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#2 - L. Leclerc- l'État et les autochtones

L’État de droit et la situation autochtone

Le 8 mars dernier, j’ai participé à la visite de la réserve abénaquise d’Odanak. Mes attentes face à cette activité étaient simples : mieux comprendre le fonctionnement d’une réserve autochtone et me familiariser avec les lois qui régissent les Premières Nations. Bien que ces sujets ont effectivement fait partie des apprentissages reçus, la plus-value que j’en ai retirée a été beaucoup plus significative puisqu’elle a transformé mes perceptions de la situation.

Comme la majeure partie de la population québécoise et canadienne, ma compréhension du système régissant les Premières Nations et des enjeux auxquels elles font face provenaient surtout des informations glanées via les médias. J’étais outrée des conditions abominables qui sévissent dans certaines réserves, de la pauvreté endémique qu’on y retrouve ainsi que de la détresse des enfants et des jeunes autochtones. Mais, au même moment, j’allouais une part de responsabilité importante aux autochtones eux-mêmes et je croyais que l’image véhiculée de criminalité incontrôlée et de dévitalité économique et sociale était vécue par toutes leurs communautés.

La visite d’Odanak n’a que gratté la surface d’une situation extrêmement complexe. Pourtant elle m’a exposée à des faits qui m’ont poussé à réfléchir sur la « plasticité » de notre État de droit face à la situation autochtone et sur ses impacts sur ces communautés. Permettez-moi de vous faire part de mes pensées.

L’État de droit, au cœur du cours « Principes et enjeux de l’administration publique », réfère à une gouvernance en vertu de laquelle l’ensemble des individus, des institutions et des entités publiques et privées, y compris l’État lui-même, ont à répondre à des lois promulguées publiquement, appliquées de façon équitable et administrées de manière indépendante. La Constitution en forme l’assise.  Selon le premier Bilan de l’état de droit au Québec[1] réalisé par le Barreau du Québec « la primauté du droit est au premier chef un concept juridique, mais elle revêt aussi une dimension politique dès lors qu’elle s’applique aux rapports entre l’État, les individus, la société civile, les valeurs culturelles et le marché. (…) La primauté du droit permet de combattre la discrimination et l’arbitraire; elle est liée au droit à la dignité de la personne ».

On peut donc déduire que l’État de droit est basé, entre autres, sur les valeurs d’équité, de dignité de la personne et d’égalité devant la loi.  Bien que le Canada est reconnu, et avec raison, comme un État de droit modèle, le gouvernement canadien présente une feuille de route peu glorieuse lorsqu’on applique les trois valeurs proposées plus haut à la situation des autochtones.

L’équité  désigne un état d’esprit qui va au-delà de ce qui est juste sur le plan légal. Le concept inclut les notions de justice et d’égalité sociale. L’équité la plus rudimentaire concerne le droit à un milieu de vie qui protège l’intégrité physique des individus et qui permet aux personnes de développer leur plein potentiel. La situation sur plusieurs réserves est peu compatible avec cette valeur. En effet, des milliers d'autochtones vivent dans des maisons vétustes (moisissures, absence d’eau courante, etc.) et surpeuplées. Selon l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, il manquait en 2006 plus de 1700 logements dans les réserves de la province.[2] Cette crise du logement favorise la violence familiale et a des impacts sur la santé physique des occupants. Puisque la plupart des réserves sont des terres appartenant à la Couronne, il est de la responsabilité du gouvernement fédéral d’assurer que l’offre en logement soit adéquate.

La dignité est le principe selon lequel une personne mérite un respect inconditionnel, indépendamment de son âge, de son sexe, de son état de santé physique ou mentale, de sa condition sociale, de sa religion ou de son origine ethnique.[3] Elle est, d’après moi, la valeur qui a été la plus flouée – et voici quatre exemples. En 1883, le gouvernement canadien prend la décision de forcer l’assimilation des enfants autochtones en les obligeant à fréquenter des pensionnats indiens où on leur interdit de parler leur langue et de pratiquer leur religion traditionnelle. En éloignant l'enfant de ses parents pendant dix mois par année, le régime du pensionnat veut soustraire ce dernier aux « influences dégradantes de son milieu ».[4] En tout, quelque 150 000 enfants autochtones ont subi les affres du système de pensionnats. Plusieurs étudiants y furent agressés sexuellement, physiquement et psychologiquement. On pourrait excuser en partie cette pratique en considérant qu’elle est le reflet de l’idéologie de ce temps. On est donc surpris, sinon choqué, de savoir que le dernier pensionnat a fermé ses portes en 1996 !

