Blogue #2: Camouflage administratif
J’adhère totalement à l’idée que l’éducation a pour principal effet d’élever l’individu, sa pensée et ses actions.
Mais il appert que parfois apprendre des détails sur une situation se transforme en une expérience particulièrement déplaisante. En effet, tous les québécois apprennent ces jours-ci qu’ils se sont fait flouer, arnaquer dans l’octroi de contrats divers concernant les travaux publics. On parle régulièrement de surfacturations frôlant les 35% en ce qui a trait à des travaux réguliers de voiries municipales. En ces temps de restrictions budgétaires où divers services sociaux sont drastiquement réformés (prenons le seul cas de l’assurance emploi), cela génére énormément de frustration chez la population. Personne n’est naïf à ce point: il est facile d’imaginer que divers entrepreneurs, aveuglés par l’attrait du fric, puissent être fortement tentés de corrompre nos bons fonctionnaires et leurs dirigeants. Par contre, et c’est ce qui me choque le plus, c’est la participation active des fonctionnaires à cette magouille. Que dire de tous ses fonctionnaires qui défilent devant la Commission Charbonneau… Honte à vous, et à vos dirigeants! Je soumets l’idée que la réussite du cours Principes et Enjeux …. soit obligatoire pour tout agent public, ils apprendraient alors que:
“Dans l’administration publique, tout doit être approuvé, et tout doit faire l’objet de reddition de comptes.”
Je croyais que ce principe s’appliquait à toutes opérations gouvernementales, qu’il en faisait un pilier, et que la majorité des employés des fonctions publiques y souscrivaient d’emblée. Force est de constater que cette croyance a été mise à rude épreuve récemment, et que diverses mesures supplémentaires doivent être prises. Prenons le cas de Laval si vous le voulez bien. Il y a depuis des années des rumeurs de toutes sortes qui courent concernant les malversations, collusions entre différents entrepreneurs pour différents travaux publics et corruption d’agents publics, incluant même le maire. Durant plusieurs années le maire Vaillancourt n'a eu aucune opposition: tous les autres membres du conseil municipal provenait systématiquement de son parti. Puisque le maire d'une municipalité est toujours nommé d'office président du comité exécutif le maire Vaillancourt profitait d'une liberté presque totale. Cette situation a certainement aidé à créer et supporter une situation où la liberté d’action des élus municipaux a pu conduire à des actes de mauvaise utilisation des fonds publics.
Heureusement, il semble que la lumière sera jetée sur ces allégations et qu’enfin cette situation cesse. À cet effet on peut rappeler les multiples perquisitions menées par l'Unité Permanente Anti-Corruption (UPAC) à l'hôtel de Ville de Laval durant l'automne dernier, actions qui ont précipité le départ du maire Vaillancourt. Aucunes accusations à ce jour mais l'accumulation des faits contre l'ancienne administration pèse très lourd sur le moral et la confiance de l'électorat lavallois : le cynisme ambiant fait mal à voir. On est toutefois en mesure d’espérer que cette situation était exceptionnelle et que la justice, après avoir fait son cours, résultera en un rétablissement de la confiance de l’électorat et une judicieuse utilisation des fonds publics.
Tout récemment, quelle ne fut donc pas ma surprise, encore, de constater l'existence d'une technique de dissimulation d’informations qui semble apparemment être tolérée. En effet, prenons l’exemple de l’organisme à but non lucratif (OBNL) récemment créé à Laval sous l'ère Vaillancourt, soit La Cité de la culture et du sport (la Cité). Voici ce qu’il en ressort: dans le but de soustraire un projet aux règles usuelles d’octroi de contrat et d’utilisation des fonds publics une municipalité (dans ce cas-ci Ville de Laval) peut procéder à la création d’un OBNL. Par la suite, la ville donne le mandat à cet OBNL de procéder à la gestion du projet en question. Ce faisant, la municipalité n’est plus l’entité responsable du projet et s’évite les critiques et les redditions de comptes envers la population. En fait, il est plausible qu’aucune reddition de compte ne sera nécessaire puisque de par sa constitution il semble qu’un OBNL soit soustrait à la loi d’accès à l’information, empêchant toute instance désireuse de vérifier les contrats et leurs octroi d’avoir accès aux fins détails administratifs.
De surcroît, dans le cas précis de la Cité, la ville a plusieurs représentants qui ont été nommés au sein du conseil d'administration et du conseil exécutif de la nouvelle entité, assurant ainsi son emprise sur cette dernière. En effet, le vice-président de la Cité est le vice-président du comité exécutif de Ville de Laval; le directeur-général adjoint à la Ville de Laval occupe quant à lui le rôle de secrétaire-trésorier du CA. Mentionnons également que le directeur général de Ville de Laval occupe un rôle dit conseil pour le conseil d’administration… On peut alors parler d’une relation de proximité entre les deux entités. Et sachant que dans le cas actuel la valeur du projet s'élève à un total de 120 M$ et que dû à cette structure les contrats ne sont, à ce jour, toujours pas soumis à la loi d'accès à l'information, il y a matière à s'inquiéter.
Heureusement, dans le cas de la Cité il semble que le Ministère des Affaires Municipales, des Régions et du territoire (MAMROT), ait réalisé l’ampleur des dégâts potentiels (le gouvernement provincial participe tout de même à la hauteur de 46M$ dans le projet) et qu’il ait finalement décidé d’élargir le mandat des vérificateurs. En effet, ceux-ci devront maintenant scruter à la loupe le fonctionnement de la Cité. Le rapport d’étape indique qu’aucune irrégularité n’a été observée pour l’instant. On verra pour la suite des choses.
Mentionnons que Ville de Laval ne détient pas d'exclusivité sur cette approche administrative. Quelques recherches m'ont permis de trouver des exemples similaires où Ville de Montréal a utilisé ce stratagème. En effet, il semble que la Société du Havre, Quartier International, la Société de développement Angus et plus récemment Bixi font en effet office d'OBNL soutenues par la ville.
Un fait demeure: il est inacceptable à mes yeux qu'une telle entourloupette soit possible afin de camoufler l'utilisations des fonds publics en les soustrayant à toutes demandes d'informations. En ces temps de coupures de programmes sociaux il est plus que temps que les hautes instances gouvernementales, en l'occurence le gouvernement provincial péquiste, prennent leurs responsabilités en balisant cette pratique. Par "le droit quasi absolu des provinces de décider du sort des municipalités"1, celle-ci peut encadrer le recours des municipalités à la création d'entité telles les OBNL en tant que mécanisme de décentralisation. Cela s'impose si l'on tient vraiment à assurer la transparence qui est requise pour assurer le lien de confiance des électeurs envers les différents palliers gouvernementaux.
Les évènements récents montrent clairement qu’on doive absolument élever les standards dans l’administration publique. La population exige qu’en temps de restrictions budgétaires les joutes politiques obscures fassent place à la transparence et l’intégrité.
Qu’attendent les gouvernements pour passer à l’action?
François B.
Références:
1) MICHAUD, N. et coll. (2011). Secrets d’États? p. 586.
MICHAUD, N. et coll. (2011). Secrets d’États? chap. 25, p. 584-603.
Rapport d’étape de vérification de Ville de Laval et Cité, MAMROT :
Élargissement du mandat des vérificateurs du MAMROT