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Blogue 2, France Bastien, L'eldorado québécois

L’eldorado Québécois

par France Bastien

La question démographique est un enjeu important dans la majorité des pays occidentaux. Pour y faire face, ces pays ont ouvert leurs portes à l’immigration. Le défi, pour ces gouvernements, « est de définir les besoins et de concevoir des politiques d’accueil efficaces »[1]. On parle de défi parce que malgré les lois et programmes mis en place au Québec, notamment, des failles existent à ce niveau. Comme plusieurs de mes concitoyens, je n’en étais pas consciente jusqu’à ce que j’aie personnellement l’occasion de le constater.

 

J’étudie depuis 3 mois à la prestigieuse École nationale d’administration publique de Montréal. Depuis mon arrivée, j’y ai fait un tas de rencontres enrichissantes, tant parmi mes collègues étudiants que parmi le corps professoral. Quelques rencontres m’ont cependant troublée, soit celles que j’ai eues avec des étudiantes marocaines. À distance, je les voyais souriantes. Elles paraissaient être bien, heureuses. La réalité des choses est pourtant bien différente. Toutes celles qui m’ont parlé ont prononcé les mots découragement, discrimination, humiliation. Elles vivent de l’angoisse et souvent même une très grande détresse. Moi qui pensais qu’elles devaient être mieux ici que dans leur pays d’origine, disons que mes discussions avec elles et les lectures que j’ai faites pour écrire ce blogue ont remis mes pendules à l’heure. Mon souhait est qu’après avoir lu mon texte, vos pendules tendent aussi à se remettre à l’heure juste, le tout dans l’espoir que ceux et celles qui viennent ici enrichir notre société n’aient plus l’envie d’en repartir au plus s… vite. 

Des gens instruits

Il faut savoir que plus de 60 % des immigrants arrivant au Québec sont sélectionnés en fonction de leur scolarité, leurs compétences professionnelles et de leur langue[2]. En 2006, les chiffres officiels démontraient que 27 % chez la population immigrante avait fait des études universitaires. En comparaison, ce taux était de 14,7% dans la population québécoise[3]. Ils sont donc, en général, plus scolarisés que la moyenne d’entre nous.

 

Un bon nombre de ces immigrants occupaient dans leur pays d’origine des emplois professionnels. Ils vivaient bien sur le plan matériel, et faisaient partie des couches sociales favorisées.

Leur situation ici

En arrivant ici, contrairement à ce que je pensais, leur situation ne s’est pas améliorée. Ils vivent souvent dans la précarité et sont affectés par le sous-emploi et la pauvreté[4]. Plusieurs études démontrent qu’une majorité d’entre eux ont de la difficulté à se trouver un emploi de qualité, à la hauteur des compétences et de l‘expérience acquises dans leur pays d’origine[5]. À cet égard, on calcule que « chez les immigrants âgés de 25 à 54 ans et établis depuis moins de cinq ans au Québec, le taux de chômage est près de trois fois supérieur à celui des natifs. Après cinq à dix ans, il demeure plus de deux fois supérieur »[6].  On se demande alors pourquoi faire venir ici des gens hautement qualifiés s’il n’est pas possible de leur offrir rapidement une place à la dimension de leurs qualifications?  

Parmi les facteurs explicatifs, on constate qu’il est souvent difficile pour eux de faire reconnaître ici la formation et l’expérience obtenues à l’étranger. De même, l’accès aux métiers et aux professions leur est difficile en raison des conditions trop sévères régissant cet accès. Par ailleurs, une des raisons importantes réside malheureusement dans les pratiques discriminatoires exercées à leur endroit. À cet égard, de nombreux témoignages recueillis durant la Commission Bouchard Taylor vont dans le même sens des propos que j’ai entendus à l’ÉNAP. Des ingénieurs et des architectes qui sont maintenant chauffeurs de taxi, des avocats et même des juges qui font désormais de la plonge ou des livraisons[7].

Les femmes immigrantes musulmanes, même celles qui détiennent un diplôme universitaire, sont malheureusement encore plus affectées par le sous-emploi et la pauvreté, en particulier celles qui portent le foulard[8]. C’est là, selon de nombreux témoignages entendus à la Commission Bouchard Taylor, une cause importante d’échec dans leurs démarches d’embauche. Le rapport de la commission cite en exemple le cas d’une jeune musulmane portant le voile, étudiante en pharmacie, a vu sa demande de stage rejetée par 50 pharmaciens avant de trouver accueil chez un pharmacien arabe. Le rapport relate également l’histoire d’une immigrante, première de classe à l’Université de Montréal, qui a fait 200 demandes de stage et essuyé autant de refus[9]. Ici même à l’ÉNAP, des étudiantes portant le voile m’ont confié qu’il était pratiquement impossible pour elles de se trouver un stage. 

