au centre de médecine familiale Herzl, des médecins aux infirmières en pensant par les réceptionnistes. Il leur a demandé ce qu'ils aimaient de leur travail, ce qu'ils n'aimaient pas. Il a ainsi pu mettre le doigt sur certains problèmes d'organisation tout en montrant à ses employés qu'ils comptaient pour lui.
Le Dr Malus a ensuite réalisé qu'il manquait un élément essentiel au portrait: le point de vue des patients. «On ne demande jamais leur avis!» Pas normal. On a fait circuler un questionnaire dans la salle d'attente, on a formé un comité de patients. Cela a permis de déterminer les 10 principaux irritants et de leur trouver un remède. Ces remèdes ne sont pas nécessairement très coûteux. Prenez cette idée toute simple mise en place pour éviter une attente désagréable de trois heures à l'hôpital: on prête au patient, s'il le veut, un téléavertisseur. Quand c'est son tour, on l'appelle. Coût du téléavertisseur: 3,50$ par mois. Bénéfice: inestimable.
Cette gestion basée sur la communication et la coordination sur le terrain semble être d'une grande simplicité. Mais dans les faits, elle suppose une révolution dans le réseau de la santé, croit M. Mintzberg.
Petite suggestion de lecture pour les gestionnaires prêts pour la révolution: la collègue Jacinthe Tremblay publie justement ces jours-ci un livre d'entretiens avec Henry Mintzberg2. Un chapitre trop court, mais fort éclairant, est consacré à la gestion de la santé. Extrait choisi: «Les systèmes de santé ne sont pas en crise. Ils ont des problèmes, c'est évident, mais plusieurs d'entre eux viennent précisément de leur succès. C'est leur administration qui est en crise.» À bon entendeur...
1. International Masters for Health Leadership.
2. Jacinthe Tremblay. Entretiens avec Henry Mintzberg. Curieuse limitée, 2010.
Commentaires
Voila mon avis un article a méditer par les gestionnaires du réseau de la santé. Il nous rappelle que seule la communauté des professionnelles qui travaille sur le terrain peut faire face aux défis qui se posent au systeme comme le vieillissement, l'explosion des coûts de médicaments, les besoins de plus en plus grands des usagers,...Ce sont les gens de terrain qui sont capables d'insufler un nouveau rythme avec évidemment l'encadrement nécessaire. L'avantage du terrain c'est leur connaissance de la clientèle....Dans les bureaux on travaille sur du théorique et sur des prévisions,...sur le terrain, on touche et traite les vrais problèmes. Il est temps de remettre le patient au centre des débats et le créer un leadership de la communauté des professionnels
On va lire ça avec grand grand intérêt. Proftrudel
Quand j’ai lu cet article de Karima Elkoury dans le journal du 4 octobre, je l’ai découpé et l’ai mis sur mon babillard au bureau, à côté d’un article où un journaliste citait Nelson Mandela pour parler de l’humilité des leaders de ce monde.
Quand Mintzberg dit: «J'y crois parce que c'est impossible.», il nous parle ici de l’espoir de faire les choses autrement. Nous sommes actuellement dans un système où la créativité et le faire autrement ne sont pas toujours bienvenus. Je n’en reviens pas de voir comment le pouvoir s’exerce par le contrôle et presque uniquement cela (redditions sous toutes ses formes). Les commandes partent d’en haut et la pseudo consultation se révèle souvent être une propagande d’un projet à faire passer rapidement. Quand Mintzberg parle d’insuffler du respect mutuel entre les professionnels et l’administration, je suis bien d’accord. Je crois qu’il faut que ça démarre d’en haut, nous devons être vrai et honnête et dire ce qui se passe. La solution se retrouve souvent dans le problème. Seulement faut-il l’écouter. Si on se référait davantage à la créativité des gens sur le terrain on verrait qu’ils sont volontaires et désirent sincèrement que les choses aillent biens. Ils ont souvent la solution. Je crois que tout le monde a oublié la raison pour laquelle il est là : le patient, le client, l’usager…la personne en demande d’aide et qui par surcroît, nous paye (taxes).
«Si on veut avoir une bonne coordination et une bonne collaboration, il faut qu'on le fasse sur le terrain. Pas dans la hiérarchie», di Mintzberg. Les solutions viendront des gens qui connaissent parfaitement leur environnement de travail, pas des patrons assis dans des bureaux». Cette gestion basée sur la communication et la coordination sur le terrain semble être d'une grande simplicité. Mais dans les faits, elle suppose une révolution dans le réseau de la santé, croit M. Mintzberg»
C’est quand même ahurissant de constater que le gros bon sens soit appelé : la révolution. Je cherche ces gestionnaires un peu fous, prêts à la révolution. Si vous connaissez un établissement où on résiste encore et où on croit à un monde meilleur, dites-le moi. La dernière fois où j’ai essayé de voir les choses autrement on m’a traitée d’idéaliste, en riant. Faut-il aller travailler dans les établissements publics anglophones pour retrouver le gros bon sens? Faut-il quitté pour le système privé ?
Merci Malika de m’avoir permis de m’exprimer ainsi. Si tu as été touchée par cet article et que tu as jugé bon de le diffuser, c’est que tu es un peu «folle» aussi ou du moins «idéaliste».
Je suis très heureuse que l'article de Rima Elkouri et les passages de mon livre Entretiens avec Henry Mintzberg alimente des échanges dans ce carnet. Je me permets un peu d'auto-promotion en vous invitant à vous procurer Entretiens avec Henry Mintzberg car ses réflexions sur le travail des gestionnaires, sur la gestion, ses dérives mais également d'autres pistes de « révolution » sauront certainement vous intéresser. Mintzberg tient, entre autres, des propos sur les cadres intermédiaires qui se démarquent des discours dominants sur le leadership.
Merci beaucoup Manon, j'ai lu avec intérêt ton commentaire. Pour répondre à ta question, oui, je pense que je suis "folle" comme toi, effectivement, je suis une idéaliste. Le réseau de la santé me tient à coeur...
Malika
Le système de santé est lui-même malade, il souffre à son tour de plusieurs maux et pour calmer ses maux les gestionnaires de réseau de santé doivent intervenir et prendre une nouvelle stratégie en impliquant tous les acteurs concernés par ce problème et comme Mintzberg dit:
" Il est très difficile de changer une organisation du travail si vous ne connaissez pas de façon intime le métier. Les administratifs de la santé ne peuvent comprendre qu’avec énormément de difficultés ce qui se passe chez les cliniciens. Cela ne veut pas dire qu’il faut laisser faire les cliniciens. Cela veut dire qu’il faut les amener à prendre eux-mêmes en charge le problème. "