Autre atteinte directe à la dignité des personnes, la Loi sur les indiens, toujours en vigueur aujourd’hui, définit les autochtones comme des mineurs sous la tutelle du gouvernement fédéral. Jusqu’à récemment, seule l’émancipation, c’est-à-dire  « choisir de ne plus être indien », permettait à un individu d’avoir accès à un statut légal égal à un canadien non-autochtone.

Pendant longtemps, la Loi sur les indiens réservera un traitement différent pour les femmes et pour les hommes. Par exemple, les femmes autochtones devront attendre en 1985 ( !)  pour obtenir le droit de conserver leur statut « d’indiennes » lorsqu’elles épousent un homme non-autochtone, alors qu’un homme autochtone qui marie une femme non autochtone a toujours conservé son statut « d’indien ».

Et, finalement, ce n’est qu’en 1960, soit 40 ans après les femmes canadiennes, que les autochtones obtiendront le droit de vote et pourront pleinement participer à notre démocratie.

Finalement, concernant la valeur de l’égalité devant la loi…

En 2005, la Cour suprême passait un jugement unanime à l’effet que le gouvernement fédéral était dans l’obligation de consulter les Premières Nations lorsque des projets les touchant étaient mis en l’avant. Pourtant, en 2012, deux projets de loi (la C-38 qui modifie la Loi sur la protection des eaux navigables et la C-45 qui modifie la Loi sur les pêches) entrent en vigueur sans consultation préalable des communautés autochtones, bien que ces dernières affirment qu’elles auront un impact important sur leurs modes de vie.

La Loi canadienne sur les droits de la personne protège les droits des personnes en leur permettant de déposer une plainte lorsqu’elles jugent être victimes de discrimination dans les sphères de l’emploi et de la prestation de services de compétence fédérale. Jusqu’en 2008, l’article 67 de la Loi soustrayait la Loi sur les Indiens aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne.  Ceci limitait la capacité des Autochtones vivant dans des réserves de déposer une plainte contre un conseil de bande ou contre le gouvernement fédéral.[5]

 

En conclusion, les exemples précédents peignent le portrait d’un État de droit teinté de colonialisme, dans lequel les Premières Nations ont obtenu un traitement modulé par la marginalité d’un peuple conquis. Il serait toutefois malhonnête de ne pas indiquer que plusieurs changements très positifs ont été apportés depuis quelques années dont des modifications significatives à la Loi sur les indiens et la conclusion d’ententes de partenariats économiques entre certaines Premières Nations et le gouvernement du Québec. Mais il demeure que la situation des autochtones reste méconnue des blancs et que les préjugés continuent de dominer l’opinion publique. Cette distorsion de la réalité constitue une importante barrière à une cohabitation plus harmonieuse – et ce n’est qu’avec une meilleure cohabitation que des améliorations durables à la qualité de vie des autochtones pourront voir le jour.

Louise Leclerc

Commentaires

  • J’ai moi aussi vécu une expérience similaire à la vôtre lors de la visite à la réserve abénaquise d’Odanak. C’était une très belle opportunité pour nous d’en apprendre plus sur le sujet et de rencontrer ces gens. Les médias caractérisent la situation des autochtones comme étant tous affectés par l’alcoolisme, la dépendance à la drogue, par la pauvreté ou par la violence conjugale, sexuelle et familiale. Il est vrai qu’un pourcentage trop élevé d’entre eux est touché par ces problèmes. Par contre, ce ne sont pas tous qui vivent de cette façon. Le voyage que nous avons fait à Odanak nous a permis de comprendre les événements qui ont entrainé ces problèmes sociaux. Il s’agit d’un mélange de dénigrement de leur culture, de racisme et d’exploitation qui a entrainé certains d’entre eux vers la drogue et l’alcool. Trop peu de gens sont au courant de tous ces événements qui ont déclenché ces problèmes, incluant les pensionnats. Cependant, le voyage à Odanak nous a également montré les belles réalisations des autochtones telles que le tout premier cégep pour autochtones qui enseigne la culture des premières nations à ces élèves. Les témoignages de ceux-ci furent très intéressants. On n’imagine pas à quel point ce peut être difficile pour eux de grandir dans une société très différente de leurs valeurs. Je crois que cette école aidera beaucoup d’entre eux à poursuivre leurs études au niveau universitaire, à apprendre plus sur leur culture et à en être fière. C’était une très belle expérience qui m’a beaucoup appris. Il serait important que plus de gens puissent en apprendre plus sur ce peuple et sa riche culture. Je suis d’accord qu’il faudrait viser une meilleure cohabitation et des améliorations durables à la qualité de vie des autochtones.

  • l'ADMINISTRATION PUBLIQUE N'EST DONC PAS FAIT UNIQUEMENT DE NORMES ET PRESCRIPIONS.
    Il recèle aussi des valeurs qui donnent un sens à la gouvernance.
    Votre texte nous aide à réfléchir.
    Prof

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