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Blogue 2 - Emilie Champagne - Judiciarisation de la politique ou quand les tribunaux s'en mêlent

Personne n’a pu ignorer le conflit étudiant du printemps dernier qui s’est étalé sur plusieurs mois et qui a constamment fait les manchettes. Manifestations monstres, abus policiers, injonctions; le printemps « érable » comme l’ont baptisé de nombreux médias a été haut en couleurs. Pendant cette période houleuse, nous avons assisté à une véritable judiciarisation du conflit. Par les demandes d’injonction et les requêtes en mandamus, oui, mais également avec l’adoption du projet de loi spéciale 78. Le recours aux tribunaux lors de ce conflit politique et social n’a fait qu’envenimer la situation, alors que la solution ne se trouvait vraisemblablement qu’entre les mains du pouvoir politique. Le dernier chapitre de cette longue liste est à mon sens la condamnation pour outrage au tribunal de l’ex-leader étudiant Gabriel Nadeau-Dubois (GND).

La Loi sur l’accréditation et le financement des associations étudiantes (ou Loi 32) est muette au sujet du droit de grève. Or, l’histoire nous enseigne que le Québec a été un terrain fertile pour ce type de manifestations, nous n’avons qu’à penser à celle de 2005. Cela fait des années maintenant qu’il est établi que les associations étudiantes bénéficient de la formule Rand (issue du monde syndical), c’est-à-dire que « tout élève ou étudiant représenté par une association d'élèves ou d'étudiants accréditée ou toute association d'élèves ou d'étudiants représentée par un regroupement d'associations d'élèves ou d'étudiants accrédité, est réputé membre, selon le cas, de cette association ou de ce regroupement » (art. 26 al.1 de la Loi 32). C’est donc sur cette base que les établissements d’enseignement ont pratiquement toujours signé les protocoles de grève avec les associations étudiantes lorsque celles-ci avaient obtenu des mandats de grèves lors d’assemblées démocratiques. Ce droit est également protégé par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 que le Canada a ratifié et qui place le droit de grève au rang des droits immuables.

Malgré cette pratique instituée et respectée depuis des années, des voix se sont levées contre la dictature des associations étudiantes. S’en est suivi une pluie d’injonctions qui ont été déposées devant les tribunaux et l’adoption en mai 2012 de la loi 78 ou Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu'ils fréquentent. Cette loi, adoptée en moins de 24 heures, est venue complètement abolir ce droit de grève en interdisant toute forme de piquet de grève et en obligeant le personnel enseignant à dispenser l’enseignement (articles 3 et 10 à 15). Cette législation vient également rendre responsables les associations étudiantes en leur faisant porter le fardeau financier des préjudices possibles résultant des actes de grèves (art. 22) et autorise le ministre de l’Éducation d’interdire aux établissements d’enseignement de percevoir certaines cotisations étudiantes (art. 18 à 21), s’assurant ainsi de leur couper les vivres.

Cette loi bâillon qui étouffe le droit de manifestation et d’expression a eu l’effet d’une bombe. Nous sommes passés en vitesse 4 de la question des droits de scolarité à la remise en question de droits fondamentaux protégés par nos Chartes. Qu’est-ce qu’une association étudiante sans pouvoirs et moyens de revendication? Une fois de plus, cette réponse législative du gouvernement à un conflit politique n’était pas la solution à privilégier et portait gravement atteinte aux droits d’association et d’expression. Comme nous le savons tous, la ligne entre les trois grands pouvoirs est souvent difficile à tracer, il est toutefois primordial de la garder intacte. Un bon exemple de cet enchevêtrement des pouvoirs a été lorsque l’ancien ministre Pierre Moreau désirait sanctionner un co-organisateur de la « marche des juristes » – avocat à la SAAQ -  contre la loi 78[1] alors que rien n'interdit à un avocat de dénoncer une mesure législative. 

Tout cela nous mène à la récente condamnation de GND pour outrage au tribunal, décision qui a été rendue le 1er novembre dernier. Ce jugement controversé a beaucoup fait jaser sur les espaces publics. Il donne l’impression d’avoir fait de GND l’un des symboles, ou des matyrs, c’est selon, de la lutte étudiante. Un des principes stipule que tout ce qui n’est pas expressément interdit est permis. Or, comme nous l’avons vu précédemment, il y a un flou juridique actuellement quant à la validité des votes de grèves émis par les associations étudiantes, même si cette validité est reconnue de façon officieuse depuis de nombreuses années. Dans sa déclaration, GND s’est positionné en faveur du piquetage qu’il considère être un moyen de contestation légitime, exprimant ainsi l’opinion du groupe qu’il représentait alors. C’est sur la base de ces paroles que le juge en est venu à la conclusion GND avait incité au non-respect des injonctions, dont celle obtenue par le demandeur, et d’avoir prôné l’anarchie. Et cela, sans que GND ne l’ait jamais enfreinte lui-même. Même pour être condamné à un outrage civil, la preuve doit être faite hors de tout doute raisonnable puisqu’il implique des conséquences pénales (amende et/ou prison) et nous sommes en droit de nous demander si tel a été le cas en l’espèce.  

Cette décision laisse perplexe : ne s’agit-il pas là d’un jugement qui censure ce qui appartient à prime abord au débat public? Qui ne tient peu (pour ne pas dire du tout) compte de l’importance de la liberté d’expression? Qui revêt un caractère idéologique? À quel moment la désobéissance civile devient-elle punissable? Y aurait-il là apparence d’impartialité judiciaire (individuelle)? Nous savons tous que « [tant] l’indépendance que l’impartialité sont fondamentales pour rendre justice et pour assurer la confiance de l’individu et du public dans l’administration de la justice »[2]. Toutefois, le caractère politique de cette affaire peut nous amener à nous questionner sur ces enjeux. Ce procès sert-il véritablement à rendre justice à un plaignant qui croit avoir été lésé dans ses droits ou sert-il davantage des fins politiques, c’est-à-dire traduire en justice un militant étudiant qui a incité à la désobéissance civile (sans jamais viser spécifiquement le demandeur)? Il s’agit là d’un exemple bien éloquent d’assujettissement du bien commun à l’intérêt individuel.

Il est toutefois nécessaire de préciser que la primauté du droit est un principe fondamental et que tous se doivent de respecter les lois. Elle constitue la pierre angulaire de toute société libre et démocratique. Mais cela ne veut pas dire que nous ne devons pas nous soulever contre des lois qui nous semblent injustes et mauvaises, bien que celles-ci aient été adoptées par des personnes élues démocratiquement. Et selon moi, un des moyens pour y parvenir est la désobéissance civile.



[1] http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201205/29/01-4529788-manif-des-juristes-moreau-reclame-des-sanctions-contre-un-co-organisateur.php

[2] Nelson Michaud (dir), «Secrets d’État? Les principes qui guident l’administration publique et ses enjeux contemporains», École nationale d’administration publique, Presses de l’Université Laval, p. 199

Commentaires

  • Émilie, Voilà un sujet "chaud" qu'il sera intéressant d'examiner pour faire ressortir des principes d'A.P.

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