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Réprimer pour mieux voter ? La question du vote obligatoire.

 


Accepteriez-vous de ne boire que 39 % d’une bière? Souhaiteriez-vous ne voir un film que sur 39 % d’un écran de cinéma? Vous raseriez-vous uniquement 39 % de votre barbe? Voilà là l’idée de la campagne de sensibilisation menée pour les élections municipales du 3 novembre en vue de voir croître un taux de participation trop habituellement faible. À l’approche des élections, la crainte est toujours la même, celle qu’une fois encore, les taux d’abstention battent des records. Sur coup de CRAD (Commission-Révélation-Arrestation-Démission), les Québécois se sont vus, encore davantage, perquisitionner leur capital « confiance ». Toutefois, même compréhensible, le refrain « tous pourris, tous corrompus » est dommageable pour la démocratie. Il faut donc aujourd’hui s’interroger sur les moyens de réconcilier les Québécois avec le vote.


Le devoir et la sanction ne précédent-ils pas parfois la conviction en un droit? Réprimer pour voter, cette idée détonne. Pourtant, on a vu bien des fois l’obligation devenir un droit. Interdire et réprimer la cigarette dans les lieux publics a précédé, par exemple, le sentiment partagé d’un droit des non-fumeurs. L’abstention n’est-elle pas elle aussi le tabagisme passif de la démocratie? Et le vote obligatoire pourrait être une solution à ce cancer généralisé.



Constats


Le constat est indéniable. Après le taux de participation record de 57, 43 % des élections générales de 2008, il semble que les élections de l’automne dernier aient suscité un regain d’intérêts auprès des Québécois qui se sont exprimés à 74,6 %. Néanmoins, le chiffre record de 2008 nécessite de rester vigilant, car nous ne sommes pas à l’abri d’une abstention massive, alimentant ce que certains ont appelé la « crise de la représentativité ». Les élections municipales sont victimes, depuis leur création, d’un « capital d’indifférence » très fort auprès des citoyens. En effet, le taux moyen de participation a oscillé entre 49 et 56 % de 1996 à 2002. En 2005, il était de 45 % et en 2009, de 46 %. Au-delà du constat décevant du manque d’engouement au « devoir civique », cela pose un réel problème pour la démocratie représentative, telle que postulée par ceux qui l’ont pensé. En témoignent les chiffres des résultats des élections de la ville de Montréal en 2009 où le parti de Gérard Tremblay n’a obtenu qu’une majorité relative : 37,9 % des suffrages exprimés qui eux étaient de 39,4 % reportés au nombre d’inscrits sur les listes électorales. Rapporter au décompte des voix, le parti a recueilli 159 020 votes sur un nombre total d’inscrits de 1 100 206. Ainsi, le « grand gagnant » ne représentait, de manière absolue, que 14,45 % des inscrits. Voilà là un sacré revers pour la démocratie. Ajoutés à cela les écueils d’un scrutin uninominal à 1 tour et vous obtenez là une savoureuse atteinte à nos beaux principes de gouvernement « du peuple, par le peuple, pour le peuple ».



L’abstention : symptôme de la crise de représentativité de la démocratie municipale?


Le problème de l’abstention est qu’au-delà d’être le reflet d’un désintérêt, elle met en danger la démocratie. Quelle légitimité accorder à nos « représentants » qui au final ne représentent qu’une minorité? À partir de là, est-ce bien cela que l’on attend d’une démocratie? La démocratie, « le pire système à l’exception de tous les autres » paraît-il. Les élus, « pires représentants à l’exception de tous les autres »?