 

Idées préconçues

Même si nous n’osons souvent l’avouer, à soi-même ou encore en public, un certain nombre de Québécois entretiennent à propos de l’ensemble des minorités ethniques une image négative. « Les moindres incidents sont exploités pour nourrir et perpétuer les représentations négatives que la machine médiatique reprend souvent à son compte, les accréditant en quelque sorte »[10]. On croit par exemple, et à tort, que de nombreux immigrants ne veulent pas s’intégrer et qu’ils ne songent qu’à recréer ici la société qu’ils ont quittée [11]. Pourtant, toutes les étudiantes qui m’ont parlé m’ont assuré qu’elles étaient venues ici pleines d’ouverture, avec l’intention de s’intégrer à leur nouvelle patrie et de vivre dans un esprit de communauté au sein de la société québécoise.

 

Reconnaissant cette problématique, le rapport Bouchard Taylor constate que ce qui est déterminant, c’est notre capacité d’accueil elle-même que notre volonté d’accueil, « c’est-à-dire les perceptions ou l’attitude des membres de la société d’accueil envers l’immigrant et les ressources qu’on est disposé à consacrer à son intégration »[12].

 

Les outils existent pourtant

 

L’État québécois possède de nombreux outils pour combattre la discrimination et le racisme[13] :

·         la Charte des droits et libertés de la personne, la Déclaration de 1986 sur les relations interethniques et interraciales,

·         les programmes d’accès à l’égalité en emploi pour les groupes défavorisés,

·         les programmes visant à l’épanouissement des minorités ethniques,

·         l’adoption de politiques antiracistes par de nombreuses institutions publiques

·         divers programmes du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, 

·         la lutte contre le profilage racial

·         la politique gouvernementale La diversité : une valeur ajoutée, permettant de lutter plus efficacement contre le racisme et la discrimination (2008).

 

Les grandes orientations de la politique québécoise d’intégration ont été définies dans l’Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, en 1990. L’immigration y est présentée comme une condition essentielle du développement du Québec. Quant à la diversité culturelle, elle est perçue comme une richesse et l’État s’engage à faciliter son intégration[14].

 

Comment se fait-il que 20 ans après cet énoncé, et malgré toutes les mesures mises en place, le problème de l’intégration des immigrants soit toujours aussi grand?

 

Une piste de réponse

 

Le texte de Claude Morin, L’interaction politiciens-administrateurs[15], apporte une piste de réponse à cette question, en traitant du lien qui existe entre le politique et l’administratif.  Selon Morin, le processus de production menant à la prestation de biens et services administratif par le gouvernement comporte quatre phases :

 

1.                  La politification : Les problèmes sociaux deviennent des enjeux politiques.

 

2.                  L’officialisation : La reconnaissance de enjeux mène à l’établissement de plans d’action étatiques, et donc de politiques. Les administrateurs y contribuent en fournissant aux politiciens des données, des analyses et même des propositions d’action aux politiciens.

 

3.                  La transposition : Dans cette phase, les administrateurs participent à la transposition des politiques en projets de lois ou de règlements, à la planification, la réalisation opérationnelle et la budgétisation des ressources nécessaires.

 

4.                  La réalisation : Il appartient aux administrateurs de le réaliser les programmes et opérations, notamment en gérant les ressources humaines, financières et matérielle.  Cette phase s’effectue cependant sous le contrôle politique des ministères.

 

En résumé, ces quatre phases vont de l’identification de problèmes sociaux à la prestation de biens et services conçus pour y apporter remède.

 

Si on transpose le processus de Morin à la problématique liée à l’immigration, les faits nous amènent à comprendre que la difficulté se situe au niveau de la phase 4, celle de la réalisation.

 

En effet, les propos que j’ai entendus à l’ÉNAP de même que ceux qui ont été recueillis lors de la Commission Bouchard Taylor expriment qu’il y a un problème au niveau de la  nature de l’information diffusée aux candidats à l’immigration avant leur arrivée au Québec. Plusieurs se plaignent de ne pas avoir été suffisamment informés de la nécessité de connaître l’anglais pour occuper divers emplois et du fait que leur diplôme ou leurs compétences ne seraient peut-être pas reconnus.  Plusieurs affirment même qu’on leur a carrément menti à propos des possibilités qui les attendaient à l’arrivée (ils parlent d’« un portrait idyllique », d’un « eldorado », etc.)[16].  

