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Si chacun fait son métier

Pour qu'un État de droit démocratique soit fonctionnel, la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire est nécessaire. En administration publique, le principe de la séparation a pour principale fonction d'éviter que quiconque puisse utiliser les pouvoirs qui lui sont attribués avec excès, sans respect des règles de l'État de droit.

Au fondement d’un tel État, il y a la constitution, qui donne les principales règles de fonctionnement. Ensuite viennent le pouvoir législatif qui peut édicter lois (pour créer différents programmes, créer des institutions, prévoir le financement) et l'exécutif qui a le pouvoir de les mettre en application ces lois. Finalement, le judiciaire qui a le dernier mot quant au respect des lois et de leur conformité avec la constitution.

Au Québec comme au Canada, l'organe législatif comprend une chambre directement élue par les citoyens. C’est donc celle qui a la plus grande légitimité, d’un point de vue démocratique. Puisque le Sénat canadien intervient relativement peu, on peut dire que ce sont généralement les députés élus qui exercent le pouvoir législatif. Ils sont imputables directement devant la population. Quant à l’organe exécutif, ses hauts dirigeants (ministres et sous-ministres) sont responsables devant le Parlement. Généralement choisis à même les députés élus, ils ont aussi une grande légitimité face à la population. Un « mauvais » gouvernement risque fort de perdre sa majorité au moment d’élections.

Finalement, l’organe judiciaire est composé, pour simplifier, d’une hiérarchie de tribunaux au sommet de laquelle on retrouve la Cour suprême du Canada. Les juges des tribunaux étant nommés « à vie » par le gouvernement, ils semblent avoir une moins grande légitimité devant la population. En effet, ils ne sont imputables ni devant le Parlement, ni devant la population. Cette indépendance est toutefois nécessaire afin d’assurer la stabilité du droit et protéger les décisions judiciaires de l’influence politique. Il faut donc faire confiance aux juges et à leur compétence. D’ailleurs, il est intéressant de noter que, selon un sondage commandé par l’Actualité cette année, 73% des Québécois font confiance aux juges, alors qu’on sait que les politiciens sont généralement en queue de peloton sur la question de la confiance du public.

Si chacun joue bien son rôle, tout va pour le mieux. En théorie. Car en pratique, les frontières ne sont pas toujours clairement définies. Il arrive régulièrement que les pouvoirs de l’un empiètent sur les pouvoirs de l’autre.

Par exemple, l’organe législatif confiera souvent à l’exécutif un pouvoir réglementaire, qui consiste ni plus ni moins à compléter un texte de Loi, en conformité avec les grandes lignes de celle-ci. Il est souhaitable qu’il en soit ainsi car l’organe exécutif est, de loin, plus outillé pour prendre des décisions pratiques et efficaces. Avec leur « armée » de fonctionnaires, les ministères et organismes sont plus facilement informés de toutes les données à prendre en considération. Ils sont plus complexes, mais aussi plus spécialisés que les parlements lorsque vient le temps de se pencher sur des questions particulières. Au surplus, avec la responsabilité ministérielle, le Parlement garde toujours un certain contrôle sur les décisions du gouvernement.

Mais qu'arrive-t-il si le pouvoir judiciaire empiète sur le pouvoir législatif? Si les juges non élus invalident les lois adoptées par les députés démocratiquement élus? Si ultimement la Cour suprême du Canada ne corrige pas cet empiètement? Et bien rien. Il y a empiètement, puisque les tribunaux ont le dernier mot sur la validité des lois. Il est donc souhaitable que les juges du plus haut Tribunal fassent preuve de réserve lorsque les questions qui leur sont soumises sont éminemment politiques.

Or, au moment du « rapatriement de la constitution », en 1982, on a ajouté à celle-ci la Charte canadienne des droits et libertés. Ce texte, composé de 32 articles, a créé un bouleversement juridique au cours des 30 dernières années. Les tribunaux ont depuis eu à se prononcer, de façon générale, sur la validité de plusieurs textes de loi vis-à-vis des droits garantis par la Charte. Se faisant, plusieurs décisions du plus haut tribunal du pays ont semblé très politisées, empiétant sur le rôle des députés élus. On n’a qu’à penser aux questions du mariage entre personnes de même sexe1, du droit à l’avortement2, ou encore de l’accès aux soins de santé3. Dans plusieurs cas, la Cour suprême a renvoyé les députés élus faire leurs devoirs.

