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Blogue 2 - La gouvernance européenne en temps de crise (Charles-Émile René)

 

Depuis que la crise financière et économique a frappé les économies de l’Union européenne (UE) en 2008, la question des dettes souveraines ou dettes publiques des États membres est devenue un des enjeux majeurs pour les gouvernements en place faisant partie de la zone euro. La dette publique est un enjeu de plus en plus important pour la plupart des pays en Occident depuis le début de cette crise qui a affecté les finances publiques des États. Il est donc pertinent de traiter de cette question en voyant quels liens la lient à la question de la gouvernance au niveau européen puisque l’UE a joué un rôle crucial dans la tentative de résorption de la crise en agissant au niveau des finances publiques des États membres.  

 

André Grjebine, directeur de recherches au Centre d'études et de recherches internationales de Sciences Po, formule la question à propos de l’UE et de son action vis-à-vis de la crise qui a cours de manière très intéressante : « Comment est-on passé de Keynes à Kafka ? »[1]. Cette question peut se traduire par comment l’UE qui avait émis des promesses de croissance économique pour les pays qui adhéreraient à l’union monétaire et économique en est venue à développer un processus de gouvernance de plus en plus bureaucratisé faisant fi de la question de la légitimité démocratique qui est très important pour les citoyens des pays membres de la zone euro.

 

Nous avons appris dans notre cours que la loi de Wagner se caractérise par le fait de la croissance constante dans les dépenses publiques de l’État, c’est-à-dire, « qu’une richesse économique croissante mène à une expansion du secteur public »[2]. Il faut donc en comprendre que l’UE par le biais du processus de construction européenne en est venue à soumettre « la communauté en formation à une loi sociologique qui veut que les structures bureaucratiques n'aient pour fin que leur propre expansion, à la fois en élargissant sans cesse leur sphère d'action et en accaparant toujours plus de pouvoir dans un nombre toujours plus grand de domaines de compétence »[3]. C’est un exemple qui représente bien la loi de Wagner à l’œuvre dans l’administration publique européenne et qui démontre que la bureaucratisation est un phénomène connexe à la croissance de l’économie. Les limites structurelles que l’on perçoit dans maintes tentatives de réductions budgétaires des États en Occident depuis les années 1980 sont aussi présentes au niveau européen. Pourtant, la crise a amené l’UE à prendre le leadership quant à la question des dettes souveraines et de la gouvernance des finances publiques des États en difficulté suite à la récession économique engendrée par la crise financière de 2008.

                        

Depuis le début de la crise, l’UE a affiché comme solution la mise en place de mesures d’austérité et a plaidé en faveur de réformes dans le secteur des finances publiques des États visés gravement par la crise, mais malgré tout « ces mesures d'austérité contribuent au recul de la zone euro, qui devrait rester en récession en 2013 »[4]. À Bruxelles, les propos du commissaire européen aux Affaires économiques, Olli Rehn, sont allés dans le même sens soit que « «nous devons maintenir le cap des réformes» […] au risque selon lui de «saper le retour de la confiance et de retarder la nécessaire reprise de la croissance et de la création d'emplois» »[5]. La politique de la troïka (UE, BCE et FMI)[6] dans le sauvetage des pays en difficulté est une contrainte supplémentaire et de taille pour les administrations publiques des États gravement touchés par la crise depuis 2008 et, plus particulièrement, depuis que la récession de 2012 a été confirmée et qu’elle se prolongera pour l’année 2013.

 

Il est important de savoir que les représentants de l’UE ne sont pas élus au suffrage universel sauf pour ce qui est des membres du Parlement européen qui ne constitue qu’une des nombreuses institutions ou instances de décision au niveau supra-étatique. Pour bien définir ce qu’est l’UE, je crois qu’il est intéressant de prendre la définition de Marks, Hooghe et Blank (1996) qui « ont proposé dans les années 1990 de conceptualiser l’UE comme un système de gouvernance à niveaux multiples » dans lequel « le pouvoir est largement diffus […] de manière générale, les États-nations ont perdu leur monopole du pouvoir politique au profit, en amont, des institutions européennes et, en aval, des autorités locales et régionales »[7].