 

Le décalage entre ce qu’entendent les immigrants au sujet du Québec avant de s’installer ici et la réalité concrète qui les attend a sans doute plusieurs causes, tel que le mentionne le rapport de la commission[17]. Parmi celles-ci, le rapport mentionne l’optimisme exagéré des agents d’information du Québec à l’étranger qui, soumis à des objectifs importants de recrutement, sont sans doute tentés de forcer le trait sur les côtés positifs du Québec. Le rapport stipule également que lorsque les futurs immigrants ont comme unique source d’information les employés des ambassades canadiennes, ils obtiennent un portrait peut-être imprécis de la spécificité culturelle du Québec.

             

Il est donc impératif et urgent, selon moi, que le ministère de l’Immigration et  Communautés culturelles apporte des correctifs au niveau de la justesse de l’information donnée à ceux qui ont envie de venir s’établir chez nous, et ce, à chaque étape du processus de recrutement et d’immigration. De même, il impératif que la population québécoise prenne conscience de la richesse des connaissances et de l’expérience des immigrants qui sont déjà ici, et qu’elle réussisse à se défaire des préjugés à leur égard. C’est aussi une question de justesse de l’information, mais dans l’autre sens. Nous sommes sensé être une société ouverte et progressiste, prouvons-le en cessant notamment de discriminer celles qui ont fait le choix de porter un carré de tissus.  On aurait tous à y gagner.

 



[1] GAUTHIER, Madeleine,  Enjeux démographiques contemporains, sous la direction de MICHAUD, Nelson, Secrets d’états?, Les presses de l’Université Laval, 2011, p.674.

[2] BOUCHARD, Gérard et TAYLOR, Charles, Fonder l’avenir : le temps de la conciliation, Commission de consultation sur les pratiques d’accomodement reliées aux différences culturelles, Rapport abrégé, Gouvernement du Québec, 2008, p. 82.

[3] Idem, p. 84

[4] Idem, p. 84

[5] Idem, p. 85

[6] Idem, p. 85

[7] Idem, p. 85

[8] Idem, p. 86

[9] Idem, p. 88

[10]Idem, p. 88

[11] BOUCHARD, Gérard et TAYLOR, Charles, Fonder l’avenir : le temps de la conciliation, Commission de consultation sur les pratiques d’accomodement reliées aux différences culturelles, Rapport intégral, Gouvernement du Québec, 2008, p. 215.

[12]Idem, p. 222

[13]Rapport abrégé, p. 87

[14]Rapport intégral, p. 108

[15] MORIN, Claude, L’intéraction politiciens-administrateurs, sous la direction de PARENTEAU, R. et al, Management public, comprendre et gérer les institutions de l’État, Presses de l’université du Québec, Sainte-Foy, p.269.

[16]Rapport intégral , p. 230

[17] Idem, p 230

Commentaires

  • Je suis tout à fait en accord avec tes propos, France. Le Canada est un pays démocratique, émancipé de sa religion et bien positionné économiquement, ce qui faire des envieux. Or, le Québec et même le Canada en général, sont tellement centrés sur eux-mêmes et ignorent qu'en dehors des frontières du continent de l'Amérique du Nord et de l'Europe (de l'Ouest!), il y a un monde tout plein de richesses. Non, l'Afrique n'est pas à l'image de Vision Mondiale partout sur son territoire, loin de là. Les universités existent aussi et souvent, comme tu l'as mentionné, les immigrants qui arrivent ici sont plus éduqués que nous et pourraient nous en apprendre beaucoup.

    Je trouve très malheureux les taux de chômage qui affligent cette partie de la population au Québec. Certains ont même obtenu leurs équivalences et effectué un autre programme d'étude québécois à défaut de trouver un emploi de leur calibre... sans que la situation ne change en bout de compte.

    Je trouve également triste que certains politiciens jettent la faute sur la volonté à s'intégrer des immigrants ou encore sur les performances du programme de francisation. la plupart de nos immigrants ne sont-ils pas francophones au départ? Tout cela est de l'hypocrisie. Le Québécois "de souche" a peur de se faire assimiler, envahir, est confortable dans sa ouate et ne veut pas se faire déranger. Il est là le problème principal selon moi. Ce n'est pas vrai que le Canada c'est le "plus beau pays du monde" et c'est encore moins vrai qu'en dehors de ses frontières c'est le néant.

    Christiane Richard

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