Ebola ou la faiblesse des administrations publiques en Afrique de l'Ouest
Ebola ou la faiblesse des administrations publiques en Afrique de l'Ouest
À l'heure où la crise de l'Ebola traverse les frontières de l'Afrique de l'Ouest avec l'apparition du premier cas aux États-Unis, on réalise de plus en plus que la bataille est loin d'être terminée et on ne peut que constater le rôle clé des administrations publiques nationales dans la prévention des épidémies telles que celle-ci.
Qu'est-ce que le virus Ebola?
L'Ebola est une fièvre hémorragique, souvent mortelle si elle n’est pas traitée. Les premiers symptômes peuvent facilement passer inaperçus: fatigue, douleurs musculaires, maux de tête, maux de gorge. Ces symptômes peuvent s'apparenter à ceux d'une "simple" crise de paludisme, pour laquelle peu de gens se déplaceront dans des institutions de soins de santé. Ils sont suivis de vomissements, de diarrhée, d’une éruption cutanée, de symptômes d’insuffisance rénale et hépatique et, dans certains cas, d’hémorragies internes et externes.
Le virus de l'Ebola peut être transmis à la suite de contacts directs avec des liquides organiques (sang, sperme, excréments) de personnes infectées, mais aussi par la sueur, ce qui, on le comprend, est particulièrement problématique sur le continent africain où les températures sont généralement très élevées. Il peut également se transmettre par le contact avec des surfaces contaminées (draps, vêtements, etc.). Il a donc un potentiel de propagation extrêmement rapide et particulièrement difficile à prévenir, y compris pour le personnel de soins de santé sur place. Les rites funéraires au cours desquels les parents et amis du défunt sont en contact direct avec la dépouille peuvent également jouer un rôle dans la transmission du virus Ebola. De plus, les personnes affectées restent contagieuses tant que le virus est présent dans leur sang et leurs liquides biologiques, y compris le sperme et le lait maternel, ce qui peut durer jusqu'à sept semaines après la guérison clinique.
Aucun médicament ni vaccin homologué n'existe contre ce virus pour le moment. Des essais cliniques ont lieu aux États-Unis pour un vaccin expérimental, efficace sur des singes, mais même si les résultats sont probants, ce vaccin ne sera pas prêt avant fin 2015.
Portrait de la situation
Il faut savoir que le virus de l'Ebola n'est pas nouveau : il existe depuis 1976 et plus de 25 éclosions avaient déjà eu lieu, de façon ponctuelle, à travers les années. Cependant, cette épidémie est la plus importante depuis l'apparition du virus. En effet, jusqu'à présent, on recense 7470 personnes infectées et près de 3500 décès (chiffres de l'OMS en date du 3 octobre 2014). En comparaison, la plus importante crise avant cela avait eu lieu lors de l'apparition du virus en 1976 et un peu plus de 600 décès y avaient été dénombrés. Selon l'OMS, la crise actuelle a produit plus de cas et de décès que toutes les précédentes flambées réunies, et ce, avant même que nous soyons parvenus à enrayer l'épidémie.
On constate actuellement le passage à une phase de progression exponentielle de la propagation du virus. Si 3000 cas de personnes atteintes avaient été dénombrés en six mois, on en compte presque autant seulement dans le dernier mois. Tout cela, sans compter que selon l'OMS, il y aurait de deux à quatre fois plus de cas effectifs que ceux qui sont officiellement déclarés. « Dès qu'on ouvre un nouveau centre de traitement, il se remplit immédiatement jusqu'à déborder, révélant un nombre de cas important, mais invisible jusque-là » (extrait d'un rapport de l'OMS au Liberia).
L'OMS a mis en garde la communauté internationale : en l'absence d'un renforcement significatif des moyens mis en œuvre, l'épidémie pourrait contaminer 20 000 personnes d'ici à novembre et, dans le pire des scénarios, jusqu'à 1,4 million de cas en janvier.
Trois pays sont particulièrement touchés: la Guinée, la Sierra Leone et le Libéria. Le Nigéria et le Sénégal ont également eu quelques cas, mais qui semblent jusqu'à maintenant être sous contrôle et rester une « transmission localisée ». Les frontières étant particulièrement perméables et les mesures de prévention inadéquates, c'est ainsi que le virus, qui avait commencé ses ravages en Guinée, s'est propagé dans les pays environnants.
