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La Loi de Wagner a-t-elle atteint ses limites ?

CRISE DES FINANCES PUBLIQUES AU QUÉBEC : la Loi de Wagner a-t-elle atteint ses limites ?

 

Les dépenses publiques augmentent de façon continue, peu importe les époques, les pays et les régimes politiques en place.  Devant la constance et "l'universalité" du phénomène, l'économiste allemand Wagner l'érige en loi dès 1892.  Cent vingt ans plus tard, et surtout dans le contexte démographique et financier qui confronte le Québec, la Loi de Wagner tiendra-t-elle le coup encore longtemps ?

 

Sous l'angle sociologique, la Loi de Wagner s'appuie sur le principe que tout être doit se développer sous peine de disparaître, et qu'il en va de même pour les sociétés.  Pour mieux apprécier la validité de ce principe, il faut d’abord déterminer de quel "développement" il est question.  Essentiellement, les dépenses d'un État sont fonction de ses revenus, eux-mêmes fonction de la croissance du PIB, lui-même fonction de la taille de population et de la productivité de celle-ci.  La croissance des dépenses publiques devrait donc respecter celle des recettes (croissance du PIB),  sans quoi elle engendre inévitablement des déficits et une dette cumulée croissante.  De 2005 à 2008, le PIB du Québec a augmenté de 9,6% pendant que les dépenses publiques ont augmenté de 31,8%.

 

 

2005

2008

Variation

Écart progression dép adm pub vs progression PIB

PIB (en millions $US parité pouvoir achat)

 

 

 

Québec

224 159

245 591

9,6%

 

Canada

1 132 000

1 300 244

14,9%

 

EU

12 638 400

14 441 400

14,3%

 

Chine

5 473 160

7 903 235

44,4%

 

Dépenses administrations publiques (en millions $US)

 

Québec

49 545

65 287

31,8%

232,3%

Canada

214 469

294 245

37,2%

150,3%

EU

1 977 900

2 386 900

20,7%

44,9%

Chine

324 679

599 061

84,5%

90,3%

Dépenses administrations publiques (en % PIB)

 

Québec

22,1%

23,0%

4,1%

 

Canada

18,9%

19,2%

1,6%

 

EU

15,6%

16,5%

5,8%

 

Chine

14,1%

13,8%

-2,1%

 

 

Sous l'angle historique, l’augmentation des dépenses publiques peut résulter de crises qui entraînent un ralentissement important de l’activité économique (ex. : guerres, récessions).  Les revenus de l’État diminuent pendant que les dépenses courantes augmentent (ex. : dépenses militaires, mesures de soutien destinées à limiter les effets de la crise sur les recettes publiques) : il y a alors déficit budgétaire qui – à moins de disposer d’un surplus accumulé – devra être financé par une «dette ».  Les dépenses publiques courantes ne devraient donc n’être financées par endettement qu’en cas de crise majeure et – surtout - la dette ainsi contractée devrait remboursée en priorité dès le retour à la normale.  Au Québec, la dette résultant des déficits budgétaires accumulés s’est accrue chaque année sans interruption de 1982 à 1997.  Au 31 mars 2009, elle s’élevait à 95,5 milliards $, soit 31,5% du PIB

 

 « Le poids de la dette pour les citoyens devient plus concret lorsqu’on considère le service de la dette, soit la somme des intérêts annuels sur la dette. (…) Dans le cas du gouvernement du Québec, le service de la dette représente 7,8% des dépenses totales en 2009. »[1]

 

 Sous l’angle politique, la croissance continue est attribuable à trois modifications majeures :

·         Dans la nature des électeurs : passage du suffrage censitaire (contribuables) au suffrage universel (contribuable ou non).

·         Dans la nature des dépenses : passage de services payés par les usagers (service payé par l’individu qui le consomme) aux services universels (services payés par tous, qu’ils les consomment ou pas).

·         Dans la technique fiscale utilisée pour percevoir les revenus : passage de l’impôt proportionnel (taux unique applicable à tous) à l’impôt progressif (taux variable selon le niveau de revenus).

 

Comme on l’a vu plus tôt, le niveau des dépenses publiques devrait être fonction de la capacité financière de l’État, laquelle dépend essentiellement de sa richesse (i.e. de son activité économique).  Or, ce niveau est décidé par des élus qui sont choisis au suffrage universel, i.e. par tous les citoyens, et ce sans égard à l’écart qui peut exister entre ce qu’ils rapportent au trésor public (impôt direct et indirect, taxes vente) et ce qu’ils coûtent au trésor public (le coût des services qu’ils consomment).  Comme, de plus, 80% des impôts sont payés par 20% à peine des contribuables, les politiciens ont intérêt – pour se faire élire/réélire – à proposer les solutions les plus attrayantes pour le plus grand nombre, indépendamment de leur coût.