Cette approche crée une situation embêtante en ce que des décisions hautement politiques sembles émaner d’un organisme non élu. Au surplus, avec les délais d’adoption des lois et les délais de contestation judiciaire, il est improductif que les pouvoirs législatif et judiciaire se renvoient la balle. Les droits des minorités doivent certes être protégés, mais il faut éviter que les cas particuliers mettent le pouvoir politique entre les mains de décideurs non élus.

Avec l’arrêt Insite4, rendu cet automne, au lieu de reconnaître le droit général aux toxicomanes à l’accès à un centre d’injection supervisé, la Cour suprême entérine unanimement une approche particulière de la séparation des pouvoirs. Dans ce cas, la validité de la Loi sur les drogues et autres substances était remise en question en raison du droit à la vie garanti par la Charte. Mais cette Loi avait une particularité : elle donne au pouvoir exécutif (ministre de la Santé) la possibilité d’écarter l’application de la Loi s’il estime que des raisons médicales, scientifiques ou d’intérêt public le justifient.

Ainsi, la Cour suprême reconnaît que la Loi est tout à fait conforme à la Constitution, même si elle pourrait porter atteinte à certains droits garantis par la Charte pour certaines personnes, puisqu’elle comporte une « soupape » qui permet déjà sa non-application aux cas limites. Dans ce cas-ci, il a cependant été considéré que le ministre avait mal appliqué son pouvoir discrétionnaire. Il n'a donc pas été nécessaire de modifier la Loi à portée générale pour corriger une situation contraire à la Charte.

Autrement dit, cette approche permet d’éviter que la Cour suprême ait à se prononcer sur des questions générales qui doivent relever du législatif, en raison de la légitimité démocratique des députés.

Elle permet donc aussi que les députés élus n’aient pas à adopter des textes de lois épurés de toute atteinte potentielle, souvent involontaire, aux droits garantis par la Charte. 

Cette façon de faire remet alors la question de la conformité à la Charte entre les mains du pouvoir exécutif. Celui-ci étant généralement plus outillé que le législatif pour examiner les cas particuliers, il est généralement en mesure de prendre une meilleure décision. Dans le cas où la décision retenue est déraisonnable ou injustifiée, les tribunaux ont alors toujours un pouvoir de contrôle sur celle-ci, comme ce fut le cas dans l’affaire Insite.

Bien qu’elle ne soit pas nouvelle, il pourrait être intéressant que la « clause d’exception d’application » fasse son apparition dans d’autres textes de loi à portée générale. On peut penser, par exemple, au cas du régime public de santé et à la possibilité d’être traité au privé. Est-il souhaitable qu’en contrôlant les lois, les tribunaux établissent les règles d’application et les délais à suivre à partir de cas particuliers? Ou n’est-il pas préférable que le pouvoir exécutif détermine, au cas par cas, à quelles conditions une personne puisse sortir du régime public?

L’approche de la gestion d’exception par le pouvoir exécutif m’apparait nettement préférable à la recherche d’une loi sans écueil. Elle présente des avantages tant par sur le plan de la légitimité démocratique que de l’utilisation des connaissances spécifiques de l’exécutif, tout en permettant la protection des cas particuliers. Les députés devraient donc prendre en considération cette possibilité lorsque vient le temps d'élaborer des lois à portée générale.

 

 

 

François Desroches Lapointe

 

 

1Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, 2004 CSC 79, [2004] 3 RCS 698

2 R. c. Morgentaler, [1993] 3 RCS 463

3 Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 RCS 791

4 Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44 (CanLII)

Commentaires

  • Qui a publié ce blog incomplet. Pour finir et signer tu n'as qu'à cliquer sur ...modifier et suite aux modifications cliquer modifier et enregistrer tout au bas de la page ...Sinon...eeh bien recommence le tout.
    Prof qui attend !

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