L'Ebola et l'administration publique
La crise de l'Ebola a mis à nu la grande faiblesse des administrations publiques de la région ouest-africaine, et tout particulièrement celle de ses systèmes de santé. Les pays les plus touchés sortent à peine de longues périodes de conflits et d’instabilité qui ont gravement affecté l'état des administrations publiques nationales. L'appareil d'État étant un « produit de la société à un stade de son développement », on a pu constater que ces pays manquent cruellement d'une administration publique organisée qui dispose de moyens et de ressources afin de mettre en œuvre des politiques de prévention sanitaire et l'administration publique actuelle n'a malheureusement été que peu efficace face à cette crise.
Bien sûr, les constitutions nationales contiennent des clauses concernant la santé de leur citoyens et citoyennes. Par exemple, l'Article 15 de la Constitution de Guinée précise que « Chacun a droit à la santé et au bien-être physique. L'État a le devoir de les promouvoir, de lutter contre les épidémies et les fléaux sociaux ». Il en est de même en Sierra Leone, où l'on mentionne que l'État « shall direct its policy towards ensuring that there are adequate medical and health facilities for all persons » (Article 8.3 C). Cependant, sans les institutions requises pour faire respecter de telles clauses, elles ne servent pour le moment que de décorum.
Les systèmes de santé de ces pays manquent cruellement de ressources humaines, d'infrastructures et de ressources financières. Il est extrêmement difficile de recruter du personnel qualifié, les moyennes de scolarisation étant très basses et les formations professionnelles peu accessibles. Les infrastructures sont parfois quasi inexistantes et trop souvent désuètes et insuffisantes pour répondre aux besoins des populations locales, même hors de situations de crise comme celle-ci. En termes d'économie et de finances publiques, les gouvernements des pays en voie de développement font face au même défi que tous les gouvernements : les attentes sont grandes, et les moyens pour y répondre, limités. Cependant, ce défi est pour eux littéralement décuplé; les besoins sont immenses, et les moyens, ultra limités. Les administrations publiques peinent à entrer en contact avec leurs populations pour diffuser de l'information ou atteindre les malades: l'accessibilité y est un enjeu fondamental, dans des pays où les routes et les moyens de communication (téléphones, internet), par exemple, sont loin d'atteindre l'ensemble de la population. La faiblesse de l'administration publique se répercute jusqu'à avoir un impact sur la sécurité de ses fonctionnaires : faute d'avoir les moyens de mettre en œuvre des précautions anti-infectieuses strictes (et peut-être faute d'avoir eu de l'information à ce niveau?), les agents de santé de ces régions sont fréquemment infectés en traitant des cas d'Ebola.
En présence d'une crise sanitaire aussi importante, d'autres problématiques d'envergure émergent, menacent la sécurité des citoyens et citoyennes de ces pays et soulignent, encore une fois, la faiblesse des administrations. Par exemple, on craint à l'heure actuelle des pénuries alimentaires dans les pays en proie à l'épidémie: non seulement la main d'œuvre manque dans les champs en raison de décès ou de mises en quarantaine, en plus certains pays ont décidé de fermer leurs frontières ou leurs voyages aériens avec les pays touchés, ce qui nuit grandement à l'approvisionnement et réduit les possibilités de recevoir de l'aide alimentaire. De plus, on craint pour la stabilité de cette région, et particulièrement pour celle des pays touchés. Le Liberia et la Sierra Leone, qui sortent à peine de longues années de guerres civiles, sont malheureusement encore très vulnérables aux tensions internes et, face à la fragilité des gouvernements en ce temps de crise, une reprise des conflits armés reste à craindre.
Face à l'épidémie, les mesures de santé publique ont donc été insuffisantes dès le départ faute de moyens, et sachant pertinemment l'absence de ressources financières des pays touchés, la communauté internationale aurait très certainement dû agir dès l'apparition des premiers cas, en mars dernier. Malgré les appels répétés des organisations telles que Médecins sans frontières et les sociétés de la Croix-Rouge, elle a pourtant fait la sourde oreille jusqu'à ce que la situation devienne une potentielle menace pour les pays occidentaux. C'est ainsi qu'il y a peu de temps, l'Organisation des Nations Unies (ONU), l'administration publique internationale par excellence, et son Conseil de Sécurité ont voté à l'unanimité une résolution déclarant que l'épidémie d'Ebola constitue une « menace pour la santé et la sécurité internationale », et une mission spéciale a été établie pour tenter de résorber la crise. Trop peu, trop tard...