Pourtant, la démocratie locale serait selon certains « la pierre angulaire du système politique et territorial contemporain » (COLLIN et BREUX, 2006), allant même jusqu’à la qualifier de « berceau de la démocratie » (BHERER, 2003). Pourtant, au regard des chiffres mentionnés ici, il est évident que tel n’est pas le sentiment partagé par la majorité des citoyens. Il convient alors de s’interroger sur la démocratie municipale au Québec plus spécifiquement. Les travaux de Jean Pierre Collin et Sandra Breux identifient trois problèmes inhérents à la démocratie municipale qu’ils qualifient de « jeune et inachevée ». Ces problèmes sont intimement liés à la question de la crise de la représentativité des élus. Tout d’abord, et comme nous le développons ici, la démocratie municipale souffre d’un faible taux de participation. D’autre part, le manque de représentativité des élus se reflète du point de vue du profil socio-économique des candidats. Le mandat semble pris en otage par une élite locale, peut-être lié aux conditions économiques de l’exercice du métier d’élu qui nécessite généralement de s’y consacrer à temps plein tout en n’assurant pas une rémunération à la hauteur d’une autre fonction professionnelle. Enfin, le mode de scrutin, uninominal à un tour, n’avantage pas la représentativité de l’expression populaire contrairement à un scrutin proportionnel. De plus, il favorise les coalitions dites de « circonstances » liées avant tout à la personnalité du candidat. Qui plus est, la reconnaissance de partis politiques municipaux, malgré ses bonnes intentions d’écarter les logiques partisanes nationales de l’échelle locale dans le but de rapprocher la dynamique des partis des intérêts spécifiques de la gouvernance municipale, aurait plutôt encouragé la personnification du scrutin. En témoigne parfaitement la campagne actuelle pour la mairie de Montréal avec des « partis » au nom du candidat.


Si l’on s’attarde à décortiquer l’abstention, plusieurs constats s’imposent. Tout d’abord, s’il est clair qu’il existe une corrélation entre taux de scolarisation et taux de participation, un taux d’abstention qui diminue malgré un taux de scolarisation qui ne cesse d’augmenter amène à penser que le problème est de l’abstention touche plus fortement les non scolarisés. Également, on sait que l’appartenance et l’identification à un parti politique joue dans la participation à une élection or cette affiliation politique est, elle aussi, en baisse. Autre constat indéniable : pour susciter l’envie de participer au débat, le citoyen doit pouvoir se projeter dans les enjeux débattus, qui plus est au niveau local, échelon de pouvoir le plus proche du citoyen. Le sentiment d’inutilité du citoyen, son cynisme face au pouvoir explique le manque d’engouement à la chose politique. Et, indéniablement, ce sentiment n’a pu que s’intensifier ces derniers mois.


Il serait évidemment bien hâtif de conclure à un désintéressement complet du citoyen à la chose politique. Néanmoins, ce sont davantage les « moyens » de participer qui peuvent être remis en question. Partant de là, plusieurs praticiens et penseurs s’accordent sur le fait de favoriser une gestion participative de la res publica. On constate ainsi de plus en plus d’initiative en ce sens. Néanmoins, il semble aussi indéniable que ce mode de gestion ne peut pas remettre en cause l’ensemble du système représentatif actuel. Il serait bien malaisé de mettre sous la houlette d’une gestion participative certains dossiers qui mobilisent du temps et des connaissances techniques spécifiques. Il s’agit donc d’articuler démocratie représentative et démocratie participative comme compléments indispensables à une meilleure prise de décision.


Pour tous les moments d’exercice de la démocratie représentative, le vote obligatoire ne serait-il pas un mal nécessaire à l’évolution de la société au regard des constats énoncés plus haut?

 

 


 

Le vote obligatoire


Pour faire face à ce déficit démocratique, plusieurs solutions ont été envisagées. On retrouve parmi elles le vote postal et électronique, l’abstention positive ou encore le vote cumulatif. Mais aucune étude n’a permis de prouver que ces méthodes avaient un impact clair sur la participation des électeurs. Le vote obligatoire est une solution trouvée par plusieurs pays en vue d’enrayer le phénomène grandissant d’abstention. On parle de vote obligatoire dans les pays où ne pas se rendre aux urnes le jour d’une élection est passible de sanction.


Loin de déplaire, cette idée apparaît parfois comme une façon « moderne » de penser la démocratie dans un monde où tout semble acquis. Plusieurs pays ont d’ailleurs choisi de recourir au vote obligatoire avec des résultats indéniables. En Australie, la mise en place du vote obligatoire a permis d’accéder à un taux de participation record de 94 %, divisant par 5 son taux d’abstention. Les sanctions vont de 20 $ en cas d’absence de vote sans excuse valable à 50 $ pour non-inscription sur les listes électorales. En Belgique, ce vote obligatoire existe depuis 1894 à l’article 62 de la constitution belge et même s’il a été souvent remis en question, il est toujours appliqué aujourd’hui. Une abstention est sanctionnée d’une amende allant de 25 à 50 euros. En cas de récidive, l’amende peut aller jusqu’à 125 euros. Enfin, si l’électeur ne se rend pas à 4 reprises aux urnes dans une période de 15 années, il risque d’être rayé des listes électorales pendant 10 ans et de se voir priver de tout nomination ou distinction en provenance d’une autorité publique. La Bolivie, quant à elle, remet à l’occasion des élections un justificatif qui permet ensuite à l’électeur d’accéder à son salaire. Au Luxembourg où le vote est obligatoire depuis 1924, la sanction est la plus sévère : l’amende varie de 100 à 250 euros pour une première abstention et peut aller jusque 1000 euros en cas de récidive dans les 5 années qui suivent. En contre-exemple, citons les Pays-Bas, l’unique pays qui a connu puis abrogé le vote obligatoire. La participation aux élections municipales a progressivement chuté dans les années qui ont suivi passant de 93,95 % l’année précédent l’abrogation à 54,13 % en 2010.


