Blog 2 - Difficultés de cohabitation (Manon J)
La surpopulation carcérale
On entend beaucoup parler ces temps-ci de la surpopulation carcérale et de conditions de détention difficiles. L’émission Enquête, diffusée sur les ondes de Radio-Canada le 7 mars dernier, en a d’ailleurs fait le sujet d’un reportage. D’une part, on y dénote des conditions de vie difficiles, des immeubles vétustes où les personnes qui y séjournent n’ont aucune intimité ainsi que des agents correctionnels désillusionnés et à bout de ressources. D’autre part, la direction estime que la situation est sous contrôle. Qui croire? Les avis sont partagés selon les personnes interrogées. Toutefois, en tant que citoyen, j’estime que la vraie question que l’on devrait se poser est plutôt: quoi croire?
Le gouvernement Conservateur de Stephan Harper a adopté, en mars 2012, la Loi sur la sécurité dans les rues et la communauté, plus communément connue comme étant la loi C-10. Avec cette réforme du Code criminel, monsieur Harper désire incarcérer plus de personnes, pour plus longtemps en imposant notamment des peines minimales d’emprisonnement pour certains délits et rendre l’accessibilité à la libération conditionnelle plus difficile et complexe.
En tant que citoyen, il a de quoi se réjouir! Enfin! Nous avons la chance d’avoir élu un gouvernement se préoccupe réellement d’assurer à l’ensemble de la population du canada un climat de vie plus serein, où la criminalité serait pratiquement enrayée! Qui peut être contre le fait de vivre dans un climat plus sain et plus sécuritaire! C’est le rêve de toute société!
Toutefois, dans les faits, la situation est tout autre. Depuis plusieurs années, le Canada présente un taux de criminalité à la baisse depuis une quarantaine d’années. De ce fait, notre pays en est l’un des plus sûrs au monde, où le système de justice est l’un des plus performants et assure à chaque accusé un procès juste et équitable. En effet, il revient à l’État de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité d’un individu accusé de quelque délit que ce soit. Si un doute raisonnable subsiste dans l’esprit du Juge ou de l’une des membres du jury, notre système de justice pénale est formel : l’accusé doit être acquitté. Un mécanisme d’appel est par ailleurs mis en place et disponible lorsque l’une des parties estime avoir été l’objet d’une injustice dans le cadre des procédures légales ou encore en lien avec la sentence prononcée. Ainsi, dans le contexte légal qui nous régit, malgré le fait que certaines exceptions existent, nous convenons que le Canada emprisonne bien peu de personnes innocentes des délits qui leur sont reprochés.
Le Canada mise par ailleurs sur la réhabilitation sociale des personnes contrevenantes. En sommes, la sentence qui est purgée doit être utilisée à bon escient afin de faire cheminer la personne contrevenante sur sa situation et tenter de l’amener à adopter, dans le futur, des comportements socialement acceptables. Au moment de la sentence, le Juge tiens compte de plusieurs facteurs dont notamment, la reconnaissance des gestes posés, la gravité objective du délit, le dossier criminel de l’accusé, les peines antérieures imposées par la Cour, la présence ou non d'un désir de réparation concernant les gestes posés et le risque de récidive. Précisons que l’incarcération constitue une peine de dernier recours, lorsque les mesures dites en communauté n’ont pas atteint l’objectif dissuasif escompté ou encore lorsque la gravité du délit à lui seul le justifie.
Les prisons de juridiction provinciales hébergent par ailleurs les personnes prévenues, c’est-à-dire celles qui doivent demeurées incarcérées en attendant la suite des procédures judiciaires auxquelles ils font face. Ces personnes prévenues constituent près de la moitié de la population carcérale québécoise.
