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Projet de loi 10 — comment se définit l’efficience et comment la mesure-t-on?

Depuis le 7 avril 2014, l’administration Couillard s'affaire à grand coup de réformes à revigorer les institutions publiques dans un but d'efficience. Bien que cet objectif soit des plus louables dans une société au déficit vertigineux (270 milliards en 2014, selon l’Institut économique de Montréal) (1), on est en droit de questionner sérieusement les intentions réelles du gouvernement derrière les changements majeurs dans les organismes publics, particulièrement dans le cas de la réforme du système de santé. L’efficience pour le gouvernement libéral semble passer par la centralisation de l’exercice du pouvoir dans les mains de l’exécutif, au détriment des pouvoirs locaux.

Les médecins montent aux barricades depuis le début de la commission parlementaire sur le projet de loi 10, qui vise « l'organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l'abolition des agences régionales » par « l'intégration [...] des services de santé et des services sociaux, la création d'établissements à mission élargie et l'implantation d'une gestion à deux niveaux hiérarchiques ». (2) Cité dans Le Devoir en date du 21 octobre 2014, le président-directeur général du Collège des médecins du Québec (CMQ), le Dr Charles Bernard, compare cette réforme à « un train de 19 wagons avec une seule locomotive, le ministère, et un seul mécanicien, le ministre » se demandant « Mais où va le train ? ». (3)

Cette réforme, décriée entre autres par la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) — duquel est issu le ministre de la Santé Gaétan Barrette — représente selon eux une « appropriation ministérielle des pouvoirs » (4). À l’heure où les finances publiques doivent être resserrées, la solution du gouvernement Couillard réside dans une plus grande concentration du pouvoir dans les mains du ministre de la Santé. Qu’on se le tienne pour dit.

Pourtant, tous les professionnels de la santé s’inquiètent de l’impact de cette réforme sur l’accessibilité aux soins et la qualité de ceux-ci. Appuyant leurs dires, les spécialistes de l’administration publique Hage et Aiken œuvrant dans les années 70 affirmaient que « la recherche d’une plus grande efficience n’est pas favorable au changement dans la mesure où les innovations dans les programmes s’orientent d’abord vers des améliorations de leur qualité et non pas de leur efficience. » (5)

Alors, pourquoi s’engager sur une pente que tous les intervenants concernés jugent glissante pour la qualité des soins à la population et l’accès à ceux-ci, problématiques depuis déjà des années? On peut sincèrement se demander si le but de cette réforme n’est pas simplement de centraliser les pouvoirs pour mieux contrôler le fameux train du système de santé. On sait déjà que les dépenses dans ce domaine sont appelées à augmenter de façon exponentielle dans les prochaines décennies faute au vieillissement de la société québécoise. (6) Si le but était réellement l’efficience, on aurait rédigé ce projet de loi en collaboration avec les groupes de la société concernés par la réforme, comme cela s’est fait au Brésil. On mettrait aussi en place des mécanismes pour éviter que le système ne soit ébranlé après chaque élection provinciale. On serait déjà sur la voie d’une plus grande efficience.

Faisons un petit saut dans le temps. Avec son Plan stratégique pour 2010-2015 du ministère de la Santé et des Services sociaux, le ministre libéral de la Santé de l'époque, Yves Bolduc, faisait l’apologie des services dispensés localement par le biais des centres de santé et de services sociaux (CSSS) et des réseaux locaux de services (RLS) mis en place par Philippe Couillard en 2003, alors ministre de la Santé en 2003 (7). Le ministre Barrette met la hache dans tout cela, afin de réduire les dépenses de 220 millions par année.

Doit-on en déduire que pour les libéraux l’efficience en 2014 se mesure en dollars nets économisés chaque année? La question se pose alors: qu’en coûtera-t-il indirectement en dédoublement de travail, en réorganisation, en poursuites (car il y en aura) et autres dommages collatéraux? À combien les 220 millions en économies annuelles se chiffreront-ils finalement? Le ministre Barrette qui semble tenir ferme à ce concept d’efficience pourrait-il nous éclairer à cet effet?

À force de vanter les mérites de changements structurels profonds dans nos organismes publics, on finit par se concentrer uniquement sur la forme et plus du tout sur le fond. Le projet de loi décrit assez ce qui sera fait; on ne peut toutefois en dire autant des résultats attendus et des impacts pour la population. Quelles sont les attentes en ce qui concerne le système de santé? A-t-on fixé des objectifs précis en vertu desquels cette réforme est proposée? À part une économie hypothétique de 220 millions par année, comment mesurera-t-on les améliorations à prévoir dans l’accessibilité aux services? Personne n’a jugé bon de se poser ces questions.