Bien loin d’être rejeté par le Canada, le directeur général d’élection Canada, M. Mayrand, a déclaré récemment se sentir déchiré sur la question du vote obligatoire. Nous pensons qu’un débat de fond doit être mené sur la question, sans honte et toujours dans la volonté d’améliorer notre démocratie, de l’adapter aux nécessités de l’époque, et ce, dans l’intérêt ultime du citoyen.



Vote obligatoire et reconnaissance du vote blanc


Alors oui, les détracteurs du vote obligatoire sont nombreux et leurs arguments sont légitimes. Ne pas voter, c’est aussi un droit. Nous sommes d’accord. Pour nous, instaurer un vote obligatoire ne doit pas conduire à forcer le citoyen à faire un choix entre des candidats aux idées desquels ils n’adhèrent pas. D’une certaine manière, cela reviendrait pour lui, selon l’adage populaire, à choisir entre « la peste et le choléra ». Pour éviter cette situation, le vote obligatoire devrait automatiquement s’accompagner d’une reconnaissance du vote blanc. Sanctionner l’abstention, c’est certes obliger le citoyen à s’exprimer, mais à condition que l’on lui reconnaisse un droit à un vote contestataire, « de refus ». Cela nécessiterait également de repenser l’appellation de ce choix de « vote blanc » ou « nul » qui dans l’inconscient collectif est associé à une image négative, d’un comportement sanctionnable socialement. Inscrire une croix dans une case clairement définie, c’est consciemment et volontairement affirmer un « abstentionnisme civique ». Ainsi on pourrait totaliser le pourcentage de soutien stricto sensu de l’ensemble des citoyens à un candidat.


Il faudrait alors se questionner sur les conséquences d’un vote blanc qui atteindrait un pourcentage donné. Il s’agit là d’un débat public à mener. Si l’on s’intéresse aux pays ayant instauré cette reconnaissance du vote blanc, plusieurs possibilités sont identifiées. Pour la Suisse, la comptabilisation du vote blanc participe au calcul de la majorité absolue au premier tour et donc conséquence l’accès au second tour. Au Pérou, si les 2/3 des électeurs votent blanc, les élections sont annulées. On parle alors d’une forme de « droit de veto » du citoyen.


Le vote obligatoire amènerait dans un premier temps le citoyen à s’intéresser aux candidats, à leur programme et à leurs idées pour trouver celui qui partagent avec lui une majorité de valeurs communes. Dans un second temps, la reconnaissance du vote blanc lui octroierait le droit de ne pas choisir et tout en s‘assurant que la collectivité prenne bien en compte son abstentionnisme civique comme l’expression d’une tierce voix. Cela obligerait, en conséquence, les partis politiques à se démocratiser et à jouer encore davantage la transparence afin d’éviter cet « abstentionnisme civique » qui leur serait imputable et qui, a fortiori, les sanctionnerait.


Ajoutons pour terminer qu'instaurer le vote obligatoire ainsi que la reconnaissance du vote blanc aux élections municipales nécessiterait une modification de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités. Cette loi devrait être modifiée par l'Assemblée Nationale du Québec. Si la question est mise sur la table, il faudrait alors s'interroger sur les éventuelles conséquences constitutionnelles d'une telle décision.



Conclusion :


La question du vote obligatoire et de la reconnaissance du vote blanc se pose dans de nombreuses démocraties présentant les mêmes symptômes que le Canada. Il s’agit là du fruit du constat d’essoufflement des démocraties. Le vote obligatoire serait une manière de moderniser le vote traditionnel. C’est peut être là une évolution nécessaire alors cessons ce « conservationnisme », cette nostalgie ridicule du statut de « bons élèves » de la démocratie. Ces mêmes sentiments qui nous poussent d’ailleurs à blâmer les pays tiers, à les obliger à adopter nos « outils » comme si, ultimement, avoir une urne, un isoloir et des bulletins de vote étaient les ingrédients autarciques de la recette d’une « bonne » démocratie. Remettons-nous en question.