L'Ebola dans les pays occidentaux
Dans les pays occidentaux, l'épidémie a peu de chance d'avoir de graves répercussions. Médecins sans frontières Luxembourg rassurait ses citoyens et citoyennes sur la probabilité d'une épidémie d'Ebola au Luxembourg :
« Comme notre système de soins de santé et notre administration publique fonctionnent bien, toute personne contaminée par le virus Ebola au Luxembourg serait immédiatement dépistée, mise en quarantaine et traitée. Et grâce à la qualité des soins, les chances de survie du malade seraient élevées. Les personnes susceptibles d’avoir été contaminées feraient l’objet d’un suivi étroit. L’épidémie serait donc tuée dans l’œuf. »
Il en est de même au Canada et au Québec, où d'importantes mesures ont été prises afin de dépister et prévenir la propagation éventuelle du virus. Des plans d'action et des stratégies ont été mises en place dans nos institutions, de la formation a été dispensée, et il y a donc très peu de chances que l'épidémie ait des répercussions importantes à l'échelle nationale.
Face à la différence colossale des impacts de l'épidémie en Afrique de l'Ouest et dans les pays occidentaux, on constate clairement le rôle crucial des administrations publiques dans le bon fonctionnement des États, et d'autant plus dans la prévention sanitaire et épidémiologique.
Conclusion
Il est de notre responsabilité d'agir pour soutenir les pays les plus touchés par l'épidémie, et j'espère que nos gouvernements prendront la mesure de la gravité de la situation et agiront en conséquence.
« Ebola : un virus, deux façon de mourir », titrait le Courrier international en août dernier.
Certainement, on le constate avec ce malade aux États-Unis qui attire tous les regards, tandis qu'on ne parle plus beaucoup de ces milliers de morts dans les pays les plus touchés.
Certainement, on le constate lorsque l'on voit qu'au moindre soupçon, le personnel de soins de santé international est rapatrié et, bien souvent, traité avec des remèdes expérimentaux disponibles dans les pays occidentaux. Pendant ce temps, localement, les agents de santé n'ont, bien entendu, pas ces recours en cas de contagion. Et les patients non plus...
Ariane Sylvain-Salvador
Sources :
1 Organisation mondiale de la santé (page consultée le 3 octobre 2014). Maladie à virus Ebola : informations générales, [en ligne] : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs103/fr/
2 GAGNON, Lysiane (page consultée le 2 octobre 2014). Ebola, la peste moderne, [en ligne] : http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/lysiane-gagnon/201410/01/01-4805437-ebola-la-peste-moderne.php
3 Organisation mondiale de la santé (page consultée le 3 octobre 2014). Ebola response roadmap update, [en ligne] : http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/135765/1/roadmapupdate3oct14_eng.pdf?ua=1
4 Radio-Canada (page consultée le 3 octobre 2014). L'évolution de l'épidémie d'Ebola en 3 questions, [en ligne] : http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/science/2014/09/19/003-evolution-epidemie-ebola-questions-reponses-yanick-villedieu.shtml
5 Radio-Canada (page consultée le 30 septembre 2014). Le monde « perd la bataille » contre l'Ebola, selon MSF, [en ligne]: http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/international/2014/09/02/009-onu-msf-afrique-ebola-guinee-liberia-sierra-leone.shtml
6 MERCIER, Jean (2002). L’administration publique : de l’École classique au nouveau management public, Sainte-Foy, PUL, 518 p., ISBN 2763778313.