 

Au plan socio-économique, la croissance des dépenses publiques est finalement attribuable à l’obsolescence accélérée des équipements (i.e. équipements informatiques, matériel médical, etc.) ainsi qu’à la volonté de l’État de compenser l’incapacité de l’investissement privé de se maintenir à un niveau suffisant (et de surcroit de la volonté de l’État d’assumer seul les secteurs jugés « non rentables » par le secteur privé).

 

Sondage Léger Marketing (TVA/Journal de Montréal) : Les citoyens refusent toute hausse du fardeau fiscal (direct ou indirect) et exigent que le gouvernement fasse le ménage

 

Pas moins de 57% des Québécois se disent prêts à couper dans les services publics pour ne pas voir leur fardeau fiscal augmenter de nouveau. Si le gouvernement exauce leurs vœux, il y a aura donc une diminution des dépenses publiques en dépit d’une hausse du PIB.

 

Le retour à l’équilibre budgétaire contenu au Plan de retour à l’équilibre budgétaire 2013-2014 mise à la fois sur une hausse des revenus de l’État suite, d’une part, à la reprise attendue de l’activité économique et de l’emploi, et d’autre part par une hausse de certaines sources de revenus indirects (hausse de 1% de la TVQ – de 7,5% à 8,5% - à compter du 1er janvier 2011).  Mais il repose essentiellement sur une croissance annuelle des dépenses de programmes de 3,2% seulement dès 2011, ce qui représente à terme un effort de plusieurs milliards de $ et implique évidemment une diminution radicale des dépenses publiques ET des services à la population.

 

Rappelons également que ce plan conserve – en dépit de toutes les mesures énoncées précédemment – un déficit de 5 M $ à combler par des « mesures à identifier ».  Il pourra s’agir de hausses de revenus (impôts, tarifs) ET/OU de diminutions de dépenses (moins de services).  Dans les deux cas, les choix seront douloureux.  Devra-t-on réécrire la Loi de Wagner pour y ajouter un post-scriptum : « Cette loi demeure vraie tant que le niveau d’endettement d’une société demeure limité et, surtout, qu’il reste en deçà d’une proportion de la capacité de ladite société de produire de la richesse.  Si ces postulats de base ne sont respectés, la Loi de Wagner s’inverse et le niveau des dépenses publiques diminue alors de façon continue jusqu’à ce que les postulats de base soient à nouveau respectés». 

Sylvie Bourassa

ENP 7505 - Hiver 2010 (groupe Brossard)



[1] Le Québec économique 2009 : le chemin parcouru depuis 40 ans, Marcelin Joanis – Luc Godbout, Presses de l’Université Laval 2009, page 154.

Commentaires

  • Reprenons le libellé du Sondage Léger Marketing (TVA/Journal de Montréal): « Les citoyens refusent toute hausse du fardeau fiscal (direct ou indirect) ET EXIGENT QUE LE GOUVERNEMENT FASSE LE MÉNAGE. »

    À mon avis, la deuxième moitié de cette affirmation (en majuscules) est intéressante puisqu’elle illustre l’idée largement mais faussement répandue dans la population québécoise comme quoi les gouvernements pourraient augmenter la qualité et la quantité des services publics sans avoir à augmenter leurs revenus (et donc les taxes et les impôts) tout simplement en mettant fin au favoritisme, à la corruption, au détournement de fonds publics, à la paresse des fonctionnaires, aux conventions collectives trop généreuses de la fonction publique, et j’en passe… Toutefois, n'est-il pas utopique de croire que le Grand Ménage souhaité par la population suffirait à lui seul pour éliminer complètement des déficits publics de plusieurs milliards de dollars sans toutefois altérer la qualité des services publics? Permettez-moi d’en douter. Cela relève à mon avis de la pensée magique.

    À ce sujet, je vous suggère de consulter des déclarations récentes des chefs de l’ADQ et du PQ qui ont bien compris cette perception populaire :

    http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/politique/201002/02/01-945682-quebec-peut-couper-1-milliard-croit-ladq.php

    http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201001/29/01-944167-degraisser-avant-de-taxer-plus-propose-le-pq.php

  • Bravo Joséphine SB. Une première pour ques autres osent aussi !!
    Les commentaires vont venir...
    Bravo pour la bravoure JSB !
    RT

  • j'ai bien peur que lorsque viendra le moment de faire le choix de couper dans les services, je m'attend à ce que certains des 57% de québécois en accord avec cette décision, changerons d'idée et même s'offusquerons si le service coupé les tient à coeur.

    linda gosselin
    2010-02-12
    (Brossard)

  • Rêvons-nous à ce jour?? Il est évident que les taxes et les impôts seront augmentés afin d'aider à couvrir la dette. C'est un moyen facile de trouver de l'argent mais quand cesseront les augmentations?? Faut-il regarder la capacité de payer ou tenir compte des besoins? Si 57% des Québéçois sont prêts à couper dans les services publics pour ne pas voir leur fardeau fiscal augmenter, je crois qu'ils ne réalisent pas ce que cela peut représenter comme changement dans leur vie au quotidien. Et surtout, ne soyez pas malade!!

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