À la lecture des éléments qui précèdent, on comprend aisément que les établissements de détention n‘ont aucun contrôle sur le nombre de personnes qu’ils doivent garder, ni sur la durée de leur séjour. Il n’est pas possible de créer des listes d’attente pour obtenir une place en prison! Conséquences : les prisons québécoises débordent. Les personnes incarcérées doivent cohabiter à deux ou trois dans des cellules initialement prévues pour une seule personne, ou encore doivent dormir dans des endroits aménagés en dortoirs, tels que des gymnases et salles communautaires.
Les médias ont rapporté récemment que le Ministère de la Sécurité publique estime à plus de 1000 places manquant pour l’année 2020 en lien avec l’application de la Loi C-10. La construction de quatre nouveaux établissements de détention à Amos, Sept-Îles, Roberval et Sorel créeront quant à eu un ajout global de 368 places. Certains de ces établissements sont vétustes et ont mal vieilli. Toutefois l’ajout de place s’avère mineur si on considère les prévisions du ministère. Comment arrivera-t-on comme société à gérer la population carcérale qui ne cesse de s’accroître?
D’un autre point de vue, le gouvernement Harper a imposé des restrictions budgétaires aux Services correctionnels pour les années à venir. Plusieurs pénitenciers fédéraux fermeront leurs portes au cours des prochains mois et des prochaines années. Au Québec, le pénitencier Leclerc situé à Laval qui héberge actuelle environ 400 personnes incarcérées fermera ses portes en septembre 2013. Bien que les Services correctionnels du Canada indiquent par voie de communiqué que ces fermetures n’impliqueront pas de surpopulation dans les autres établissements fédéraux et qu’aucun membre du personnel ne sera mis à pied, certaines préoccupations demeurent. Au niveau provincial, on parle de cibles budgétaires. Voyant leurs budgets déjà insuffisants être amputés, les établissements de détention doivent effectuer quotidiennement de la gymnastique financière afin d’assurer la sécurité des personnes incarcérées.
Imposer des peines minimales d’emprisonnement pour certains délits comme le fait la Loi sur la sécurité dans les rues et la communauté n’empêchera pas la perpétration de ceux-ci. Plusieurs études partout dans le monde le prouvent. À titre d’exemple, les états américains où la peine de mort est en vigueur connaissent sensiblement le même taux de criminalité lié aux meurtres que ceux qui ne l’imposent plus.
Finalement, je reviens à la question que je posais un peu plus tôt. Les médias décrient d’un côté que les prisons sont surpeuplées et que les personnes incarcérées y vivent dans des conditions difficiles. De l’autre, les autorités estiment que cette situation est sous contrôle. Que devrions-nous croire?
Les médias tendent à ne rapporter qu’un côté de la médaille, celle qui sensationnaliste, celle qui vend. Comme si les services correctionnels provinciaux et fédéraux choisissaient délibérément d’imposer ce mode de vie aux personnes incarcérées dont ils ont la charge, ainsi qu’à leur personnel. Les médias omettent de mentionner que ceux-ci subissent les durcissements des lois, qu’ils sont légalement tenus de garder les personnes qui leurs sont confiées et de leur offrir les services auxquels ils ont droit tout en étant de plus en plus limités au niveau financier, tout en étant soumis au regard parfois, pour ne pas dire souvent, mal informé des citoyens.
Le fait de vivre au cœur d’un établissement de détention surpeuplé n’est pas en soi acceptable. Toutefois, il faut garder en tête que le choix de commettre un délit pouvant mener à l’incarcération ne revient à personne d’autre qu’aux personnes qui les ont posés. La vie en prison dans les conditions qui prévalent actuellement est une conséquence directe des choix qu’ils ont faits. Point.
Manon J.
Commentaires
J'aime beaucoup ta lecture du projet de loi C-10.
J'ajouterais les conséquences qu'il a sur les jeunes contrevenants, en proposant un modèle bien plus centré sur la répression et la peine associé au délit, tout en négligeant les possibilités de réhabilitation particulières à cette classe de personne. La réhabilitation est un élément qui faisait tant la fierté des Québécois. On peut sans trop de doute avancer que cette loi ne reflète pas la société québécoise...