7 Organisation internationale du travail (page consultée le 3 octobre 2014). Constitution de la République de Guinée, [en ligne]: http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_protect/---protrav/---ilo_aids/documents/legaldocument/wcms_127006.pdf
8 Gouvernement de Sierra Leone (page consultée le 3 octobre 2014). The Constitution of Sierra Leone, [en ligne] : http://www.sierra-leone.org/Laws/constitution1991.pdf
9 Le Monde (page consultée le 18 septembre 2014). Ebola menace la paix et la sécurité internationales, déclare le Conseil de sécurité, [en ligne] : http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/09/18/ebola-menace-la-paix-et-la-securite-internationales-declare-le-conseil-de-securite_4490388_3244.html
10 Médecins sans frontières Luxembourg (page consultée le 3 octobre 2014). L'Ebola au Luxembourg, [en ligne] : http://www.msf.lu/thematiques/maladies/ebola/ebola-au-luxembourg.html
11 The Globe and Mail (page consultée le 3 octobre 2014). Ebola: What Canada is doing to prepare, [en ligne]: http://www.theglobeandmail.com/life/health-and-fitness/health/ebola-how-the-texas-case-is-being-contained-and-what-canada-is-doing-to-prepare/article20886115/
12 Courrier international (page consultée le 13 septembre 2014). Ebola : un virus, deux façons de mourir, [en ligne] : http://www.courrierinternational.com/dessin/2014/08/13/ebola-un-virus-deux-facons-de-mourir
13 The Daily Vox (page consultée le 3 octobre 2014). Caricature « Ebola Fatalities », [en ligne]: http://www.thedailyvox.co.za/
14 Arthur Bok (page consultée le 3 octobre 2014). Caricature « Ebola », [en ligne]: http://bokbluster.com/
Commentaires
Je suis obligée de commenter avec un peu de passion. Ce malade au Texas, Thomas Eric Duncan est mort d' Ebola...aux USA. Ce n'est pas dans ce même pays qu'on avait pu soigner les deux américains, qui eux ont survécu????
Thomas Eric a été renvoyé de l'hôpital la première fois sans aucune analyse ou précaution particulière?
A qui la faute?? Peut-être n'avait-il pas d'assurance maladie....oups le système de santé américain....ou peut-être ne faudrait-il pas enrager le monde qui regarde ce qui se passe sans rien y comprendre. Oui un vaccin n'est qu'en phase expérimental...il a quand même pu sauver deux américains...pourquoi ne pas faire l'expérience aussi sur les milliers de personnes qui décèdent chaque jour de l'autre côté ...côté qu'on croît trop loin...
Pourquoi n'avoir pas administré ce vaccin à Thomas Eric Duncan??? Les USA ne veulent tout simplement pas perdre la face aux yeux du monde...ils ont dit que le vaccin n'est pas prêt...s'ils le soignait aussi, ça aurait un impact très fort sur le manque de volonté d'aider....c'est sûr qu'il n'ya pas grand chose à tirer dans ces pays touchés??? Y' a t-il du pétrole à gogo ou de l'or a piller??? Certainement pas sinon la solution serait-très vite trouvée. SHAME à la 1ère puissance....je préfère m'arrêter la...cela ne signifie pas que je n'ai plus rien à dire sur le sujet...wait and see. Nos gouvernements...nos administrations...chacun balaie sa cour on me dira...
Merci Ariane pour le sujet.
Un drame qui nous menace et nous interpellent tous...Ariane.
Faut prêter oreilles et ..analyse
Prof
Moi je dirai plutôt que l'Afrique noire en général a un problème de gouvernance (avec son état du jour). Il faut savoir que la gouvernance est le déterminant des déterminants de la santé. Leurs gouvernements font d'eux donc des pays de non droit. L'un des corollaires du non droit se trouve malheureusement être ces épidémies graves qui déciment les pauvres populations de ces états (mais attention, une épidémie qui menace le monde entier car même si elle ne peut pas avoir la même envergure dans les pays occidentaux, mettra son système de santé sous pression). Comment comprendre que, quand bien même le droit à la santé soit inscrit dans leur constitution respective, la part du budget allouée à la santé n'atteigne pas 15%?!
Problème d'infrastructure oui, mais problème de ressources humaines, c'est à voir de près si je me réfère et paraphrase Pr Trudel qui dit très souvent que l'intelligence est proportionnellement distribuée dans le monde et dans les différentes couches de la population.
Amère sujet d’actualité. Moi, je résumerai la situation en une phrase, d’une profondeur inouïe, prononcée par M.Camil Bouchard à l’émission Bazoo.TV
"La mort africaine n'est pas payante - la peur américaine, oui!"