 

Sans aller dans le détail historique du processus de construction européenne, nous pouvons dire que la création de l’union venait d’un désir de la part des élites européennes et américaines, suite à la 2e Guerre mondiale, de mettre un frein à l’influence de l’État-nation dans la politique et l’économie des pays européens. L’expérience du fascisme a été un traumatisme qui ne permettait pas de justifier l’édification d’un État supra-national fort considérant que l’Allemagne constituait encore une partie importante de la population européenne. L’UE était donc l’expression de la volonté de libéraliser les échanges entre les nations européennes dans le but évident d’éviter de retomber en guerre et ainsi favoriser un processus de paix par le biais de la coopération économique et politique. N’oublions pas que l’intégration économique européenne s’est opérée dans le contexte de la Guerre froide alors que l’Europe est la zone où les deux blocs se touchent. C’est donc au sens large un projet libéral, donc, empreint d’une idéologie et d’un discours normatif quant aux fins de l’État d’après-guerre.

 

Il est, d’ores et déjà, évident que toute l’administration publique européenne se voit imprégnée au fil des années par cette idéologie qui, aujourd’hui, fait que les États ayant une dette publique trop grande par rapport à leur économie se retrouvent « sous l'emprise de l'orthodoxie allemande et du libéralisme ambiant, [alors que] les règles imposées aux États membres n'ont fait que renforcer leur impuissance, sans que la Communauté en prenne le relais »[8]. Le cas récent, dans l’actualité internationale, de la République de Chypre qui est membre de l’UE nous démontre toute la puissance que l’UE possède.

 

Chypre avait demandé, il y a un peu plus d’une semaine à un sommet des chefs de gouvernements, que la troïka lui vienne en aide puisque le total de sa dette avait atteint le même niveau que son produit intérieur brut (PIB)[9]. Le problème est que pour que la troïka vienne en aide à Chypre celle-ci exige des conditions à l’emprunt qui sera fait afin d’assurer que le sauvetage des banques ne nuira pas à la capacité de payer de l’État, c’est pourquoi « pour parer à l'effondrement de l'industrie bancaire […] la troïka oblige le gouvernement de Nicosie à imposer un prélèvement de 5,8 milliards d'euros sur les dépôts dans les banques chypriotes »[10]. Tous les citoyens du pays seront alors imposés par une taxe sur leurs dépôts bancaires. On peut, dès lors, questionner la légitimité démocratique d’une telle mesure imposée aux contribuables de la part d’une institution européenne dont les représentants ne sont pas élus au suffrage universel, mais nommé. Les représentants de l’UE sont des technocrates investis d’un pouvoir de décision qui peut affecter l’ensemble des États membres.

 

Enfin, je crois qu’il est pertinent de mieux comprendre les réalités politiques de la gouvernance européenne pour bien comprendre les effets qu’elle peut occasionner sur les différentes administrations publiques des pays membres de l’UE et, plus particulièrement, dans une contexte de crise où l’économie a du mal à retrouver le chemin de la croissance. Bien que le Québec ne vit pas le même genre de situation avec le gouvernement fédéral à Ottawa, il n’est pas moins pertinent d’améliorer notre compréhension du fonctionnement de institutions européennes notamment avec les négociations en cours sur le libre-échange entre l’Europe et le Canada et des conséquences futures qu’un tel accord pourrait imposer à l’administration publique québécoise.

 



[1] André Grjebine, « Une construction européenne kafkaïenne », (2013) En ligne. http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/03/06/une-construction-europeenne-kafkaienne_1843749_3232.html (page consultée le 19 mars 2013).

[2] Jean Mercier. L’Administration publique. De l’École classique au nouveau management public. (Québec : Presse de l’Université Laval, 2011), 231.

[3] André Grjebine, op. cit.

[4] Aurélie Mayembo, « La zone euro restera en récession en 2013 », (2013) En ligne. http://affaires.lapresse.ca/dossiers/la-crise-europeenne/201302/22/01-4624398-la-zone-euro-restera-en-recession-en-2013.php (page consultée le 19 mars 2013).

[5] Idem.

[6] Union européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international

[7] Frédéric Mérand et Julien Weisbein. Introduction à l’Union européenne. Institutions, politique et société. (Bruxelles : De Boeck, 2011), 103.

[8] André Grjebine, « Une construction européenne kafkaïenne », (2013) En ligne. http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/03/06/une-construction-europeenne-kafkaienne_1843749_3232.html (page consultée le 19 mars 2013).

[9] Rudy Le Cours, « Analyse: la pénible extirpation européenne de la crise », (2013) En ligne. http://affaires.lapresse.ca/economie/international/201303/12/01-4630074-analyse-la-penible-extirpation-europeenne-de-la-crise.php (page consultée le 19 mars 2013).

[10] Rudy Le Cours, « Analyse: nouveau soubresaut de la crise européenne », (2013) En ligne. http://affaires.lapresse.ca/economie/international/201303/19/01-4632352-analyse-nouveau-soubresaut-de-la-crise-europeenne.php (page consultée le 19 mars 2013).

 

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