 

Toutefois, il ne faut pas succomber à la tentation de ne faire que panser une plaie béante. Il faut également la recoudre et le problème de l’abstention est surtout celui d’éducation au sentiment démocratique et citoyen, un problème que finalement nos pays connaissent également. M. Mayrand n’a pas tort lorsqu’il nous dit qu’un travail de fond doit être fait en matière d’éducation citoyenne. Si la participation peut à court terme passer par la sanction, elle doit aussi s’accompagner, pour être pérenne, de nouveaux systèmes d’apprentissage du devoir civique

 

 

Marine Gicquel





Références :


BARIL, Geneviève (2011), La diminution de la participation électorale des jeunes Québécois : Une recherche exploratoire de l'Institut du Nouveau Monde, Institut du Nouveau Monde, en ligne, http://www.inm.qc.ca/2-millions/documentation/etude


BHERER, Laurence (1999), La participation des citoyens aux affaires municipales dans les régions de Québec et de Chaudière-Appalaches, Mémoire de maîtrise, Département de science politique, Université Laval, Québec, 141 p.

 

COLLIN, J-P et BREUX, Sandra (2006), La démocratie municipale québécoise, capsule thématique 06-06, Villes Régions Monde, 11 p. , en ligne, http://www.vrm.ca/Cap_0606.asp


GOSSELIN, Renaud (2006), Voter : un droit ou un devoir ?, Perspectives Monde, Université de Sherbrooke, en ligne, http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=274


KOUAO, Ahmed (2013), Sondage : ce que pensent les Québécois de la politique municipale, Radio Canada, 8 p.


MINISTÈRE DES AFFAIRES MUNICIPALES, REGIONS ET OCCUPATION DU TERRITOIRE (2013), Statistiques relatives aux élections municipales de 2009 et 2005, en ligne, http://www.electionsmunicipales.gouv.qc.ca/je-minforme/resultats/


MINISTERE DES AFFAIRES MUNICIPALES, REGIONS ET OCCUPATION DU TERRITOIRE (2013), Statistiques sur les élections générales au Québec, 1867-2012, en ligne, http://www.electionsquebec.qc.ca/documents/pdf/chapitre_7_1-tableau-synoptique-des-resultats-des-electi.pdf


SERVICE DES ETUDES JURIDIQUES DU SENAT FRANCAIS (2003), Le vote obligatoire, analyse des systèmes présents en Autriche, Belgique, Liechtenstein, Luxembourg, aux Pays-Bas, en Suisse et en Australie, en ligne, http://www.senat.fr/lc/lc121/lc121_mono.html


CONSEIL CONSTITUTIONNEL (2005), Bulletins blancs et nuls, dossiers thématiques, en ligne, http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/documentation/dossiers-thematiques/2005-referendum-traite-constitution-pour-l-europe/bulletins-blancs-et-nuls.45631.html


LE SOLEIL (2013), Le directeur général d’Élections Canada "déchiré" sur le vote obligatoire, en ligne, http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/politique/201309/27/01-4694177-le-directeur-general-delections-canada-dechire-sur-le-vote-obligatoire.php


TRUDEL, Rémy (2013), Notes de cours, ENP-7505 Principes et enjeux de l'administration publique


 

Commentaires

  • En tout cas, moi j'aime boire ma bière à 100% alors je t'appuie à fond dans ton analyse.
    La situation actuelle de l'Inde fournit également un exemple intéressant où la réforme électorale a déjà commencé: Le système électoral indien actuel n’offre pas la possibilité aux citoyens de déposer un vote négatif ou neutre. Ils peuvent cependant s’abstenir de voter en remplissant le formulaire 17-A mis en place par l’article 49-O. Bien que la connaissance de cet article se soit répandue comme une traînée de poudre parmi les jeunes électeurs lors des précédentes élections du Lok Sabha (la Chambre basse du Parlement Indien, NdT), elle n’a guère été utilisée. L’article requiert en effet que l’électeur contacte l’officier du bureau de vote et demande un formulaire 17-A ce que la Cour Suprême a jugé attentatoire au secret du vote, un élément primordial de toute démocratie. « Qu’un électeur décide ou non de voter, dans les deux cas le secret doit être maintenu », a statué la Cour. (Source: Le journal international)

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