De plus, le projet de loi 10 ne semble basé sur aucun mécanisme d’évaluation du système de santé. Bien qu’officiellement, l’évaluation des programmes ne fasse pas partie des mécanismes de reddition des comptes, celle-ci est déterminante dans le processus de décision. Le premier ministre Philippe Couillard avait d’ailleurs proposé dans sa plate-forme électorale l’instauration d’une commission permanente d’évaluation à laquelle tous les programmes seraient soumis. (8) Aujourd’hui, force est de constater que ce principe était arbitraire puisque le système de santé, accaparant la plus grosse part du budget provincial, n’aura pas bénéficié d’un tel exercice.  

Mais on ne peut reprocher au gouvernement libéral de ne pas se prêter au jeu politique dans l’adoption de sa réforme controversée. La commission parlementaire sur le projet de loi 10 respecte parfaitement les principes démocratiques, à tout le moins en surface. Puisque précipité, le mécanisme de consultation donne l’avantage au ministre. Interrogés par les médias la semaine dernière, de nombreux groupes disaient ne pas avoir eu suffisamment de temps pour préparer leurs arguments, ayant reçu leur convocation quelques jours avant leur comparution (9). Peut-on soupçonner que cet empressement du gouvernement libéral a pour but d’éviter d’avoir à exposer les possibles lacunes dans la réflexion derrière ce projet de loi?

Laetitia Montolio

 

 

Sources

 

(1) Institut économique de Montréal. Compteur de la dette québécoise. (En ligne), http://www.iedm.org/fr/57-compteur-de-la-dette-quebecoise (Consultée le 21 octobre 2014)

 (2) Projet de loi 10 : fusion de 27 agences et établissements dans l’Est, Ici Radio-Canada,27 septembre 2014, (en ligne), http://ici.radio-canada.ca/regions/est-quebec/2014/09/25/008-reforme-sante-fusions-est-quebec.shtml (Consultée le 20 octobre 2014)

 (3) DAOUST-BOISVERT, Amélie. Fronde des médecins contre la réforme Barrette, Le Devoir, 21 octobre 2014, (en ligne), http://www.ledevoir.com/societe/sante/421635/fronde-des-medecins-contre-la-reforme-barrette (Consultée le 21 octobre 2014)

 (4) Idem

 (5) HAGE et AIKEN (1970) dans GORTNER, Harold, Julianne MAHER et Jeanne NICHOLSON (1993), La gestion des organisations publiques, p. 150

 (6) GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. Santé et services sociaux Québec. Plan stratégique 2010-2015 du ministère de la Santé et des Services sociaux, Édition La Direction des communications du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2010, p. 13

 (7) Idem, p. 15

 (8) PARTI LIBÉRAL DU QUÉBEC. Cadre financier — Élections générales, 18 mars 2014, (en ligne) http://www.plq.org/fr/article/cadre-financier-elimination-graduelle-de-la-taxe-sante-un-gouvernement-dirige-par-philippe-couillard-realisera-un-surplus-budgetaire-des-2015-2016 (Consultée le 27 octobre 2014)

 (9) GENTILE, David. Départ boiteux pour la commission parlementaire sur les fusions en santé, Ici Radio-Canada, (En ligne), http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2014/10/17/002-fusion-etablissements-sante-commission-parlementaire-sans-medecins-specialiste.shtml (Consultée le 23 octobre 2014)

Commentaires

  • La centralisation des pouvoirs semble effectivement l'objectif réel sous-tendu dans ce projet de loi. En tant que professionnelle œuvrant dans le réseau de la santé, je suis très inquiète des impacts que pourront avoir cette loi sur la qualité des soins aux patients. Comment des "monstres" comme les futurs 28 CISSS du Québec pourront gérer efficacement ce qui était auparavant gérer par 200 CSSS? Comment sera-t-il possible d'offrir des soins et services adaptés aux différentes clientèles avec un mode de gestion centralisé et aussi loin de la population?
    Aussi, le mode de nomination des directions générales et des conseils d'administration risque de devenir partisan plutôt que par compétence, ce qui aurait dans doute pour effet de faire perdre de l'efficacité et de l'efficience au système de santé, ce qui est pourtant l'objectif prétendument visé par ce projet de loi.

  • Il est vrai que dans son ensemble le projet de loi 10 est très controversé. En revoyant ainsi la structure de notre système de santé le gouvernement Couillard semble croire qu’il a trouvé LA solution à sa déficience. Cependant les problèmes risquent d’augmenter en éloignant ainsi l’usager de la solution.

    En nommant un bon nombre des membres des CA, Barrette veut s’assurer d’avoir une main mise sur l’application de sa réforme et ainsi essayer de contrôler la dérive statique de trop de CA mal composé. Bien que je ne crois pas à la centralisation décisionnelle, je pense que le système de santé au Québec a besoin d’un exercice de contrôle drastique en ce moment si on veut arriver à le rendre un jour efficient. Pour une période transitoire uniquement, je pense que le ministère de la santé doit avoir un regard plus efficace au sein de la gouvernance.

    Enfin peu importe les réformes qui seront faites si les acteurs principaux n’entrent pas en jeu, les médecins, on s’en va directement dans un cul-de-sac.

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